This is a cloud of smoke
Trying to occupy space

 

 

I Didn't Understand, Elliott Smith



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Vieilleries

 


 

[L'auteur]

Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi. Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des sujets un peu moins osés.

 


 

[Editions]

 

Mes pieds nus dans tes vieux sabots bretons, collection 8pA6 de La Vachette Alternative

 

 

Nos parcelles de terrain très très vague, Éditions Asphodèle, Collection Minuscule

 

disponible également via Fnac, Chapitre, Amazon,

Place des Libraires
 

 

London Trip Diary, At Home Editions

 


disponible via

 

 

Celui qui préférait respirer le parfum des fleurs, collection 8pA6 de La Vachette Alternative

 

 



[Parutions en revue]

 

L'Angoisse - Chos'e - Dissonances - Interlope - Interruption - Katapulpe -L'Autobus - Levure Littéraire - Mauvaise graine - Microbe - Magnapoets - Nouveaux Délits - Revue Squeeze - Traction Brabant - Trace écarT - Le Zaporogue 


 

[Participations]

 

CroutOthon - FPDV - Le Quotidien des Martyrisés -Les 807 -  Les Etats Civils - OnLit - Sistoeurs.net - Vents Contraires - Vous dites ? 
 



[Email]

 

marlene.tissot@gmail.com
 

[Marlène ailleurs]

 

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[A l'origine, Matthieu et Georges sont nés dans un coin de ma tête pour illustrer une croûte (voir ICI, faut descendre un peu, on est juste en dessous de Patrice Maltaverne). Et puis, va savoir pourquoi, les deux gars ont pris leurs aises. Impossible de les déloger de mes pensées... Au début, je les prenais un peu pour des rigolos. Mais ils se sont mis à me raconter des trucs. Tout doucement, j'apprends à les connaître.  Je crois que je commence même à les aimer. Surtout Matthieu. Mais faut pas lui dire, sinon, il ne voudra plus rien me dire de ses secrets !]

 

 

Putain de piscine

"Tout ça c’est à cause de la piscine, il me dit Georges. Putain de piscine ! Avant, j’avais du pognon, tu sais. J’ai pas toujours été clodo. J’ai pas toujours pué des pieds. Avant j’avais une grosse baraque. J’avais une femme superbe. Et puis un fils. J’avais du bonheur plein les chaussettes et j’étais même pas foutu de m’en rendre compte…


Il faisait tellement chaud cet été-là. Tu te souviens ? Putain de piscine ! Moi, je me disais que ce serait une bonne idée. Pouvoir piquer une tête le soir à la fraîche. Un beau carré bleu dans le jardin. Avec une margelle en pierre claire. Mais je pouvais pas deviner, hein ! Comment j’aurais pu prévoir que le gosse allait se noyer ? Elle a dit que c’était de ma faute, que j’étais jamais là, que j’aurais dû lui apprendre à nager, que c’était mon rôle de père.


C’est elle qui l’a trouvé. Ma femme. Elle m’a appelé au bureau. Complètement paniquée. Faut que tu rentres, vite, tout de suite ! Oh mon dieu c’est pas possible ! Il ne bouge plus. Qu’est-ce qu’on va faire ? Rentre vite ! J’arrive pas à le sortir de l’eau ! Elle hurlait. Sueur froide. Je voulais pas comprendre. J’avais compris. J’ai conduit comme un taré. Beaucoup trop vite.


Quand je suis arrivé, il flottait, immobile. Dérivant doucement, comme une bouée oubliée. Personne n’est capable de supporter un truc pareil, mec. Tu vois ton môme dans l’eau, bras écartés, face vers le fond, et tout ce que tu penses c’est « il est en train de compter les secondes, il essaye de battre le record d’apnée ». Et tu persistes à penser ça aussi fort que possible parce que tu veux pas comprendre qu’il est mort. Tu te dis qu’il va relever la tête, secouer ses cheveux et se marrer. Tu l’engueuleras un peu quand même, parce que faut pas déconner, il a fait peur à sa mère. Mais les minutes passent. Il bouge toujours pas. Et ma femme qui balançait ses poings contre mon dos. Contre ma gueule. Qui m’insultait. Je sentais rien. J’entendais rien. Tout se passait au ralenti.

