Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
Elle s’est réveillé ce matin sous une petite tâche de soleil
glissée dans le trou du volet. C'était le dernier matin de
l'année et elle se demandait si ce détail avait réellement de
l'importance. Elle a entrouvert ses yeux. Juste un peu. Comme
quand elle était petite et qu’elle regardait entre ses cils en
faisant semblant de dormir. Ça lui donnait l’impression
d’observer le monde à travers les ailes d’une libellule.
[Libellule sur magazine, août 2010, Photo Marlène T.]
Il dessine
trace des traits
à l’encre noire
les sourcils froncés
le regard fiévreux
il n’est plus là
il est à l’intérieur
de son dessin
une forêt
un labyrinthe
une citadelle
un lieu sacré
une fissure
dans le réel
où il planque
ses rêves inavoués
ceux qui feraient
ricaner les gens
sérieux
L’envie de mort revient parfois. Imprévisible. Comme la douleur fantôme
d’une vieille blessure. Et on incrimine le mauvais temps, l’humidité, la
fatigue. On effleure du bout du doigt le mauve nacré de la cicatrice. On
se souvient. De temps en temps. L’envie de mort revient. Parfois sans
raison. Parfois simplement parce qu’on s’imagine que quelqu’un se
mettrait alors à nous aimer d’un amour immense et sublime. Avec la
chaleur de ses bras serrée sur notre absence. Pour l’éternité.
La magie ne pousse pas à date fixe, ne respecte aucune règle, se
moque des croyances, des calendriers, des sapins, des
lumières, des monuments, des portes monnaie.
La magie traîne ses guêtres avec la poussière et les vers de
terre, sur les chemins abandonnés ou entre les brins d’herbe. La
magie se planque contre le flanc tiède des animaux sauvages et
elle se cueille parfois dans leurs regards.
Le réveil sonne
alarme sursaut
il sent comme des milliers de pointes
de couteaux qui se plantent
dans son ventre et dans sa tête
et un peu partout dans lui
sortir du lit
dehors c’est encore nuit
il avale un café
et écoute son cœur s’accélérer
battre battre battre
combattre
pas encore tout à fait mort
mais il a des choses qui s’éteignent en dedans
et ses rêves qu’il suicide doucement
dans le vitriole des jours
il enfile un pull épais et puis son blouson
il cherche avec ses poings au fond des poches
un peu de force
quelque part dans les recoins
en s’en allant décharger les camions
à l’arrière d’un grand magasin
comme chaque matin
pour gagner sa vie
une vie dont il ne sait plus vraiment
quoi faire
maintenant qu’elle est remplie
de tout un tas de rêves
assassinés
Une petite participation au nouveau n° de la revue Les Etats Civils
qui démarre sur les chapeaux de roue !
Ce que je fais là
Peu importe l’endroit où je me trouve
je ne sais jamais vraiment ce que je fais là
je voudrais bien pouvoir dire merci maman
merci papa mais dans le fond je me demande
si c’est grâce à eux
ou à cause d’eux
que je suis là
que je ne sais jamais vraiment
ce que je fais là
j’ai bouclé les trois dossiers que le chef
voulait sur son bureau pour midi
il est midi
je les dépose
sur son bureau
il ne dit pas merci
il ne lève même pas les yeux vers moi
dans son monde je n’existe pas
alors je joins mes pas perdus
aux pas des autres invisibles
dans la grande procession vers la cantine
prions pour sainte salade mimosa
avant de s’enfiler
quelques boulettes de viandes
dans une sauce vaguement brune
trois rondelles de carottes
une louche de purée
un fruit mort né
on somnole dans
le brouhaha des conversations de collègues
qui voudrait bien devenir amis
ou plus si affinité
des discussions qui tournent en rond
qui tournent court
qui tournent au vinaigre
quand certains oublient les sujets à éviter
toujours les mêmes
la politique
le racisme
le pognon et
est-ce que je dis à Isabelle
qu’elle a un bout de salade collé sur l’incisive ?
j’hésite souvent
dans ce genre de situation
c’est comme les braguettes ouvertes
si on le fait remarquer
c’est forcément qu’on a le regard
qui s’est posé
là
alors on dit rien
on laisse quelqu’un d’autre s’en charger
on apprend à devenir
chaque jour un peu plus lâche
Les boules, les boules, les boules. Et sur la grande place, le sapin
gigantesque, presque aussi haut qu’un building ‘ricain de 807 étages.
Les employés municipaux qui piétinent dans des flaques de neige grise en
soufflant de la fumée blanche. La grue en panne et le maire qui gueule «
mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !? ».
La magie de Noël qui reste coincée sous les ongles comme de la poussière
qu’on gratte au fond d’une poche.
