Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
Le n°70 de la revue
bilingue français-anglais
MGVersion2>Datura, orchestrée par
Walter Ruhlmann, est sorti. Il se commande en version papier par
ici ou se lit en ligne parlà.
De la fiction, de la poésie, des photos et un sommaire plus qu'alléchant
dans lequel on retrouve entre autre Sebastien Ayrault, Patrice
Maltaverne, Cathy Garcia, Stéphane Bernard, Vincent, Christophe Siébert,
et des tas d'autres que je me suis régalée à découvrir !
Devenir la vie
Cette nuit, je n’ai pas parlé aux macchabées sous leur pierre. Je ne les
ai pas écoutés non plus. Il n'y avait que ces bruits dans moi, comme une source
souterraine enflée. En rentrant ce matin, j’ai piétiné une flaque qui
reflétait un coin de ciel bleu. Je suis resté là un moment, les semelles
collées à l’instant, et j’ai demandé à la terre d’attendre encore un peu
avant de me dévorer. J’ai demandé au ciel d’arrêter un moment de me
tenter. Depuis Mary, l’ici, l’entre-deux, le nulle part s’est mis à
devenir la vie. ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Back to life
[Paris juin 2012, photo Marlene T]
Jeudi 28 juin 2012
Light
Tu
brilles dans moi
comme une boule à facette
une multitude de petits bouts de toi
scintillent au creux de mon ventre
et allument des feux
pas toujours si sauvages
pas toujours si tranquilles
[Photo Marlene T.]
Mercredi 27 juin 2012
Les lames
Tout ça, c’était autrefois. Il s’est passé des tas de choses autrefois.
Des tas de choses...
Il y a eu papa qui faisait mal quand la nuit tombait. Il y a eu beaucoup
de silence malgré les cris à l’intérieur de moi. Il y a eu l’hôpital, il
y a eu l’été, il y a eu la pension ou maman m’a envoyée. Peut-être que
c’était pour mon bien, je ne sais pas. Alors ce fut la fin de certaines
choses. Celles dont je ne sais pas parler.
J’ai pris le train un matin de septembre. L’école était très loin.
J’avais quatorze ans, des cahiers neufs et un uniforme bleu sombre comme
toutes les autres filles. Je ne connaissais personne et là-bas, personne
ne savait rien de moi. Un peu comme si j’étais propre à nouveau. Mais
j’avais l’impression que l’odeur de papa s’était infusée sur ma peau. Ça
m’empêchait de me faire des amies. Tôt ou tard, il aurait fallu que je
me confie et j’ignorais si je serais capable de mentir.
L’année s’est écoulée. J’avais toujours autant de silence dans la bouche
et souvent des voix parlaient dans ma tête. Un nouvel été arrivait. Je
suis rentrée à la maison. Papa évitait de croiser mon regard. Il ne
disait pas grand-chose. Parfois il soupirait, s’inquiétait du prix de la
pension, suggérait à maman de me faire revenir définitivement parce que
ça suffisait comme ça l’argent balancé par les fenêtres. Alors maman
piquait sa crise. Elle disait qu’elle n’en pouvait plus de tout ce
bordel et qu’un de ces jours elle finirait par tout raconter, qu’elle
s’en irait de ce trou à rat et referait sa vie. Mais elle s’en allait
jamais, maman. Soit parce qu’elle aimait papa malgré tout, soit parce
qu’elle savait bien que si elle parlait de tout ça à qui que ce soit
papa irait en taule mais elle aussi, maman, elle se retrouverait
derrière les barreaux.
Un autre septembre est arrivé, je suis retournée à la pension avec mon uniforme un peu
moins neuf, un peu trop court, et j’ai appris à devenir coiffeuse.
J’avais quinze ans. Maman disait que j’étais en âge d’apprendre un
métier. Que c’était la meilleure chose à faire, que le travail c’était
la liberté. J’ignorais quelle saveur pouvait avoir la liberté mais je
rêvais d’y goûter. Aujourd’hui je coupe les cheveux des hommes dans un
salon bourgeois sur les boulevards d’une grande ville. Il m’en passe des
tas entre les mains, des hommes. Et ce qui me plait le plus, je crois,
c’est tenir les ciseaux, les rasoirs, si près de leur visage. Savoir
qu’à chaque instant il m’est possible de leur planter des lames
tranchantes dans les yeux ou dans la gorge. C’est peut-être ça la
liberté.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Lundi 25 juin 2012
Far
far away
Aller
plus loin que loin
franchir des frontières
qui ne se dessinent pas
S'enfuir
[Paris juin 2012, photo Marlene T]
Samedi 23 juin 2012
My
own private idéaux
Eteins
toutes les lumières
et regarde-moi dans la peau
je voudrais être belle pour toi
d'une beauté que personne d'autre
ne pourrait voir
It's
time to dive (10)
[Londres, photo Marlene T.]
Vendredi 22 juin 2012
Crever l'oeil
Mary a crevé l’oeil de la porte. Il lui faisait peur. Comme le
cristallin vitreux d’un bovin mort sur l’étal du boucher. Elle
s’approchait, tremblante, de la porte aux cinq verrous, vérifiait de
l’autre côté à travers l’oeil et sans cesse l’image revenait, toujours
la même. Papa qui tambourinait et demandait d’ouvrir, suppliait,
chialait presque, promettait que tout était fini, qu’il avait changé,
voulait juste parler, s’excuser, s’expliquer. Papa qui plaquait sa
gueule rouge pleurnicharde contre l’oeil de la porte et qui geignait
Mary, Mary, Mary...
Il était resté longtemps. Et il attendait quoi au juste ?
Mary ne comprenait rien. Elle avait peur, c’est tout.
Elle guettait à travers l’oeil de la porte, maladivement. Elle a fini
par le crever histoire d’avoir la paix. Elle a ajouté un verrou aussi,
mais ça ne suffit pas. Parfois elle colle son oreille contre le bois et
écoute respirer l'immeuble. Papa est comme un loup. Il finira par
revenir, sans faire de bruit, quand elle ne s’y attendra pas. Alors elle
se tient prête, tout le temps, au cas où. Elle prépare chaque chose. Les
ciseaux, les rasoirs, le courage et la rage. La prochaine fois, elle
ouvrira la porte à papa, elle écoutera gentiment ce qu’il a à dire puis
elle lui fera une belle coupe de cheveux. Elle lui taillera la carotide
aussi.
Mary se demande si les souvenirs sont solubles dans le sang.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Jeudi 21 juin 2012
L’odeur de ta voix dans la pénombre bleutée d’une nuit d’hôtel
Chaque jour est un autre jour
qui trimbale ce qu’il peut de magie et de désastre
pour nourrir la grande histoire
Une heure à tuer entre deux trains. Je glisse mon pas dans le
pas de la foule. Le long des vitrines. J'avance au rythme
tic-tac des sacs suspendus en balancier au bout de bras
lianes. Des sacs partout. Des sacs pleins d'objets, des vitrines
pleines d'objets. Des achats. La faim d'avoir, la soif de
posséder. Compulsion. Le vide que chacun remplit comme il peut.