 

J’ai appelé les pompiers.
Ils ont tenté de le ranimé, mais c'était trop tard. Ils l'ont emmené. On les a suivi. Il y a eu des papiers à signer, je crois. Je ne sais plus. Et puis on s’est retrouvé tous seuls. Comme deux assassins. Comme deux victimes. Comme deux cons-ennemis-étrangers-va-savoir. Incapables de se regarder. Incapables de se parler. Et puis une nuit, ça faisait quelques semaines, trois, quatres, je ne sais plus, ma femme est venue se glisser contre moi dans le lit. Tu dors, elle a demandé ? Non, j’ai fait. Alors on a parlé un peu de tout ça. Elle était très calme. Elle m’a dit qu’elle était désolée de m’avoir balancé toutes ces méchancetés. Que c’était pas à moi qu’elle en voulait, mais à elle. Qu’elle avait pas été foutue de le surveiller correctement. Qu’elle pourrait pas vivre avec ça. Je l’ai consolée comme j’ai pu. On s’en remettra, je lui ai dit. Faudra du temps, mais on s’en remettra. Et peut-être bien que j’y croyais, sur le moment.


Elle s’est flinguée deux jours plus tard.

Et moi, tu vois, je sais même pas si j’aurais un jour les couilles d’en faire autant… "

Putain de piscine, je lui dis en hochant la tête.

Et je lui passe la bouteille avant qu’il se remette à chialer.
 

 

On aurait dit qu'elle s’appelait Jennyfer

Elle est vachement jolie ! il me dit.
Elle est vachement gentille, j’ajoute.
Elle fait pas de manière quand elle arrive le matin. Elle passe devant nous. Un sourire. Bonjour, vous allez bien ? Alors évidemment, dans la lumière douce de ses yeux-qui-ne-nous-fuient-pas, on se sent comme du café sur un réchaud : frémissant. On va bien. Oui, on va même très bien !

Elle bosse dans la boutique, juste à côté. Chez Jennyfer. On n’a jamais osé lui demander son prénom, alors on fait comme si elle s’appelait Jennyfer. Et parfois on se dit, tiens, on l’a pas vu passer ce matin, la petite Jennyfer ! Quel jour on est ? On ne sait plus trop. On se dit que ce doit être son jour de repos, certainement. Mais non, putain, c’est dimanche, regarde, tout est fermé ! C’est pas facile de suivre les articulations de la semaine quand on n'a pas de calendrier accroché au mur. Quand on n'a pas de mur où accrocher un calendrier. Le problème est réversible. À l’infini.

Parfois on se dit, merde, ça fait quatre jours qu’on l’a pas vue la petite Jennyfer. Et on se demande si elle est malade, si elle a déménagé, si elle reviendra jamais. C’est pas qu’elle soit si petite, la petite Jennyfer. Pas que ce soit une gamine, non plus. Elle doit avoir dans la trentaine et son sourire qui fait des plis de vrai sourire au coin de ses yeux. C’est beau… On dit petite de manière affectueuse. On l’aime beaucoup la petite Jennyfer.

Je crois même que j’en suis amoureux, me dit Georges. Amoureux ? Comment ça amoureux ? je lui demande. Tu veux pas que je te fasse un dessin, quand même ! il me sort. T’es qu’un vieux dégueulasse, non de dieu !

Pas du tout, il rétorque. C’est juste de la tendresse. Comme l’envie de la prendre dans mes bras, de la cajoler. Peut-être bien de la bécoter un peu, mais faudrait que j’brosse mes dents d’abord.

Vieux dégueulasse !

Elle a une jolie petite bouche, un peu comme une fleur qu’aurait pas fini de s’épanouir. J’imagine un instant la douceur de ses lèvres. Bordel ! La douceur de ses lèvres humides sur ma gueule qui pue. Qui gratte. Qui pique. La barbe, que je rase quand je peux. Les croûtes en dessous. Je pense à ses lèvres tout en essayant de ne surtout pas y penser.

Et puis je pense à l’amour. Ça fait longtemps que je n’y ai plus songé. Comme si c’était un droit social. Vous n’avez plus de carte vitale monsieur ? Alors vous n’avez plus le droit d’aimer. Ni d’être aimé. Eh, je m’en branle de l’amour ! Parfois je me dis que ça n’existe même pas, l’amour. Ce serait un peu comme un plagiat d’émotion. Un truc auquel on joue pour légitimer le désir. Rendre tout ça moins bestial. Moins brute. Forniquer, ça fait désordre ! Alors on enrobe, on dit, je t’aime chérie, faisons l’amour. Oh, oui ! Faisons des enfants. Achetons une maison à crédit. Construisons notre vie ensemble. Foutaises ! On ne construit rien. On traverse la vie, on dépose nos déchets, on crache nos aigreurs, on cherche à laisser notre trace, notre crasse. On traîne nos carcasses. On dit je t’aime chérie, faisons l’amour, mais en vérité, on pense juste au sexe. Assouvir un désir animal. L’instinct de survie de l’espèce. C’est ancré en nous. Malgré nous. Nous sommes en lutte permanente contre nos instincts primaires. Nous ne sommes pas des animaux bordel ! Génétique mon cul, maintenant l’homme n’a même plus besoin de baiser pour procréer. Tu verras Georges, bientôt l’amour sera définitivement mort ! Quelques molécules dissoutes au fond d’une éprouvette !