Parfois on regarde les choses
s’abîmer
tout doucement et
c’est pas vraiment qu’on attend
que ce soit complètement foutu
parfois on se dit même
qu’on pourrait rafistoler
avant qu’il soit trop tard
avant que tout soit délabré
avant qu’on n’ait plus nulle part
ou poser son cul
plus personne
à prendre dans ses bras
Tout se met à pencher et on dirait bien que le ciel déverse son trop
plein de gris dans nos valises poussiéreuses. Celles qu’on entasse dans
un coin du grenier avec leur ventre plein de souvenirs, de regrets, de
remords. Toutes ces choses que l’on n’ose pas toucher du doigt mais
qu’on ne peut jamais tout à fait quitter des yeux. Qui nous empêchent de
regarder vers l’essentiel. Pas le temps qui reste ni celui qu’on a perdu
mais l’instant en équilibre juste entre les deux. Celui où les valises
sont inutiles.
Encore une petite
participation au
Quotidien des Martyrisés qui sort les épines (sans sapin)
histoire de nous réveiller un peu le décembre... le PDF se chope
ICI ! Et en plus y a des illustrations de Bill Térébenthine...
La peur de toi
Je voudrais bien
grandir en dedans moi
comme j’ai grandi en apparence
mais j’ai des tresses
et des dents de lait
qui restent là
planquées sous mes rides
et je n’arrive pas à comprendre
pourquoi elle me colle à la peau
la peur de toi
papa
C’est d’ici que je viens
d’entre les cuisses d’Alice
extirpé du tunnel
sombre
sanglant
arraché de ses entrailles
comme un lièvre galeux
alors qu’elle
elle rêvait
d’un joli lapin blanc
Il la fait rire juste au moment où elle
s'apprête à mordre dans sa gaufre poudrée. Un nuage de sucre
glace s'envole comme une neige minuscule et gourmande,
tourbillonnant entre leurs yeux, entre leur bouche.
Je restais sagement
enfermée dans ma chambre
et pour ne pas pleurer
je dessinais
des histoires colorées
sur le blanc de la nuit
mes larmes emprisonnées
finissaient par cristalliser
parfois elles explosaient
dans mon ventre
comme des feux d’artifice
Dis à maman que tout va bien
que j’ai trouvé un boulot
que j’ai arrêté mes conneries
dis-lui que bientôt j’aurai un appart’
un vrai
rien qu’à moi
elle pourra venir me rendre visite
(si elle veut)
dis à maman que tout va bien
(si elle demande)
[All Cleaned Out, Elliott Smith, album "New Moon"]
Puzzle
Il faut sans cesse reconstituer le décor avec les morceaux brisés, le
quotidien comme un puzzle, portrait des jours difformes, image
boursouflée, reflets blessés, suturés, parfois je voudrais bien que mon
cœur avorte de toi quand tu es comme ça, te sortir de mes chairs
sanguinolentes, quand tu as l’air d’un monstre aussi immonde que tous les
autres monstres, quand j’en arrive à me demander si vraiment l’amour est
encore vivant à l’intérieur de moi…
Peindre les détails de la vie en rose
relever les manches
et les coins des lèvres
sourire
y croire encore
La ville n’a pas besoin
de toi
de moi
pour pousser
brique après brique
toujours plus haut
forêt toxique
qui se nourrit de nos crachats
nos pas pressés
nos angoisses
nos besoins de chaleur
nos bitures
nos humeurs de chien
nos envies de pisser
au pied des lampadaires
arroser le sourire mesquin
du bitume luisant
mais la bienséance
ah oui la bienséance
cette drôle de chose
qui nous empêche de
redevenir tout à fait
animal
rugissant
dans la ville qui pousse
toujours plus haut
et plante ses racines
dans le ventre
de nos rêves
T’as emballé la nuit dans ton vieux sac à dos. Tu te dis que celle-là
c’est une nuit à garder. Dans un sac, ou au fond d’une poche. Ou
peut-être juste pliée avec soin entre deux souvenirs. Les plus beaux.
Ils sont pas légion... Les étoiles s’estompent doucement et le jour
déroule son tapis de poussières. Le bruit cotonneux de tes pas. Le goût
de la nuit encore accroché à tes cils, à tes lèvres, à ta langue. Le
goût de l’amour. Le goût de la bière.
Dans le lit, c’était chaud quand tu t’es levée. Comme un tas de braises
sur lequel il aurait suffi de souffler. Mais les feux, ça finit toujours
par s’éteindre. Tu le sais bien. Et puis le grand froid s’installe dans
les cœurs. Les dents deviennent tranchantes. Les souvenirs s’effritent.