Les maillots de bain échancrés, les cravates en soie, les
bijoux, les cosmétiques, les costumes rayés, les chaussures. Les
chaussures roses de la fille, juste devant moi. Mon regard
kidnappé. Les chaussures roses et, plantées dedans, deux jambes
longues et fines, d'un blanc nacré comme le ventre d'un
coquillage au creux duquel on pourrait entendre, et voir et
flairer la mer. Il suffirait de fermer les yeux. Je pourrais me
noyer dans l'océan lacté des jambes de la fille. Envoyer ses
chaussures roses faire des ricochets sur l'asphalte. Goûter ce
qui ne s'achète pas. Faire ce qui ne s’ose pas. Rêver un peu
trop fort. Je pourrais laisser l'heure mourir doucement au lieu
de chercher à la tuer.
Condamnés à errer
en attendant que
la rue se termine
[Ménilmontant 19 juin 2012, photo Marlene T.]
Lundi 18 juin 2012
Paroles
Les gens me parlent.
Je suis silencieuse alors souvent, très souvent, les gens me parlent,
ils racontent, se confient, se confessent. Bien sûr, ils ne voient pas
que je suis comme une malle pleine à craquer, que je ne peux plus rien
contenir, pas un mot de plus, pas une anecdote, pas un regret, pas même
le plus petit souvenir, aussi délicieux soit-il. Rien. Je ne peux plus
rien avaler, mais.
Les gens me parlent encore.
J’écoute et je vomis leurs mots sans que personne ne remarque rien parce
que j’ai appris à faire tout doucement, respectueusement. Un petit
dégueulis d’âme pas plus lourd qu’un soupir. Parfois les gens me
regardent avec un léger hochement de tête, une manière de signifier que
tout ce silence, ils l’ont bien compris, c’est une invitation que je
leur lance, comme une manière de quémander leurs paroles, tous ces mots
dont leur bouche sont pleines, dont leur ventre est plein, et leur tête
et leur peau tendue, bouffie de mots, de choses à raconter, à cracher
comme un mauvais pinard. Alors que mon silence est la preuve du vide qui
m’habite, n’est-ce pas. N’est-ce pas ?
Les gens me parlent toujours.
Leurs mots piétinent les miens, les tassent lentement à l’intérieur,
ensevelissent tout ce que je tais. Je reste silencieuse. Jusqu’au jour
où peut-être les paroles des autres pèseront assez lourd pour tuer au
fond de ma chair ce qui ne peut être dit. Pour que le calme revienne
sous ma peau et que je puisse à mon tour parler. Simplement parler.
Crache
[Photo Marlene T.]
Samedi 16 juin 2012
Hurler à la lune
quand
le silence
fait trop de bruit
Se
changer en loup
[Photo Marlene T.]
Vendredi 15 juin 2012
Une
forêt et toi
Il fait
nuit
je suis seule dans le silence et
j'écoute le bruit d'une foret qui pousse
juste-là
des arbres transperçant mon matelas
des arbres tendus vers le ciel et les étoiles
et tout ce qui est trop loin pour qu'on puisse le toucher
mais ici, sur le feuillage des grands arbres
tout est possible
même me transformer en pluie tiède sur ta peau
même rêver de toi tendu comme un arbre vers le ciel
tendu vers moi
Jeudi 14 juin 2012
Rêve
de mots
Demain vendredi 15
juin, je serai à la librairie Rêve de mots, 66 rue Duguesclin à
Lyon pour une journée spéciale poésie. Merci à Isabelle pour cette belle
invitation et pour l'exposition photo associée. Bravo également aux
poètes de tout poil pour cette luxuriante floraison de mots !
Il faudrait que tu trouves la faille
l’endroit un peu moins dur que l’os
que tu pénètres mon cœur
comme le ver dans le fruit
que tu bouffes tout
la chair, le sang
que tu mettes à nu les sentiments
il faudrait démasquer le tendre
le comestible, le sucre
et la chaleur
que tu m’aides à prouver que
je ne suis pas entièrement
faite de pierre
TGV mag
Une chouette petite
chronique dans le TGV mag de juin
merci Francois Perrin pour sa belle lecture
mercredi 13 juin 2012
Une bague et un
peigne en acier
C’était quelques mois avant de mourir et alors, personne n’aurait pu
croire que bientôt il allait laisser crever son corps aussi facilement.
Une maladie violente et vorace comme une ultime maîtresse. Lui, il
devait savoir. Sentir. Mais il était très calme. Beaucoup plus calme que
d’habitude.
Ce jour-là, il nous a raconté la guerre, avec ses mots à lui, pas des
mots qui font peur, pas des images atroces. Juste des souvenirs simples
et implacables. Le froid, l’emprisonnement, la maladie et puis les
radios à réparer pour l’ennemi. La faim qu’il avait trompée un tout
petit peu, en coupant son pain très fin. Un bout de pain noir chaque
matin, divisé en dix minuscules tranches qu’il avalait le plus lentement
possible tout au long du jour. L'envie de vivre, la force de ne pas se
laisser dissoudre dans l'instant, les rêves qu'il avait su garder au
chaud quelque part dans son grand corps efflanqué, droit et digne malgré
la douleur.
Il s’était fabriqué une bague et un peigne avec des restes d’acier. Il
avait toujours ce peigne sur lui, encore aujourd’hui. Il nous l’a
montré, lissant ses cheveux fins et blancs. Il voulait toujours être
beau. Il nous a raconté comment les femmes allemandes l’avaient sauvé de
la mort plus d’une fois avec toute cette douceur qu’elles donnaient. Pas
du sexe, non, surtout de la tendresse et juste assez de chaleur pour
oublier un peu que des hommes s’entretuaient sans bien comprendre
pourquoi...
Traces
[Valence, photo Marlene T.]
Mardi 12 juin 2012
Chuuut !
Le chant du monstre
c’est cette petite musique
lancinante
qui nous résonne à l’intérieur
et qu’on voudrait pouvoir faire taire
Parce que le monstre fait peur
On se fait PEUR quand on se regarde vrai
C’est sans doute pourquoi
on se maquille
on se costume
on se déguise
on fait semblant
alors qu’il suffirait peut-être
de chanter avec la voix du monstre en nous
douce et dure
âpre et brûlante
il suffirait d’accepter les griffes
et les dents
et les gueules bancales
pour savourer le plaisir
Les autres sont toujours plus belles – elles ont la grâce des oiseaux
blancs – les autres se perchent sur des talons nacrés et leurs cheveux
touchent presque le ciel – elles parlent avec délicatesse – cascade de
mots sucrés sur l’arrondi gourmand de leurs lèvres – les autres savent
s’écrouler sans jamais provoquer le chaos – elles ont la peau fleurie et
des ailes de papillon à la place des paupières – les autres sont douces
– elles ont les larmes comme des diamants – les autres savent exactement
comment s’y prendre pour se blottir dans les bras des hommes – comme si
la forme de leur corps avait été dessiné par les anges – les autres sont
des princesses – les autres sont belles – toujours plus belles que moi
[Pour
FPDV, avec photo d'une autre...]