Arrête de raconter des conneries, il me dit. T’as le sang qui te monte au front. T’es tout énervé. C’est pas le moment, la petite Jennyfer ne va pas tarder ! Aller, respire, souris ! C’est pas le moment de t’énerver.
C’est pas le moment.
C’est pas le moment de flancher.

C'est pas le moment d'y penser.
L’amour, a disparu depuis longtemps. Il est mort dans une piscine. Et dans une boîte de Mogadon. Mort, j’te dis !
 

 

Juste une odeur de frite, de parfum et de sueur

On sera bien là, tu verras ! avait dit Georges.
Et sûrement qu’on est bien. Y’a le soleil qui tombe en grappe à travers les feuilles du grand platane. La pierre chaude sous nos culs. Le mur creusé, moulé, soyeux, comme un dossier de trône.


On est aux premières loges, qu’il dit.
Mais putain, George, le spectacle est à chier !
Attends, qu’il me fait. Reste encore un peu, tu regretteras pas !


Alors je reste. Je regarde.
Des gens. Des gens. Beaucoup trop de gens. Ça me file le tournis. Le ballet des jambes qui tricotent le vent et la poussière. Les semelles qui claquent claquent claquent. Talons hauts, talons plats, bottes, tennis, mocassins, escarpins, espadrilles, ballerines. Une infinie variété de chaussures. Et des corps plantés dedans. Ça s’entrecroise, ça se bouscule. Ça chahute les sacs en plastique, les sacs en papier. Les sacs à main qui cognent contre les hanches des femmes. Les mains des hommes qui brûlent d’effleurer clandestinement un cul de femme. N’importe quel cul, pourvu qu’il soit moulé, pourvu qu’il soit doux, pourvu qu’il soit inconnu. Les culs qui gauche-droitent frénétiquement, comme un bataillon de canards affolés. Des gens. Des gens comme s’il en pleuvait. Comme s’il en poussait dans les fissures du goudron. Des jeunes, des vieux. Qui vont et viennent. Entrent et sortent. Toujours plus de sacs pendus au bout de leurs bras. Le bruit des sacs froissés. Le bruit des gens qui piétinent, soupirent, téléphonent, toussent, râlent, rient, s’extasient, s’insultent.


Regarde, me dit Georges. Et il relève mon menton, d’un coup d’index, vers un ciel de visages. Une nuée de visages suspendus aux nuages. Des visages maquillés, fripés, grimaçant, fatigués, luisants, enflés, barbus, écorchés. Abominablement laids. Tous. Je ne sais pas trop si c’est moi ou un poison dans mon ventre, ma vue qui s’est troublée. Une hallucination. Peut-être bien que les gens ont toujours été aussi laids. Il y a là-dedans quelque chose de troublant. Ecoeurant, fascinant. Ces sourcils qui se froncent, nez mal torchés, doigts dans les nez, moustaches balayettes, mentons fuyants, lèvres rouges éléphantesques. Des bouches qui mangent, parlent, fument, crachent, lèchent, baillent. Des regards qui ne regardent rien ni personnes. Les yeux comme des petites caméras reliées à un programme binaire destiné à éviter l’impact. Une gamine trébuche sur mes pieds. Sa mère l’attrape par les épaules et la remet debout, comme un petit jouet mécanique. Il n’y a pas eu un seul regard. Pas un seul mot. Juste une odeur de frite, de parfum et de sueur. C’était donc bien humain.


Alors ? Qu’est-ce que t’en penses ? demande Georges.
Une foutue diarrhée de gens dans la rue ! je lui fais. Quel enfer !

C’est les soldes, qu’il me dit.
Et je me rappelle. Oui, évidemment ! Bordel, moi aussi, avant je faisais le clown dans ce grand cirque. J’étais un de ces types tellement laids avec des sacs accrochés au bout des bras. Ca me revient, comme un rot douloureux. Acide. Cette fringale avide de possession. Cette rage de dénicher la bonne affaire-mon-cul. Comme un besoin de remplir les placards pour oublier le vide des vies.