Il ne reste plus rien. Alors t’as emballé la nuit dans ton vieux sac à
dos et t’es partie. Sur la pointe des pieds. Avec le ventre encore gorgé
de lui.
Partir, c’est ce que tu sais faire le mieux.
Te souvenir aussi.
Il ne veut pas
être poli
dire bonjour
faire ses devoirs
brosser ses dents
manger sa soupe pour bien grandir
apprendre les règles
comprendre la vie
comment on doit marcher
les uns sur les autres
se mordre
et puis griffer la terre
ruer vers l’or
courir après toutes ces choses
le pouvoir
l’amour
la gloire non ! il veut juste rester là
avec ses mains en visière
dans une tâche de soleil
à regarder le monde
à travers les lunettes de l’enfance
[extrait de Western Coquillettes, en cours]
O Petit BoBourg
Ce jeudi 2 décembre, 19h30 à Metz,
soirée-lecture au bar-galerie "O Petit BoBourg" où Frédéric
Perrot et Patrice Maltaverne nous invitent à découvrir des textes
Fernando Pessoa.
La deuxième partie de soirée sera consacrée à l'actualité poétique et
l'on y parlera, entre autre, de la sortie de "Nos parcelles de terrain
très très vague". Thanks guys !
Il y a parfois
l’envie de naufrage
qui revient
la trouille un peu
l’ivresse surtout
lâcher prise et couler
glisser des SOS
dans les bouteilles vides
qui n’iront pas plus loin
que la poubelle
au pied de l'immeuble
Tu grattes au fond de tes poches
quelques miettes et de la poussière
se coincent sous tes ongles
rien d’autre
Comment on fait pour
démarrer une nouvelle vie ?
quand t’as mis du silence
si longtemps
sur tes douleurs
que ta bouche a fini par
cicatriser sur les cris
quand tu crois
que tu n’as plus rien
et que même tes pieds ne sont
plus tout à fait à toi
comment avancer
quand le bout de la rue
semble aussi loin
que le bout du monde ?
Merci
Merci à Miss
co errante,
Eric,
Cathy,
Aglaé,
Mireille (et tous ceux que j'oublie, désolée) pour les mots sur
leurs blogs à propos de "Nos parcelles de terrain très très vague".
Merci à tous ceux qui ont pris le temps de me dire ce qu'ils en
pensaient, ça me touche beaucoup !
La nuit tombe sur la ville avec brusquerie et on s’attendrait presque à
ce que tout se casse la gueule avec elle. Mais on reste debout. Chaque
chose en équilibre. Les monstres tapis sous l’asphalte ou planqués dans
nos têtes. On allume des petites lumières sur le nez des voitures, au
plafond des maisons, derrière les vitrines. On éclaire la moindre
parcelle. Et chacun continue d’avancer, comme si de rien n’était. Avec
un air faussement rassuré.
On planque nos petites douleur
sous l’ambre du tapis de feuilles mortes
on enterre les rancunes
sous les premiers flocons
on se sourit
le feu n’est pas encore éteint
dans nos ventres
chauds
serrés
l’un contre l’autre
J’ai entouré ma bouche
mon nez mon cœur dans
une grosse écharpe de laine
pour me protéger du froid
grandissant
entre elle et moi
des silences
de tous ces mots
qu’elle n’ose pas
me jeter au visage
qu’elle griffe sur le papier
pour éviter d’avoir à confronter
sa rage avec la mienne
le #0 du Quotidien des Martyrisés vient de sortir et continuera
de s'égrainer chaque jeudi... On peut le lire ICI et chez tous les dépositaires de France et de Navarre.
À l’heure des lampadaires oranges
Dans la rue les volets sont clos
comme des paupières
petit matin frisson
arrosé de jus de loupiote
l’homme souffle sur ses mains rougies
les frotte un peu l’une contre l’autre
rajuste son bonnet
puis il attrape le manche du balai et
se remet à brosser les dents du caniveau
Ce n’est plus la nuit et pas encore le jour. Moment suspendu. Un vague
bruissement d’éveil. Quelques pêcheurs sur le port. Un gars en veste
orange qui balaye les rues. Les lumières pâlottes échappées de
l’arrière-salle des restaus. Les mouettes, toujours. Quelques ombres
furtives. Et le ciel qui rougit comme une fille timide. L’impression de
se trouver dans un repli du temps. Un de ces instants où tout semble
possible. [Carte postale Bretonne n°25]
La jupe écossaise de la fille
les genoux de la fille
des écorchures
le bus qui hoquette à chaque arrêt
mes yeux qui n’arrivent pas à lâcher
la jupe écossaise de la fille
bleue et rouge
comme les siège du bus
les genoux de la fille
écorchés
ses ballerines
ses mains propres
bien à plat sur ses cuisses
son cartable à côté
son visage de môme
douze ans peut être treize
je ne me souviens plus si à cet âge
je portais des jupes écossaises
ni des ballerines
mais
mes écorchures
je les planquais
à l’intérieur du coeur
Accoudé au comptoir d’un jour qui peine à se lever
On pourrait découper l’utopie en tranche
et la beurrer comme une tartine
on pourrait verser un nuage d’espoir
dans les tasses de matin noir (sans sucre)
Une plage vide
sous un ciel d’automne
le sable couleur cendre
le chant rauque des vagues
personne
sauf un petit vieux
qui promène son chien
et une fillette
courant vers la mer
comme si elle fuyait
le monde pour aller
jouer avec les sirènes
[Carte postale Bretonne n°21]
Carte postale Bretonne n°20
[Cancale, Octobre 2010, Photo Marlene T.]