Vomit
[Girls, album "Father, Son, Holy Ghost]
Samedi 9 juin 2012
C’est tout ce que
tu mérites
Je foire - toujours - il faut toujours que je m’arrange pour que les
choses ne marchent pas - que les gens ne m’aiment pas - et moi je n’aime
pas les gens - il n’y a qu’avec l’alcool que j’ose aimer les gens - et
je ne sais pas si c’est parce que l’ivresse libère des choses en moi -
ou si ce n’est qu’un mirage cette sensation d’aimer - après je me
réveille et le cauchemar recommence - je redeviens froide et rigide et
tellement douée pour tout faire foirer - je ne sais pas pourquoi - je
m’y prends à merveille pour que les gens ne m’aiment pas - et je me dis
- c’est tout ce que tu mérites – c’est tout ce que tu mérites
Arachnophilie (3)
[Valence, photo Marlene T.]
Vendredi 8 juin 2012
Cocon
Certaines peines
ont la douceur
d’un ventre maternel
cocon au creux duquel
à l’abri
doucement
on prend forme humaine
Arachnophilie (2)
[Valence, photo Marlene T.]
Jeudi 7 juin 2012
Le
soleil
Un nuage comme une île
secrète, déserte
où je me prélasserais nue de l’âme
Et au dessus
toujours
le soleil avec ses bras tendus
Please, have a sit
[La Friche RVI avant l'incendie, photo Marlene T.]
Mercredi 6 juin 2012
Iceberg
Le pommeau de douche pendouille au bout du tuyau et goutte lentement
dans l’eau du bain, grise, froide. Franck ne bouge pas, enfoncé jusqu’au
menton, lèvres bleutées. Chaque fois qu’il frissonne, la surface de
l’eau se trouble, ondule quelques instants et puis reprend sa place le
long de la ligne de crasse dessinée sur l’émail de la baignoire. Franck
regarde le mur. Ne regarde rien du tout. Regarde à l’intérieur de lui et
il n’y a que du vide. Il se dit, c’est étrange, je n’arrive même plus à
penser. Pourtant il pense. Il pense qu’il faudrait sortir de l’eau avant
de se transformer en iceberg. Il pense qu’il était vachement sale quand
même et que, sans doute, il devrait se laver plus souvent et puis se
faire un shampoing. Sa frange mouillée colle à son front. Ses cheveux
sont trop longs, il le sait, mais il retarde le moment d’aller chez le
coiffeur. Sentir des doigts sur lui le rend malade, nerveux, il tremble
et puis se fait engueuler parce que bordel, on n’a pas idée de s'agiter
comme ça sous une paire de ciseaux.
Parfois, il voudrait démissionner de sa peau. Ne plus avoir aucun
contact avec lui-même ni avec qui que ce soit. Autrefois, maman lui
coupait les cheveux. Et puis elle restait avec lui dans la salle de bain
pendant qu'il faisait sa toilette. Il fallait toujours faire vite. Maman
n’aimait pas qu’il se lave. Elle disait que dès qu’elle avait le dos
tourné, il en profitait pour se toucher, que c’était dégoûtant, honteux,
répugnant et qu’il irait en enfer.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Lost
[Photo Marlene T.]
Mardi 5 juin 2012
Déchet
Un peu de mort dans la vie quelque part sous la peau
comme un début de putréfaction
je porte en moi de la matière en décomposition
du déchet, du déchet, du déchet
et peut-être bien qu’il suffirait d’y semer quelque chose
un regard doux
quelques graines de tendresse
pour qu’il y germe enfin un peu de beauté
que mes pensées à rebrousse poil cessent de creuser
s’enraciner drues dans le compost
cessent d’étouffer les traces d’une époque sans doute inventée
une époque où l’été existait, jaune et bleu
une époque où le soleil infusait doucement ma peau
et je ne portais qu’un slip de bain, pas de haut
parce qu’alors ma vie ne craignait aucune caresse
aucun regard
une époque qui laissait sur ma langue un gout de bonbon
et pas des mots noirs
et pas de la peur
peut-être bien qu’il suffirait de semer en moi
un peu de douceur
ou simplement planter un couteau dans mon cœur
pour le punir de n’avoir jamais su
fonctionner correctement
Stick a
knife inside me and twist it all around
[Jack White, Love Interruption]
Lundi 4 juin 2012
De
l'élasticité de l'amour
Etirer
les sentiments jusqu'au point de rupture.
Relâcher. Mesurer. Recommencer.
Que constatez-vous ? (Argumentez votre réponse)
I'm not a fucking game
[Photo
Marlene T.]
Samedi 2 juin 2012
Un Monstre
Il n’a pas toujours été un monstre, pourtant.
Elle se souvient, Mary, quand elle était petite, vraiment toute petite
et que papa l’emmenait jouer au parc. Il poussait le tourniquet très
fort et le paysage devenait flou, des traînées de couleurs, un monde
filant comme une étoile. C’était beau et ça donnait mal au ventre un
peu. Quand ça s’arrêtait Mary ne savait plus marcher droit et papa
riait. Il n’a pas toujours été un monstre.
Il lui tendait les bras, au pied du toboggan, après la grande glissade,
le vertige délicieux et le courant d’air qui tirait les cheveux vers le
ciel sans faire mal, sans jamais faire mal. Papa n’était pas encore un
monstre et Mary savait s’amuser. C’était avant. Il y a longtemps.
Ensuite papa s’est mis à vouloir jouer à d’autres jeux qui ne plaisaient
pas du tout à Mary. Il se transformait en loup ou en ogre et Mary
n’avait pas le droit de crier. Le parc, c’était fini. Les rires avaient
fondu. Il restait tout juste un peu de nacre, un reflet d’enfance
friable, au fond des yeux de Mary.
Dans sa chambre, elle écoutait les bruits de la rue, de l’autre côté de
la fenêtre, les enfants du quartier qui riaient et criaient. Parfois
elle les regardait se transformer en indien, en cowboy, en institutrice,
courir dans la poussière, habiller une poupée, sauter à la corde, lancer
des ballons. Elle aurait bien voulu se rappeler comment il fallait faire
et puis descendre les rejoindre, être une toute petite fille à nouveau,
s’amuser, s’amuser à en perdre haleine et rentrer le soir avec les joues
sales d’autre chose que des larmes.
Papa n’a pas toujours été un monstre, pourtant.
Mary se demande ce qu’elle a bien pu faire pour qu’il se transforme
comme ça…
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Fade away
[Italie Aout 2011, photo Marlene T.]
Vendredi 1er juin 2012
Frontière [à C.Siébert, hommage à ses poésies
portables]
De ces
instants où je rêve - d'être une petite vieille - entourée de cents
chats - qui pissent partout - en guise de frontière - avec le reste du
monde
Sous l'oeil de la girafe [pour Boris Crack]
[Valence, Photo Marlene T.]