Y’a le soleil qui tombe en grappe à travers les feuilles du grand platane. La pierre chaude sous nos culs. Le mur creusé, moulé, soyeux, comme un dossier de trône.
T’as raison Georges, qu’est-ce qu’on est bien !
 


Leurs petites vérités individuelles

Ils me font marrer avec leurs questions, les gens… Et puis cette manière d’étaler leurs petites vérités individuelles comme si c’était une pommade universelle !

Tu te souviens, dit Georges, la nana qui s’est pointée l’autre jour, avec son joli petit porte-monnaie brodé de perles. Celle qui voulait me faire promettre de pas acheter d’alcool avec son argent. Et sa ferraille qu’elle faisait tinter sous mon nez. On aurait dit une mère de famille distribuant l’argent de poche en échange d’un peu d’obéissance. J’ai passé l’âge de jouer à ça, nom de dieu !

Votre patron, il pose des conditions à la manière dont vous dépensez votre salaire, je lui ai demandé ? Ça n’a rien à voir, elle a fait, avec son petit air de vous-ne-m’aurez-pas-à-ce-jeu-là. Excusez-moi, mais c’est parfaitement la même chose, j’ai rétorqué ! Et elle a soupiré.

Pourquoi donc avez-vous cette sale manie, vous autres, de vous saouler au lieu de dépenser intelligemment le peu d’argent qui vous tombe dans la main ? Voilà ce qu’elle m’a balancé, en regardant au loin, comme si la réponse s’enfuyait au bout de la rue.

Vous autres…
Et qu’est-ce qu’elle entendait par vous autres, hein ?
Ils me font chier ceux qui trient les gens comme si c’était du linge sale ! Chacun dans son panier. Le blanc, la couleur. Et nous, on est quoi ? Les torchons crottés ?

C’est pas qu’on aime particulièrement se bourrer la gueule, ma petite dame, je lui ai envoyé. Mais le pinard, ça nourrit, ça désaltère, ça réchauffe et ça soulage la pensée. Tout ça pour soixante centimes la bouteille. Alors rapport qualité-prix, on n’a encore rien trouvé de mieux pour subsister. Nous autres…
 

 

Le gars dans l’hélico

Y a un hélico qui bourdonne comme un insecte géant. Sûrement qu’il vient de décoller du toit de l’hosto, juste à côté. Le bruit des hélices qui découpe le dimanche en tranches. Souvent on s’installe au parc le dimanche Georges et moi. Pour regarder les gens, les fleurs, les chiens. Le ciel qu’accouche d’un beau printemps. Les mômes qui poussent comme des champignons. Et là-haut l’hélico s’éloigne en faisant un boucan du diable.

Je pense au type dedans. Le pilote. Accroché au manche, à zieuter les aiguilles sur les cadrans et la ligne d’horizon. Avec ses sunglasses. Son air sérieux, professionnel, alors que, tu vois, c’est plutôt un de ces dimanches à faire griller des saucisses au bord de la rivière. Pauvre gars… Je me demande ce qu’il transporte. Peut-être bien des organes dans une glacière. Ou peut-être bien quelqu’un sur le point de crever. Quelqu’un que des médecins vont tenter de rafistoler pour pas que la vie lui fuit par tous les trous.

C’est drôle la vie. La mort un peu moins. Je veux dire, ça surprend personne la mort. Tout le monde aura droit à sa part. Mais pas la vie, tu vois !? Quand je pense au type en train de crever, à ceux qui l’aiment, en train de chialer, au pilote, aux médecins avec tout cet espoir qu’on leur pose sur leurs épaules, je me dis putain, c’est vraiment pas simple parfois. Et pour le coup, je suis bien content qu’elle soit ce qu’elle est, ma vie. Pleine de rien. Avec personne pour s’en soucier.

Le jour où il m’arrivera de crever, je veux pas qu’il y en ait un seul pour pleurer. Georges y me dit qu’il chialera, lui. Mais ça compte pas. Je suis sure qu’il crèvera avant moi. J’ai pas envie de rendre des gens malheureux. Je préfère rester invisible. Je veux dire, les gens peuvent me voir dans la rue. Mais je ne compte pas. Je fais juste partie du décor. C’est un peu comme si j’existais pas vraiment. Elle est là la vraie liberté, tu vois !? Bon, je dis pas que de temps en temps j’aurais pas envie de faire griller des saucisses au bord de la rivière…

Mais c’est dimanche. On est au parc. Pas un nuage à l’horizon. Et personne pour me demander de piloter un putain d’hélico !


 

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