L'Angoisse n°7 vient de paraître !
L'ANGOISSE DECATIE A DES YEUX DE VELOURS
(avec la faute d'orthographe la plus aberrante du mois directement en
couverture !)
http://www.revueangoisse.blogspot.com
Dans ce numéro il y a :
Des chevaux échappés des l'enfer
Du sperme
Des fêtards flous
Des pertes de repères et des écrivains névrotiques
Des Christ en souffrance, des piranhas en 3D et une fin du monde débile
Une biche éclatée et un loup pervers
Des plaques d'égoût, des nichons qui tombent, un prof qui a la trique
Des hurlements dans tous les sens et des morts silencieuses
Des foetus sous perf, des enfants qui flippent, du bruit
Des voitures explosées
Des corps disloqués, des soliloques énervés, des corps déchargés, des
esprits plein de merde
Des salopes dégueulasses et de minables connards
Des ratures, des hachures, des coulures, des bites et des chattes et des
suintements variés
Des femmes qui saignent et des femmes qui gueulent
Des miettes qui restent en travers de la gorge, du spleen moderne
Des cauchemards métalliques et des rêves de fer
De l'apitoiement et des fantômes incontinents
Des viscères qui parlent fort, des bites et des chiens qui parlent fort
aussi
De la viande, de la paranoïa importée du futur, de la peur, de la peur,
de la peur
Des hommes bandants, des femmes bandantes aussi
Des portraits flippés et un monstre sous toutes les coutures
Du name-dropping pathologique et des gueules sans noms
Des cauchemars gravés dans le bois et de la schizophrénie d'avant-garde
Des dominos métaphysiques (comme toujours)
Du roman noir
Une crucifixion païenne
Le peintre du bonheur
De la viande, de la viande, encore de la viande
DANS CE PUTAIN DE NUMERO :
194 pages de texte, pas loin de 200 images, de la musique plein vos
esgourdes.
DANS CE FOUTREDIEU DE PUTE DE NUMERO :
MANDY - AURORE LALOY - N.A.G. - BENJAMIN MONTI - BORIS CRACK - DAVE 2000
- MAMADOU LOVE - SOOMIZ - DOM GARCIA - NICOLAS BRULEBOIS - MARLENE
TISSOT - RMM ALKBAZZ - CLOTILDE DELCOMMUNE - ANAIS MAUZAT - PAUL
SUNDERLAND - HORSES EAT SUGAR - MYRIAM LINGUANOTTO - JOEL MAS - EX AEQUO
- GAIJIN - REGIS BELLOEIL - JACQUES CAUDA - OSMOSE CURVES - SARAH
FIST'HOLE - ALAIN MARC - SAMANTHA GAI - MANUEL MONTERO - FLORIAN
TOMASINI - SARA CHELOU - REMI TEULIERE - HEPTANES FRAXION - OSCARR -
LANCE ROQUETTE - RONAN ROCHER - SlIP - THOMAS VINAU - CLOUD - A.C. HELLO
- GILLES FELA - OLIVIER BKZ - JEREMY BRETHES - WOOD - THIERRY THEOLIER -
JEAN-MARC RENAULT - MARC BRUNIER-MESTAS - FRANCOIS RICHARD - VINCENT
PONS - FRED GEVARD - CHRISTOPHE SIEBERT - OLIVIER ALLEMANE
C’est un de ces instants
où l’air du large
fait comme
un goût de sang
dans la bouche
une faim presque cruelle
l’envie de hisser la grand voile
voguer vers d’autres rives
mordre dans d’autres chairs
[Carte postale Bretonne n°19]
Il nous racontait la tempête qui faisait
s’envoler les rochers de la Pointe du Raz et
les cadavres échoués sur la Baie des Trépassés
et nous on s’en foutait de savoir si tout ça
c’était vrai ou bien s’il inventait
on l’écoutait et c’était autrement plus captivant
que les dessins animés du mercredi à la télé
[Carte postale Bretonne n°17]
Le bruit des coquillages
qui se brisent sous nos pas
et le gris du ciel
qui voudrait bien
nous faire pleuvoir
nous voir glisser
contre l’épaule des nuages
mais on s'accroche
on tient bon
on cultive
jour après jour
des miettes de douceur
qui roulent au creux du coeur
comme des perles
précieuses
[Carte postale Bretonne n°15]
Carte postale Bretonne n°14
[Cancale, Octobre 2010, Photo Marlène T.]