Jeudi 31 mai 2012
On s’est
rencontré
Le gars était au pied de l’immeuble, devant le vieux porche. Franck l’a
repéré en tournant au coin de la rue. Il était là pour lui, ça ne
faisait aucun doute, Franck aurait pu le jurer. À la manière que l’autre
avait de regarder sa montre et les fenêtres et le ciel qui enfilait
lentement son habit de jour blanc. À la manière qu’il avait de tirer sur
sa clope et disparaître un peu dans un brouillard de tabac.
Franck aurait pu faire demi-tour – le gars ne l’avait pas encore vu –
mais il a continué d’avancer. Sans ralentir ni se presser. Sans
transpirer, sans siffloter. L’autre a fini par tourner la tête. Les
regards se sont rencontrés, interrogés peut-être, sans animosité. Sans
inquiétude. À peine un voile de curiosité ordinaire. Le gars a écrasé sa
clope et est allé à la rencontre de Franck. Il a salué et tendu la main
avant de demander : « Franck ? »
Franck s’est contenté de hocher la tête avant de demander à son tour : «
Vous êtes flic ? »
L’homme a souri. « Ça se voit tant que ça ? » puis il a ajouté « Vous
avez un petit moment à m’accorder ? ». Franck a haussé les épaules. Il
n’avait pas vraiment le choix, ce n’était pas tout à fait une question.
« On va chez vous ? » a demandé le flic. Franck a grimacé. Il pensait à
la vaisselle sale, aux volets clos, au désordre, aux bouteilles de
bière, aux miettes de biscottes sur le sofa, à sa crasse, à ses monstres
enfermés là-haut. « Je n’ai pas eu le temps de faire les courses, on ne
pourrait pas plutôt aller prendre à café à côté ? » il a proposé. Le
flic a hoché la tête.
Le serveur est venu passer un coup de lavette douteuse avant de poser
sur la table deux tasses de café. « Vous faites quoi dans la vie ? » a
demandé le flic.
« Je suis gardien de nuit dans un cimetière, a répondu Franck. Il y a eu
pas mal de vandalisme ces dernières années, alors ils ont décidé
d’embaucher. De minuit à sept heures, je fais des rondes, j’écoute les
morts soupirer sous les pierres. La plupart du temps, il ne se passe pas
grand-chose… »
Le flic a hoché la tête. Il a fouillé dans la poche intérieure de sa
veste pour en tirer un paquet de clopes et une photo. « Vous fumez ? »
il a demandé puis, sans attendre de réponse, il a déposé la photo face à
Franck. C’était Mary.
« Vous la connaissez ? »
Franck a penché un peu la tête sur la droite. « On s’est rencontrés… »
il a répondu, laconique. [Franck, "Les voix", roman en cours de tricotage]
Trois baguettes molles et
des bouteilles de pinard bien alignées
[Paris, novembre 2011, Photo Marlene T.]
Mercredi 30 mai 2012
Blanc comme neige
Il y a parfois plus de pureté sous la crasse
que dans les poches de costumes immaculés.
It's time to dive (8)
[Photo Marlene T.]
Mardi 29 mai 2012
The
Wall
J’avais dix ans. Ils passaient le film des Pink Floyd dans cette petite
salle de ciné du trou du cul de la Drôme. Papa et maman n’avaient pas
encore trente ans. Ils fumaient des joints, peignaient des arcs-en-ciel
au plafond et rêvaient de changer le monde sans trop savoir comment s’y
prendre. Ils écoutaient Thiéfaine et Bill Deraime et les Pink Floyd. Ce
soir là, ils avaient très envie d’aller voir The Wall au ciné. Ils m’ont
emmenée avec eux. Parce que j’avais peur du noir. Parce que la vieille
baraque dans laquelle on vivait ne fermait pas à clé. Parce que j’avais
dû chialer pour ne pas rester là toute seule avec le mistral qui giflait
les arbres et leur faisait pousser des cris terribles, surtout la
nuit...
J’avais dix ans. J’ai vu The Wall et je me souviens de certaines images.
Un type dans une piscine pleine de sang. Des écoliers qu’on transformait
en viande hachée. Des fleurs carnivores s’entredévorant. Des marteaux
qui marchaient au pas. Le visage de ce type qui hurlait à travers la
peau du ventre du mur. Un ciel apocalyptique, des avions de guerre, de
grands oiseaux noirs. Je me souviens de la musique surtout et de cette
presque sensation de voler en l’écoutant. Je fermais les yeux parfois
au cours de la séance, à cause de la fatigue ou bien peut-être de la peur.
Je me rappelle que mon cœur battait très fort et même en sortant du
petit ciné et même dans mon lit plus tard avec les yeux ouverts
jusqu’aux premières lueurs du jour.
Les étoiles filaient, le mistral bousculait tout et moi je repensais à
ce film que je n’avais pas vraiment compris et cette musique envoutante.
J’avais dix ans et c’est peut-être cette nuit-là que j’ai commencé de
bâtir un mur autour de moi, brique après brique, mais pas à cause du
film, non. Plutôt à cause du monde qui me fichait la trouille davantage
que le film. Je crois que personne n’a rien remarqué de mon désarroi ni
de ma réclusion lentement tressée. J’étais une enfant silencieuse. Parfois, on
s’approchait de ma paroi de peau et on me demandait : Hello, is there
anybody in there ?
Certains murs sont plus faciles à construire qu’à abattre. Certains murs
sont des prisons qu’on dresse autour de soi sous prétexte de se
protéger. Personne ne peut me faire de mal, sauf moi. Personne, sauf moi...
Comfortably numb
[Pink Floy - The Wall]
Lundi 28 mai 2012
Etre
soi
Quelles
que soient les circonstances
rester fidèle à cette petite voix
qui chante des berceuses
à nos terreurs
Don't go too far
Stay who you are
[Elliott
Smith -
Independance day]
I'm
no angel
[Londres, Photo Marlene T.]
Samedi 26 mai 2012
À mains nues
Quand j’étais môme, maman voulait que je sois flic. Maman planifiant ma
vie. Elle décidait d’à peu près tout me concernant. Mes fringues, mes
coupes de cheveux, mes jeux, mes amis, mes dessins animés préférés.
J’évitais de la contrarier, j’aimais pas qu’elle me hurle dessus.
Parfois, je me demande jusqu’où elle aurait pu aller si j’avais continué
de la laisser faire. Ça a quand même duré jusqu’à ma première expérience
sexuelle. Probable qu’ensuite elle aurait orchestré mon mariage, ma
maison, mes crédits, mes vacances à la plage...
Souvent, elle disait qu’il faudrait que plus tard je n’habite pas trop
loin de chez elle. Parce qu’elle pourrait avoir besoin de moi et moi
d’elle, n’est-ce pas ? Et puis il faudrait que j’épouse une femme qui
saurait bien s’y prendre avec le quotidien, une qui pourrait la
remplacer un peu, mais pas tout à fait, parce qu’une mère c’est
irremplaçable, hein ! elle disait.
