Dieu est un fumeur de havanes
Je vois ses nuages gris
Je sais qu'il fume même la nuit

 

Serge Gainsbourg



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Vieilleries

[L'auteur]

Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.

 


 

[Editions]

 

Mes pieds nus dans tes vieux sabots bretons, collection 8pA6 de La Vachette Alternative

 

 

Nos parcelles de terrain très très vague, Éditions Asphodèle, Collection Minuscule

 

disponible également via Fnac, Chapitre, Amazon,

Place des Libraires
 

 

London Trip Diary, At Home Editions

 


disponible via

 

 

Celui qui préférait respirer le parfum des fleurs, collection 8pA6 de La Vachette Alternative

 

 



[Parutions en revue]

 

L'Angoisse - Chos'e - Dissonances - Interlope - Interruption - Katapulpe -L'Autobus - Levure Littéraire - Mauvaise graine - Microbe - Magnapoets - Nouveaux Délits - Revue Squeeze - Traction Brabant - Trace écarT - Le Zaporogue 


 

[Participations]

 

CroutOthon - FPDV - Le Quotidien des Martyrisés -Les 807 -  Les Etats Civils - OnLit - Sistoeurs.net - Vents Contraires - Vous dites ? 
 



[Email]

 

marlene.tissot@gmail.com
 

[Marlène ailleurs]

 

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Sur Vents Contraires
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[Liens]


La boîte aux lettres

C’est au bout du chemin. Y’a la boîte aux lettres. Et tu sais qu’elle est vide. Mais tu y vas quand même. Te dégourdir les jambes. Flairer le printemps qui bourgeonne. Caresser le paysage, le chat, la poussière qui s’accumule sur la vieille table de jardin. Et puis ça ajoute quelques grains au sablier de tes jours un peu trop vides.

Depuis que le Jean a foutu le camp de l’autre côté du rideau, t’as pas grand monde avec qui causer. T’as pas grand-chose à faire non plus. Le potager, c’est bien fini. Avec un dos comme ça, qu’est-ce qu’on peut faire ? Alors t’as vendu un bout du terrain. Sans le dire aux enfants. Finiront bien par le remarquer. Un jour ou l’autre. Mais ils viennent pas souvent. Pas le temps. Ils téléphonent parfois. Envoient une carte ou deux. Joyeux anniversaire. Bonne année.

C’est au bout du chemin. Y’a la boîte aux lettres. Et tu sais qu’elle est vide. Mais tu y vas quand même. À petits pas précautionneux sur la caillasse et la terre sèche. Tu vérifies trois ou quatre fois que la clef est bien là, dans la poche de ton tablier. Et puis tu ouvres la boîte. Une grosse boite carrée. Normalisée, ils ont dit quand ils t’ont obligée à installer ce truc au bord de la route. Parce que, vous comprenez madame, on peut pas laisser les facteurs continuer ainsi. Aller et venir chez tous les gens qui vivent isolés. Au bout du compte, ça en fait des kilomètres et du temps perdu. Vous comprenez ? Question d’efficacité. À l’heure actuelle, tout est affaire de rendement. On doit rester compétitifs. Vous comprenez madame ? Tu avais hoché la tête. Même si tu n’y comprenais rien.

C’est au bout du chemin. Y’a la boîte aux lettres. Mais le facteur continue de venir jusqu’ici, de temps en temps. Quand y’a du courrier. C’est pas souvent. Des factures, en général. Et il te demande comment tu vas, t’aide à lire le programme télé, change l’ampoule de la cuisine. Il te dit que tu as bonne mine, et tu rosis sous tes rides. Parfois il prend un petit café, mais vite fait parce que sinon, au bureau, ils vont encore le faire chier avec ce foutu rendement. Comme si la poste était devenue une start-up à l’américaine, il dit, avec ses yeux pleins de colère. Puis il s’en va en te souhaitant une bonne journée, et te rappelant de pas oublier ton médicament à midi. Et tu te dis que tu devrais peut-être commander des bricoles à la redoute ou au téléachat pour qu’il passe plus souvent. T’apporter des colis. Mais c’est compliqué, toutes ces cases à remplir, ces codes à taper sur le téléphone. Sans compter l’argent que ça coûte ces bidules inutiles !

C’est au bout du chemin. Y’a la boîte aux lettres. Tu savais qu’elle serait vide. Mais tu y es allée quand même. Tu reviens avec le cœur gros mais du vent dans les mains. Et on dirait même que t’as paumé la clef en route. Ça te met en rogne. Tu sais bien que c’est pas grave, mais la colère, elle s’en fout, elle monte, elle monte. Faut retrouver cette satanée clef. Demi-tour. Tu marches un peu trop vite et y’a ton pied qui ripe sur un caillou. Te vlà étalée par terre, la tête dans la poussière. Des tas de petites étoiles qui dansent au fond de tes yeux, et puis le grand voile noir. Quand la vue revient, t’essayes de te relever, mais tu peux pas bouger. C’est pas que ça fait mail. Juste que ton corps ne répond plus. Alors tu regardes les nuages courir là-haut. Le vol en V des oiseaux. Le chat qui passe. Le soleil qui commence à baisser. Tu peux toujours pas bouger, même pas un doigt. Une poule s’approche et plante un coup de bec dans ta joue. Tu fermes les yeux de peur qu’elle ne les picore. Tu vas peut-être dormir un peu maintenant. Pas grand-chose d’autre à faire. Et puis tu te dis que les nuits sont assez douces. Que tu tiendras le coup. Tu espères qu’il y aura du courrier demain. Que le facteur ne les déposera pas simplement dans la boîte. Au bout du chemin.

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