C'est la saison des microbes
Et s'il y en a bien un que je suis ravie
d'accueillir chez moi, c'est celui d'Eric
Au sommaire du n°62 :
Illustrations de Serge Poliart
Textes de
Andréa Bely
Michel Bourçon
Alain Crozier
Éric Dejaeger
Olivier Dulieu
Georges Elliautou
Cathy Garcia
Catfish McDaris
Carmelo Marchetta
Jany Pineau
Basile Rouchin
Éric Savina
André Stas
Marlène Tissot
Les abonnés le recevront début novembre. Les abonnés « + » recevront
également Avant de mourir, mi(ni)crobe signé Marc Bonetto.
Les autres ne recevront rien. Pour tous renseignements, contactez
Eric.
Le temps et les souvenirs que la marée entraîne au large
C’était il y a combien de temps
tout ça ?
Quand les crabes ramenés du port cavalaient dans la petite cour.
Qu’on nettoyait nos pieds pleins de sable sous le robinet. Que
la vieille dame d’à côté barattait son beurre et qu’on mangeait
des crêpes géantes chez Alberte.
Elle est encore en vie, Alberte. Il paraît qu’elle n’y voit plus
grand-chose et qu’elle ne marche plus du tout. C’est son fils
Luc qui la promène le dimanche. Elle aime bien voir la mer.
Maurice passe presque chaque jour nous donner des nouvelles. Il
me demande si je me rappelle, de ceci, de cela. Oui, je me
souviens. Et pourtant tout me semble tellement loin. Est-ce que
c’était vraiment moi ? Est-ce que j’ai eu plusieurs vies à
l’intérieur de ma vie ?
[Carte postale Bretonne n°13]
Carte postale Bretonne n°12
[Cancale, La Houle, Octobre 2010, Photo Marlène T.]
Une chouette pub pour l'éditeur Asphodèle et pour "Nos
parcelles de terrain très très vague" à lire sur le blog du
Grognard !
Le bleu du ciel
de la mer et
de tes yeux
Et même s’il est d’un noir opaque
comme un plafond carbonisé
prêt à nous tomber dessus
prêt à nous ensevelir
tôt ou tard
le ciel finira bien par
redevenir bleu
le soleil sortira de l’eau
à l’horizon
éclaboussant
la crête des vagues
de sa gelée rouge sang
et puis il s’élèvera
tel un vieux sage souriant
pour redonner à la vie
ses couleurs
[Carte postale Bretonne n°11]
"Nos parcelles de terrain très très vague"
vient de paraître aux Éditions Asphodèle dans la collection
Minuscule. Il est bien entendu disponible en commande auprès de l'éditeur ou de l'auteur.
La nuit nous est tombée dessus
sans prévenir
la boulangerie avait déjà enfilé
son rideau de fer
mais la supérette brillait encore
de tous ses néons
on est allé s’acheter
un paquet de craquelins
pour le petit dej’ du lendemain
avec du beurre salé
et une boîte de thé
la caissière nous a sourit
mécaniquement
malgré son regard épuisé
je me suis demandé
si elle avait des enfants
un mari
un chat
un chien
une pizza surgelée
qui l’attendait à la maison
c’est pas que ça m’inquiétait
réellement
d’ailleurs en sortant
j’ai cessé d’y penser
et on a couru vers la mer
comme des mômes
en riant
Je me suis levée avant le jour. Trop de silence. Malgré les fantômes
infusés dans les murs. Je les sentais, partout. Dans la grosse armoire
de bois sombre. Sous le parquet centenaire dont je n’osais toujours pas
soulever la trappe. J’ai enfilé mes vêtements. Ils étaient froids et
humides, comme la maison. Je suis sortie en soulevant la porte pour
éviter qu’elle grince. La rue dormait encore. À peine quelques mouettes
qui se moquaient de mes angoisses. J’ai marché jusqu’au bout de l'épi.
La marée était haute. Le vent tournoyait, indécis, presque colérique.