Quand j’étais môme, maman voulait que je sois flic et elle m’a offert un
flingue en plastique, une belle imitation, noire et lourde et qui
claquait bruyamment quand on appuyait sur la détente. La première chose
que j’ai visée, c’était elle, maman, en plein entre les deux yeux et
elle a trouvé ça amusant. Moi, j’avais un peu peur, parce que je sentais
que parfois l’envie n’était pas loin de la buter pour de bon. J’y
pensais, de temps en temps. À dix neuf ans, j’ai foutu le camp
définitivement, juste après notre dernière dispute. Maman me cognait
dessus et hurlait et insultait, bave aux lèvres, parce que j’étais
rentré au petit matin et que je refusais de lui dire d’où je venais,
avec qui j’étais, ce que j’avais foutu. Les crises habituelles quoi.
Mais ce soir-là j’ai senti que j’en aurais été capable. Vraiment
capable. J’aurais pu la tuer. Froidement. À mains nues.
[Franck, "Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie
[Valence mars 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 25 mai 2012
Un
peuple
Et toi, est-ce que tu sais qui tu es ? Moi,
j'habite un village à l'intérieur des frontières de ma peau. Je
suis une tribu. Tout un peuple incapable de cohabiter. En guerre
permanente. Il y a beaucoup de cris, de combats, de blessures.
Les petites victoires reviennent aux uns, aux autres, tout
dépend les jours. C'est la loi du plus fort. Ce n'est pas
toujours la même voix qui parle par ma bouche, tu as remarqué ?
[Mary, "Les voix", roman en cours de tricotage]
Locked
[Valence juin 2011, Photo Marlene T.]
Jeudi 24 mai 2012
Lâcher prise
Dans ce rêve, c’était étrange. Ton corps contre mon corps à travers une
épaisse couche de vêtements, et leur manière, pourtant, de se parler avec tellement
de vérité, comme seuls des étrangers peuvent le faire, comme seul des
peaux qui ne parlent pas le même langage osent le faire. Des mots
affamés et exténués. Et je me souviens avoir songé que peut-être le
vrai, la liqueur du vrai, se cachait là, dans tout ce qu’on retient et
qui se murmure avec le bruit des peaux cherchant à se découvrir. Dans ces
instants où enfin on se décide à lâcher prise, à abolir les frontières.
Dans ce rêve, ton corps contre mon corps...
L'angoisse n°2
Réfléchissez cinq minutes. Regardez la gueule des
étudiants. Regardez la gueule de leurs parents, regardez la gueule des
jeunes adultes, la gueule des vieux, la gueule des très vieux, regardez
quelle gueule tire le monde et réfléchissez cinq minutes.
On est cerné. On est cerné par le travail, l'hygiène, la sécurité, la
santé et toutes ces saloperies. On est écrasé d'un côté par ce que les
crétins appellent la culture et de l'autre par ce que les salauds
appellent le divertissement. On est cerné par la passivité, par
l'indifférence générale et par l'indignation, l'indignation ridicule,
qui se présente comme un antidote à tout ça. Les cons d'un côtés, les
cons de l'autre, et au milieu : une poignée de cons qui se prennent à la
fois pour les derniers romantiques, les derniers des mohicans et les
derniers cow-boy. Autant dire que dans cette nuit épaisse et médiocre
qui nous entoure, la cohérence nous éclaire comme un phare qui aurait
oublié de payer EDF.
Ecrivez, bande de cons.
Faites des dessins.
Montez des groupes.
Ouvrez des salles.
Foutez sur les murs des alexandrins bancals.
Enculez-vous.
Aimez-vous un peu.
Ne mourrez pas tout de suite, attendez, attendez encore.
Au lieu de vous pendre, de vous empoisonner, de vous jeter sous les
trains, de trancher des bouts de votre corps, au lieu de mourir,
photocopiez votre vie aux quatre vents. Photocopiez votre peur.
Photocopiez votre haine, votre tristesse, votre ressentiment,
photocopiez votre angoisse.
Les caissières débiles de Carrefour. Les flics hargneux. Les enfants
cons comme des chaises. Les fous. Les tristes. La patronne de bar
alcoolique. L'assistante sociale qui ne comprend rien à rien. La
comptable déjà morte. Le médecin qui fait des cauchemars. Le cadre moyen
qui ne dort pas la nuit. L'amateur de cachets. L'amateur de de grosses
motos. Tous ceux qui pleurent sans raison en écoutant Europe 2 chaque
matin à six heures. Tous ceux qui lisent le Nouveau Détective dans les
trains. Tous ceux qui lisent Voici allongés seuls dans leur lit. Ceux
qui font la queue un tiers de leur vie dans des supermarchés qui leur
volent leur ombre. Tous ceux qui ne nous regardent pas, ne nous écoutent
pas, ne nous lisent pas. Tous ceux pour qui nous faisons ce que nous
faisons.
Nous le faisons pour vous sauver. Mais aussi, au bout du compte, on fait
ce boulot pour avoir votre peau. C'est vous ou nous, au bout du compte.
Et vous gagnez toujours. Vous gagnez toujours à la fin. Coupons une de
vos têtes et il en pousse cent, il en pousse mille. Coupez-en une des
nôtres, et il faut parfois attendre cinquante ans pour qu'arrive la
suivante.
Lisez l'Angoisse. Participez à l'Angoisse.
[Chistophe
Siébert]
et puis, abonnez-vous à
L'Angoisse !
Mercredi 23 mai 2012
War in wonderland
Certains soirs, Mary voudrait que sa rage soit comme un poison chimique.
Qu’elle se diffuse et enfle dans son corps. Qu’elle la transforme, comme
le docteur de la série, en un monstre vert invincible et destructeur.
Elle serait gigantesque dans sa petite chambre d’enfant. Comme une Alice
ayant croqué le biscuit. Certains soirs elle voudrait que les choses
soient autrement alors que papa vient et qu’elle est minuscule comme
Alice après avoir bu la potion. Papa est un poison qui fait rétrécir. Et
la rage, bon sang, est-ce que la rage ne pourrait pas prendre son boulot
au sérieux et redonner à Mary sa taille normale ?
Mary n’est plus une toute petite fille. A l’extérieur elle se transforme
en presque une femme, mais dans son cœur et sa peur et sa chambre, elle
est minuscule. Elle a sept ans et des ours en peluche sur son lit et un
poster de princesse au mur et des rideaux à fleurs rose pâle.
Quelque chose la retient prisonnière dans la minusculité de la vie. Une
kryptonite qui lui bouffe jusqu’au dernier gramme de sa force. Elle est
une fillette chamallow,
Mary. Et pourtant, elle en a envie de cette guerre, tout détruire de cet
univers étriqué, maison de poupée, prison, musée des tortures. Et puis
papa qui ne se fatigue jamais. Et puis maman que ne dit mot-consent. Ce
n’est pas neutre le silence. C’est un choix. Une arme lente et
insidieuse.