Le mois dernier, ils étaient venus jeter ses cendres ici. J’essayais
d’imaginer la scène. Un nuage de poussière de lui, flottant une dernière
fois au-dessus des vagues avant de se noyer en silence. C’est étrange la
mort. Mais pas tellement plus que la vie. Je me suis accoudée là,
flairant les embruns. L’horizon commençait à rougir. Le soleil n’allait
pas tarder à pointer sa gueule ronde hors des flots. Il pouvait prendre
son temps. Je n'étais pas pressée.
A la taverne de Morgane
la bière donne des ailes
et les sourires échangés
font briller le regard
qu'on plante dans la mousse
en espérant que la timidité
y fera germer une fée
en forme de coeur
[La Taverne de Morgane, à Tréhorenteuc]
Le vent est un sale gosse
du genre qui soulève les jupes
en ricanant
et nous crache à la gueule
une vilaine petite pluie
lancée à l’horizontale
comme des fléchettes empoisonnées
les chats sont à l’abris
ici il n’y a que cette fille
qui avance courbée
planquée derrière son parapluie
qu’elle tient comme un bouclier
on voit juste ses jambes
qui dépassent
longues et fines avec
quelque chose de guerrier
dans la démarche
ses pieds fichés dans des escarpins
aux talons dangereusement
aiguisés
On est monté au village pour acheter du pain. Le vent venait du large et
rabattait nos cheveux sur nos joues, nos cols sur nos nuques. L’automne
avait un goût salé et un regard un peu furieux. Le front du ciel plissé
de nuages. Devant la boulangerie, il y avait la queue et un peu plus
loin, des gens bien
habillés piétinaient la place de l’église. Une mariée est sortie par la
grande porte avec sa robe de princesse. Les mouettes tournaient au
dessus avec l’air de se foutre un peu de sa gueule. Un petit vieux s’est
mis à souffler dans un biniou. On n’entendait plus que ça. La musique
qui débordait de la ville jusqu’au-dessus des toits. Jusqu’au menton du
ciel. C’était magique. Presque effrayant aussi. Le musicien s’est engouffré
dans une petite rue avec son instrument coincé sous le bras et les gens
bien habillés ont disparu avec lui. On se demandait vaguement où ils
allaient comme ça et si la robe de la mariée résisterait à une journée
pareille. Si elle enflerait dans la tempête comme une grand-voile, nouée
au bras du mari dans son petit costume gris. On a
fini par acheter notre baguette en laissant nos questions silencieuses
s'envoler puis on est redescendu vers la mer. Le
vent s’était calmé. Il pleuvait quelques gouttes de soleil dans les
flaques de ciel bleu.
La chair douce. Tiède. Débordant des vêtements. Mes seins lourds. Les
caresser du bout des doigts. Chercher les limites. Glisser vers le
ventre. Fourrager au creux des plis. Entre mes cuisses, si peu d’espace.
Tant de chaleur. Et la peau tendue à l’extrême sur mes hanches. Mon cul,
superbement vaste, la raie profonde. Ceci serait mon corps.
J’explorerais chaque parcelle de son divin paysage. Je serais grosse. Je
serais belle. J’allumerais la gourmandise dans le regard des hommes. On
me remarquerait, enfin ! [Pour
FPDV n°8, thème Fantasme]
Tu trouves pas qu’il fait froid
? Il demande. Et elle, elle se contente de hausser les épaules.
Il sirote une gorgée de café, se gratte les couilles
discrètement, feuillette le journal. Ça chauffe dans la rue en
ce moment, il dit. Et elle, elle continue d’étaler la peinture
sur sa toile. Faudrait écouter les infos de temps en temps, il
murmure. T’intéresser un peu au monde dans lequel tu vis…
Bordel, qu’est-ce que ça caille, il répète. Tu voudrais pas que
j’installe un radiateur dans ton atelier ? Et elle, elle hausse
encore les épaules. Le froid, elle s’en moque. Elle a mis ses
tongues avec des chaussettes et trempe le bout de son pinceau
dans une tache de soleil.
Le froid de la rue
remonte le col des passants
et des volutes gris-blanc
s’envolent des bouches d’égout
j’imagine un monde
planqué sous la surface
de notre réalité
des créatures étranges
qui fument leur cigare
ou boivent un thé brûlant
en écoutant le chant de
nos semelles sur l’asphalte
Aujourd’hui
j’ai envie
de rien
sauf
prendre un bain
et regarder
l’eau refroidir
autour de ma peau
je voudrais
me dissoudre
couler en tourbillon
gris
avec la crasse
dans le trou du fond
de la baignoire
faire
comme si je n’avais
jamais existé
[Autoportrait en fond de baignoire, photo Marlene T]
Quand tu regardes ses jambes
et sa bouche et ses cheveux
qui bougent dans la lumière
Il y a des choses qui se dessinent
dans tes yeux
et c’est pas les paillettes
pas seulement
je sais comme elle est belle
pas seulement
belle
vivante vibrante
sa peau
son ventre qui palpite
l’avenir et tous les possibles
que tu pourrais faire germer en elle
des vies nouvelles encore
alors que moi
il me reste tellement peu
à t’offrir
J’habite dans le cimetière
de tes amours passés
planquée dans la pénombre
de tes vagues souvenirs tremble darling tremble je reviens te hanter
à jamais
What would you think of me if I told you
I haven't slept in weeks?
I've been up chasing my childhood with a pin
These are dreams old men dream
Tu avances
sur la pointe des pieds
doucement
sans bousculer les heures
et parfois tu te demandes
si vraiment
tu irais plus loin
beaucoup plus loin
dans la vie
en courant
en sautant au dessus
des gens
et des
flaques de jours ordinaires
Le ciel est sombre. On dirait que la nuit se pointe prématurément. Un
arrière-goût de fin du monde. Le soleil au beurre noir. Et même dans tes
yeux, j’entends l’orage qui gronde. Tu veux quoi ? tu me demandes, en
regardant le plafond. Tu veux te barrer, c’est ça ?
Non, c’est pas ça. C’est pas si simple. Je serre les dents sur mon
silence. Étouffer la guerre dans mon ventre. Je voudrais pouvoir fuir
sans avoir à partir. Trouver une issue. Un chemin. Et dans ma tête
s’imprime l’itinéraire d’un coup de poing dans la gueule. Celui que
j’attends pour me remettre les idées en place. Celui que je sens mûrir
au bout de ton bras.
T’écrases ta clope et souffles une frange de fumée blanche. Les nuages
galopent. J’ai la pluie au ras des cils. Putain de météo ! Tu t’approches
et enroules tes bras autour de moi comme un imperméable à idées noires.
Pourquoi ? Je mérite pas tout ça, bordel ! Ton amour, ta patience. La
douceur est un langage que je ne comprends pas. Faudrait que tu me
parles en braille. Avec tes mains. Très fort. Faudrait que tu me fasses
mal.
Faudrait que tu me réapprennes la vie depuis le début.
Sometimes you’ve got to rewind to go
forward
[Badly
Drawn Boy, Have you fed the fish]
Tends ta joue, dit papa. Tends ta joue, bordel ! Et essaye pas de te
protéger.
Je tends ma joue et je ficelle mes doigts les uns aux autres derrière
mon dos. J’aperçois la grosse main de papa s’élever au-dessus de ma sale
petite gueule. J’ai les jetons. J’ai beau avoir l’habitude, à chaque
fois je sens mes muscles qui se raidissent juste avant l’impact. Je
ferme les yeux.
Ferme pas les yeux, dit papa, ou je t’en colle une deuxième !
J’ouvre les yeux. Je ne me souviens plus pourquoi papa est en colère.
J’ai peur. J’ai mal au ventre. La mandale me tombe dessus. Je suis
toujours debout. À peu près.
La fissure dans le mur
me regarde et se fend d’un sourire
il est deux heures trente du matin
j’ai échoué, je ne sais comment
au sous-sol de mes rêves
il y fait sombre et humide
et des racines pendent du plafond
comme si mes songes se prenaient
pour des pissenlits
narguant mon appétit
mais moi c’est de crêpes
dont j’ai envie
Amoureux de Brautigan, il n’est
pas trop tard pour se procurer la revue Microbe qui fête
ses 10 ans en consacrant son n° 61 au grand Richard ! J'en avais
déjà parlé là
au moment de sa sortie. Pour se le procurer, voir directement
avec Eric ICI
Toute la nuit j’ai cherché le sommeil entre les draps
mais il avait décidé de déserter mon lit
alors ce matin pour le rendre jaloux
j’ai mis l’automne à mes pieds
On picore des frites molles en barquettes et la sono est vraiment à
chier mais c’est tellement bon d’être là, pieds nus dans l’herbe sèche.