Certains soirs, Mary rêve de devenir une Alice géante et verte de rage.
Tout piétiner le pays des merveilles de papa et ses couilles aussi. Tout
détruire. Et puis semer le passé derrière elle en courant encore plus
vite que le lapin blanc. C’est pourtant pas compliqué les rêves de mary,
n’est-ce pas ?
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Follow the white
carrot
[Londres, photo Marlene T.]
Mardi 22 mai 2012
Costume blindé
Ce
réflexe presque vital
de me couler dans une peau
de béton et acier
dès que les choses deviennent
fragiles-instables-violentes
à l'intérieur de moi
It's
time to dive (7)
[St Malo, Photo Marlene T.]
Lundi 21 mai 2012
Radio Méga
Demain mardi matin à
9h, rediffusion de la dernière de
l'émission les 2D dans laquelle je lis des extraits de "Mailles
à l'envers" sur fond de musique (ou pas, quand la platine vinyle se met
à déconner que je termine à blanc, et l'émotion à vif diluée dans le
grand silence...)
Entre le crépuscule et l'aube, respirer
C'est
ainsi
je préfère la nuit
et le silence
et la solitude
lorsque rien
ni personne
ne cherche à
gouverner mes pensées
Pas
de clés, pas de portes, rien que du ciel
[Photo Marlene T.]
Samedi 19 mai 2012
Emprise
Je
n'appartiens à aucun lieu
aucun pays, aucun ciel
aucun dieu
il m'arrive même de chercher
à échapper à ma propre emprise
Gipsies will have their revenge on society
[Londres, Photo Marlene T.]
Vendredi 18 mai 2012
Je
sais...
...j'ai dans le regard quelque chose de soumis, quelque
chose qui répète sans jamais se fatiguer "Je connais ma place. N'hésite pas à
me gifler", quelque chose qui, sans doute, te donne le droit de me
faire mal. ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Where is my mind
[The Pixies]
Jeudi 17 mai 2012
Jouer à la taupe dans un jardin abandonné
Ce qui
est beau
n'invite souvent
qu'à rester en surface
De
la valeur des choses
[Photo Marlene T.]
Mercredi 16 mai 2012
Mithridatisé
Savoir
songer à la mort
juste assez doucement
pour ne plus avoir peur
de la vie
Rien
ne presse
[Photo Marlene T.]
Mardi 15 mai 2012
Se
sentir exister
Parfois il s’agit juste
de voir l’amour briller
dans le regard de l’autre
- n’importe quel autre -
pour se sentir exister
de manière presque
légitime
Happy
[Londres, Photo
Marlene T.]
Lundi 14 mai 2012
Back
Door
Est-ce
qu’il existe
un passage à rebrousse-soi
un moyen de retrouver le chemin
jusqu’à la source de ses rêves
celle d’avant la sécheresse
et la pollution ?
Veilleurs de sommeil
[Londres, Photo Marlene T.]
Samedi 12 mai 2012
Ceux que le temps
n’efface pas
Quand t’es parti j’ai eu envie de tuer la
mort puis lui ouvrir le ventre comme si c'était un loup de conte
pour mômes, te sortir de ses entrailles fumantes et réécrire
l'histoire, y glisser une vie aux yeux doux qui aurait su te séduire
un peu mieux.
[à L.K.]
Falling apart
[Valence Juin 2011, Photo Marlene T.]
Vendredi 11 mai 2012
Paroles sur rue
Glisser
nos mots dans la bouche des murs
Laisser des traces plus vastes que nos voix
Des silences scandés en lettres capitales
[Voir le texte avec l'image sur
FPDV]
Lettre anonyme
[Lyon avril 2012, Photo Marlene T.]
Jeudi 10 mai 2012
Népenthès
Le n°4 de la revue Népenthès vient de
paraitre. 265 pages, format 15×24, 35 auteurs, 80 textes inédits
!
Au sommaire :
Yannick Torlini, Guy Vieilfault, Alexandra Bouge,
Vincent, Olivier Le Lohé, Jean-Marie Louton, Jean-Michel
Lherbier, Olivier Vallecalle, Odile Gattini, Michel Norguin,
Jean Coulombe, Patricia Suescum, Maryvonne Contesse, Rebelle
Cohen, Annie Van de Vyver, Cécile Ambert, Jean-Luc Coudray,
Jonathan Bougard, Henri Cachau, Kamel Rachedi, Paul Jullien,
Emmanuel Pinget, Alexandre Van Buuren, Dusk, Jean Talabot,
Cédric Cagnat, Christophe Esnault, Alexandre Denuy, Lionel
Fondeville, Marlène Tissot, Muriel Couteau, Guillaume Siaudeau,
Aléric de Gans, Aymeric Brun, Jacques Sicard, Sylvain Frezzato,
Marianne Desroziers, Antoine Monat, Bernard J. Lherbier. Tristan
Corbière, Jules Laforgue, Alfred Jarry, Odilon Redon.
Tu cries, tu craches ta
question Pourquoi, mais bordel POURQUOI ça te met dans
cet état de dépenser la moindre somme d’argent ?
J’ai déjà essayé de t’expliquer
La pauvreté, quand elle a mordu dans ta viande un jour,
tu l’oublies jamais
La peur sans cesse de te retrouver de nouveau entre ses dents
Difficile à comprendre si t’as jamais ressenti ça
la faim
le froid
la honte
Ces choses, très fort,
comme des bras serrés autour de ta vie,
empêchant le moindre mouvement,
étouffant chaque rêve.
Et même respirer devient douloureux !
Alors sans doute, c’est
vrai, je t’agace avec mes angoisses et cet argent que je garde
serré au fond des poches comme si ma vie en dépendait. Mais
c’est parce que je surveille le monstre !
Je sais qu’il est là quelque part
planqué dans l’ombre
Je ne l’ai pas oublié
et je sais que lui non plus
ne m’a pas oublié
Après l’hôpital, il y a eu l’été. Et papa a recommencé. Il faisait chaud
et des orages souvent. Un soir où le tonnerre grondait avec rage, j’ai essayé de tuer
papa pour la
première fois. C’était dans le lit, il était étalé là, inerte, il allait
bientôt partir. Chaque fois c’était pareil. Papa restait quelques
minutes allongé, le temps de reprendre son souffle. Alors j’ai serré
son cou. Mes petites mains nouées très fort autour de son gros cou
moite. Au début, il n’a pas bougé, il n’a rien dit. Presque comme s’il
acceptait son châtiment. Il devenait rouge, toujours immobile, ses yeux fermés.
Je serrais de plus en plus. Sa respiration faisait un drôle de
bruit. J’ai cru que j’allais gagner. Un instant seulement j’ai eu
l’espoir que ce serait bientôt fini toute cette histoire. Et puis papa s’est redressé
violemment et m’a giflée. Ensuite, il est parti en trainant ses pantoufles. Je
suis restée dans ma chambre, sans pleurer parce que je ne savais plus
pleurer depuis longtemps.
Après l’hôpital, après l’été plein d’orages, après que j’ai essayé de
tuer papa, maman m’a envoyée en pension. Je me suis longtemps demandé
qui elle cherchait à protéger. Je savais bien que c’était papa, mais je
refusais de me l’avouer. [Mary/Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
It's
time to dive (6)
[Cancale, Photo Marlene T.]
Mardi 8 mai 2012
Ordinary freedom
[Londres, Photo
Marlene T.]
High
Time
[Elliott Smith]
Illusion
S’éprendre d’un personnage de fiction
avec la certitude rassurante
qu’aucune réalité ne viendra troubler l’illusion
Lundi 7 mai 2012
Les
armes
Et les armes,
est-ce que ça change quelque chose
les armes qu’on se fourre dans la bouche
sans jamais avoir tout à fait l’envie d’appuyer sur la détente ?
Le canon qu’on lèche pour sentir le gout froid du métal,
vérifier qu’il n’est ni meilleur ni pire que celui des jours
Parution du n°49 de la belle revue
Intervention à Haute Voix avec au sommaire :
Danielle Allain Guesdon, Laurent
Bayssière, Jean-Louis Bernard, Eliane Biedermann, Ferrucio
Brugnaro, Henri Cachau, Jacques Canut, Marguerite Charbonnier,
Guy Chaty, Japh' Eiios, Gérard Faucheux, Béatrice Gaudy, Cathy
Garcia, Bernard Grasset, Amédée Guillemot, Jean-Michel A.
Hatton, Michel Héroult, Anne Jullien, Alain Lacouchie, Jean-Luc
Le Cleac'h, Gérard Lemaire, Mireille Le Hiboux, Gaétant
Loubignac, Béatrice Machet, Patrice Maltaverne, Fabienne
Moineaud, Lucie Negel, Teresinka Pereira, Patrice Perron,
Mireille Podchlebnik, Jeanpyer Poëls, Alain Quagliarini, Basile
Rouchin, Marlene Tissot, Anne Villaret, Catherine Wolff
Samedi 5 mai 2012
Les choses
invisibles
Je me souviens de ma première communion. J’y comprenais que dalle. Il y
avait Jésus sur sa croix qui semblait regarder loin à travers nous et la
peinture rouge qui s’écaillait sur la blessure de son coeur. Il y avait
maman qui récitait des mots pieux en playback. Il y avait tonton et puis
tata qui n’avait pas encore foutu le camp à l’époque. Elle trimbalait
dans son ventre gigantesque une cousine minuscule. Il y avait ma
prétendue innocence étalée là comme un mensonge crasseux dont personne
ne semblait s’offusquer. Il y avait un Dieu quelque part, bien planqué,
dont on m’avait vanté la toute puissance. J’ai tendu les mains pour
recevoir un morceau de son corps, j’ai bu son sang, mais rien n’a
changé. Je me sentais toujours le même. Les choses invisibles n’avaient
pas de prise sur moi. Tout ça n’était à mes yeux qu’une farce
gigantesque, pas plus réaliste que les histoires dans mes comics
et foutrement moins drôle.
[Franck/Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Do you believe in
fairy tales ?
[Photo Marlene T.]
Vendredi 4 mai 2012
Dissonance
Parfois, il me semble que je vois mieux
lorsque je ferme les yeux. Mais d’autres fois j’ai des choses
laides et sales et effrayantes sous les paupières et,
étrangement, ça me fait du bien. Comme si j’autorisais un
monstre à vivre dans moi. Comme s’il me laissait le caresser
sans montrer les dents. Et ses grognements rauques seraient un
peu la musique dissonante de tout ce que je ne m’autorise pas à
dire.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Pas la guerre
[Lyon avril 2012, photo Marlene T.]
Jeudi 3 mai 2012
Des traces de
joie
Les nuits blanches, les malentendus, les
engueulades, les emmerdeurs, les pannes de voitures, les
factures impayées, et puis toutes ces guerres partout, assez
loin pour qu’on s’imagine à l’abri. Toutes ces histoires de
pouvoir, de gloire, d’économie, de religion. Tout le monde veut
encore, veut plus, veut mieux et tout le monde veut avoir
raison. Cacophonie continuelle, quête du dernier mot, de
l’échelon le plus haut, du sourire le plus blanc.
Parfois, je n’en peux plus, je me dis vivement.
Vivement quoi ? La fin ?
Elle viendra, tôt ou tard, cette fin. Chacun y aura droit.
Mais d’ici là, il reste du ciel et de la rosée dans l’herbe, il
reste des musiques qui font chaud dans le ventre, il reste des
regards à savourer, des peaux et des tignasses à caresser, des
bêtes sauvages à cajoler. Il reste à tremper ses mains dans la
lumière et laisser des traces de joie dans la poussière.
Devenir...
[Lyon avril 2012, Photo Marlene T.]
Mercredi 2 mai 2012
Paradoxe corporel
Se
rendre
ne pas se donner mais
se rendre
alors qu'on n'a jamais
appartenu
Ni dieu ni maître
[Grenoble mars 2012, Photo Marlene T.]
Les
revues de printemps
Quelques parutions en revues pour ce mois de
mai naissant et gorgé de soleil !
Tout d'abord dans le beau levain
majestueusement pétri par Rodica Draghincescu :
Levure
Littéraire qui présente son n°5 plus que jamais
international. (à consulter en ligne)
Et également dans la belle et toute nouvelle
revue papier
Cabaret dirigée par Alain Crozier. (Abonnement
10€ les 4 numéros)
Mardi 1er mai 2012
Aujourd'hui, c'est à La Bastidonne que ça se passe !
Lundi 30 avril 2012
You've got the power
Certains croient tirer les ficelles du monde
d’autres jouent à se faire passer pour des pantins
les mensonges des uns et des autres s’emboîtent à la perfection
le pouvoir n’est qu’une illusion
May
the forces be saved
[Graf by Hogre, Photo Marlene T.]
Samedi 28 avril 2012
Une
foule de personnages
Se faire passer pour ce qu’on n’est pas
sans malice
sans réellement mentir
simplement parce que parfois
on ne sait plus démêler le vrai du faux
se défaire des rôles qu’on joue
retrouver dans la foule de personnage
celui qui ressemble le plus au vrai soi
Ce
qu'il y a à l'intérieur
[Londres, photo Marlene T.]
Vendredi 27 avril 2012
La
foule
Parfois, le choix semble facile entre la foule et le silence
mais la solitude n’est pas si paisible qu’on l’imagine
fuir les autres, c’est devoir se faire face
se retrouver en tête à tête avec soi
quand les murs se transforment en miroir
se font l’écho de voix intérieures qu’on voudrait étouffer
il faut s’aimer – au moins un peu – pour rester seul
et c’est sans doute pourquoi souvent je rejoins la foule
j’y plonge pour dissoudre ce que je suis
semer les monstres
m’oublier
Lost
and found
[Paris novembre 2011, Photo Marlene T.]