Ton bras autour de mes épaules. Nos corps qui se tiennent chaud, sans
rien demander de plus que cette proximité paisible. Autour de nous, des
gens chantent, dansent et sourient. La vie palpite et les étoiles
clignent de l’œil sous une paupière de nuit fardée. Ce soir on pourrait
presque croire que les oiseaux noirs vont déserter leur nid au creux de
mes cheveux…
Chups (Michelle MARTINELLI)
Neuneux et plaisants (Méryl MARCHETTI)
Hors du dedans (Diane MEUNIER)
Esquirol, département Matisse (Thomas ROUSSOT)
« Que dire de toi ? » (Sébastien KARKOSZKA)
L’idiot du stade (Barbara ALBECK)
Le caillou de Brazzaville (Virginie HOLAIND)
Le gars assis à côté de moi dans l’Eurostar (Marlène TISSOT)
Les travers (Dominique PASCAUD)
Reduced Britney Spears (Alban LECUYER)
Suites (il)logiques (Isabelle GUILLOTEAU)
Laisser la langue filer (Etienne DIEMERT)
Bec de seau (Anne PESLIER)
Idiot moi-même (Emmanuel VASLIN)
Alexandre (Catherine YSMAL)
Chanter pour les merles (Guillaume SIAUDEAU)
Triple idiot (Patrice MALTAVERNE)
La bêtise des astres (Nicolas SCHOENER)
Après les inventions (Ernesto CASTILLO)
Top rengaines (Lionel FONDEVILLE)
Salsifi Day (Jean-Marc FLAPP)
L’idiot (Tristan FELIX)
Rubriques :
Questions à : Lucien SUEL
Regards croisés sur : « Berthe pour la nuit » (Antoine MOUTON)
Fenêtre sur : la revue N4728
À lire à voir à ouïr (nos auteurs ont aimé…) [Pour plus d'info, cliquer sur l'image]
Quand le dedans fait la guerre au dehors
son corps douloureux
prêt à se déchirer
se disloquer
sous la pression d’une rage née de de quoi exactement ?
trois fois rien, la plupart du temps ! quand le dedans passe par-dessus bord
qu’elle se déborde
elle sort
dans la nuit des rues vides
flairer l’absence
gober la lumière aux fenêtres des autres
semer des grains de regards
dérobés
à celles
à ceux
qui à cette heure font à dîner
ou la vaisselle
l’amour
la gueule parfois
à celles, à ceux
qui vivent ou qui savent
faire semblant un peu mieux qu’elle
En juin à Londres , j'ai vu ce portrait écorché sur le mur
[mentioned in my
London Trip Diary] et ça m'a fait comme une lumière qui
rassure dans le noir. Je ne connaissais pas Vhils, mais je suis
heureuse d'avoir croisé le chemin de son art !
Pour en découvrir un peu plus sur Alexandre Farto aka VHILS, il
suffit d'aller fureter par Ici
ou par Là.
Voir notamment dans la rubrique Billboard sa série "Compro
Logo Existo" (j'achète donc je suis).
Quand je regarde les fenêtres des gens
le soir
c’est un peu comme si la rue était devenue
un cinéma géant
qui jouait des dizaines de petits films
muets
Accroche-toi
à moi
ou
moi à toi
accroche-toi
à tout
ce que tu pourras trouver
d’assez solide
pour y poser tes mains
glisse tes doigts
dans le presque rien
griffe la poussière
et les détails
tisse les fils des jours
autour de nous
serrés
accroche-moi
à toi
avant que je tombe
Hang on to each other
(or anything you can get yr fucking hands on) byartist
Know Hope
Tous les soirs
la fissure dans le mur
me regarde
avant que je m’endorme
elle ne cesse de s’élargir
jour après jour
montre ses dents
sourire cruel
prête à mordre
et chaque matin
je m’ étonne presque
de n’avoir pas encore
été bouffée par
sa grande gueule de plâtre
Il se met à pleuvoir
subitement
avec rage et
les parapluies fleurissent
sur les trottoirs
les pas claquent
rapides
les gens s’abritent
où ils peuvent
quelques hommes
devant le PMU
bavardent
cols de veste remontés
ils échangent
des nouvelles ou
des tuyaux
et va savoir si
ce qu’ils cherchent
en cochant les cases
sur leur grille
c’est de l’argent rapide
ou bien un peu d’espoir
un endroit tiède pour
préserver les miettes
de leurs rêves
Le chat se promène
sur le rebord du balcon
septième étage
entre ciel et bitume
et je me demande
ce qui lui donne cet air
si sûre de lui
persuadé que rien
absolument rien de terrible
ne peut lui arriver
en cet instant
suspendu
Il voulait danser
sur cette chanson d’amour débile
me serrer dans ses bras
en tournoyant sous les étoiles
il était presque aussi ivre que moi la vie est belle, il a dit
et j’ai fait semblant d’y croire
(un peu)
on s’est cassé la gueule
dans l’herbe humide
et on est resté là
parce que c’était pas pire qu’ailleurs
parce qu’on était incapable
de se relever
parce que nos solitudes
l’une contre l’autre
se tenaient chaud
et
se rassuraient
(un peu)