Jeudi 26 avril 2012
Grenade
Parfois, la vie, je m’y sens comme coincé. Enfermé quelque part, dans
une grande pièce avec des portes partout. Des portes closes et sur
chacune, un petit écriteau indiquant Interdit – Réservé au personnel
– aux usagers – au responsable.
Je n’ai pas le cran de braver l’interdit, forcer le passage, voler une
issue. J’ai trop peur de ce qui pourrait se trouver derrière.
Tout ça c’est la faute de... Non, ce n’est pas vrai!
C’est drôle tu ne trouves pas ?
Il s’agit toujours de chercher – c’est tellement plus facile – quelqu’un
à blâmer. Quelqu’un d’autre que soi, bien entendu.
C’est irritant, je
tourne en rond, je perds espoir, je lutte. Mais contre quoi exactement ?
Il me suffirait sans doute d’oser. Accepter le contact de ma main sur le
métal froid de la poignée de porte. Accepter de m’aventurer en terrain
inconnu.
Mais je reste immobile, à m’imaginer parfois qu’il serait plus facile
d’exploser les murs que de pousser poliment une porte. Je reste immobile
et je me transforme en grenade. Peau d’acier, tête à dégoupiller. Tout
finira par exploser. Tôt ou tard.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Something bigger than us
[Photo Marlene T.]
Mercredi 25 avril 2012
Amortir la chute
On colle des mots les uns après les autres
pour boucher les silences
camoufler les fissures
on colle des yeux dans des yeux
comme si c’était des fenêtres
chercher à voir à l'intérieur de l’autre
on colle des bouches sur des bouches
pour étouffer les cris
on colmate
on construit sur les sables mouvants
on s’aime en dansant
en déséquilibre
et on espère parfois que l’autre
amortira la chute
La
collec' Emeute
Et voilà !
Tranchés dans le vif, un recueil de
textes sélectionnés dans mon bazar et compilés par Dan
Leutenegger avec en prime une préface signée Aglaé Vadet
et quelques inédits...
L’étreinte des nuages
le chant des baleines de parapluie
le dos rond des frissons sous la caresse du pull
ce petit surplus de douceur qui aide à
franchir les jours de pluie
Peindre des fleurs sur les ruines
[Bretagne, Photo
Marlene T.]
Lundi 23 avril 2012
La matière
Mary dit que je ne sais pas ressentir les choses. Qu’il faudrait que
je laisse vivre les sentiments en moi, que j’arrête de les exterminer.
Mais je ne tue rien, je n’empêche rien. Il y a peut-être eu un défaut de
fabrication. Un vice de forme. En apparence, tout est correct. Mon cœur
fonctionne. C’est un outil parfait. Une mécanique huilée qui pompe et
crache la vie, le sang. Mais pas les sentiments. Ce n’est pas une
matière, le sentiment. Et mon cœur ne comprend que la matière. Est-ce
qu’on apprend à un cœur à fonctionner autrement ?
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
I've got
something inside
and that sounds like a clock
[Fred le Chevalier, Paris nov. 2011, Photo Marlene T.]
La
voix
Samedi 14 et 21
avril, j'étais dans les studios de
Radio Méga à Valence pour lire des passages de Mailles à
l'envers. Un petit extrait est en ligne sur le site des
éditions Lunatique. Bientôt d'autres extraits disponibles sur
Mon Nuage. Rediffusion, mardi 24 avril à 9h, de l'émission de samedi
21. Et samedi 28 avril, RDV pour la troisième émission en direct, à
partir de 10h.
Samedi 21 avril 2012
Encre
Prends
garde de ne pas trop
piétiner la pénombre
de ne pas lui laisser le temps
d’infuser son encre à ta route
It's time to dive (5)
[Cancale, photo Marlene T.]
Vendredi 20 avril 2012
Un peu de buée
sur les vitres
Je gratte.
La peinture écaillée sur le bord de la fenêtre.
La poussière sur le dessus-de-lit de cette petite chambre d’hôtel pour
gens pauvres. Pour gens qui se cachent. Pour gens qui ne valent rien.
Je regarde la crasse sous mes ongles et elle me semble bien réelle. Mais
pour le reste, je ne sais plus trop. Je me souviens seulement de
quelques images capturées entre deux battements de paupières. Trois
coquelicots dans un cadre, un lavabo fêlé, une serviette blanche, la
tapisserie vieillotte, ton visage en plan rapproché. Je me souviens du
poids de ton corps sur le mien, ton odeur, ta salive, le gémissement du
lit, nos respirations.
Non, je ne me souviens plus vraiment de tout ça.
Dans la rue, il pleut. Un peu de buée sur les vitres. Je gratte la
peinture écaillée sur le bord de la fenêtre. La poussière sur le
dessus-de-lit. Qu’est-ce que je fais là, déjà ? Seule, adossée à
l’armoire bancale. Tu es sorti pisser. Les toilettes sont sur le palier.
J’entends des portes qui grincent, une chasse d’eau, du bruit dans les
chambres voisines. Tout me semble tellement irréel. Comme si ce n’était
pas moi. Juste un corps dont j’aurais perdu le contrôle.
Je regarde la crasse sous mes ongles. Tu vas me rejoindre dans la
chambre et je vais devoir te sourire, te faire croire que je suis
heureuse d’être là, maintenant, avec toi alors que je ne me souviens
même plus pourquoi ni comment les choses ont commencé. Ma vie s’est mise
à m’échapper. Je ne chercherai pas à la rattraper. Il suffira d’attendre
que tout tombe en morceaux, que les murs cessent d’exister.
It's
time to dive (4)
[St Malo, photo Marlene T.]
Jeudi 19 avril 2012
Origami
L’honnêteté
blanche et lisse
qu’on plie délicatement
pour lui donner une forme nouvelle
ce n’est pas tout à fait un mensonge, n’est-ce pas ?
It's time to dive (3)
[Irlande, Photo Marlene T.]
Mercredi 18 avril 2012
Couper court
L'oubli
est
une petite arme
dangereusement
affutée
It's time to dive (2)
[St Malo, photo Marlene T.]
Mardi 17 avril 2012
Stranger Than Fiction
Les fous
Les fadas
Les différents
Les qu’on regarde de travers
Les qui ne font pas comme tout le monde
Les qui ont des gestes étranges
Les qui empruntent des passages secrets
Les qui peuvent s’allonger dans la neige sans la faire fondre
Les qui existent sans laisser de trace
Les qui habitent à l’intérieur de moi et que je n’ose pas laisser sortir
Les qui finissent par prendre de plus en plus de place
It's time to dive
[Cancale, photo Marlene T.]
Lundi 16 avril 2012
Les dimanches
Il m’arrive d’aller au cimetière en journée. Pour tuer le temps et
l’enterrer. Les choses sont différentes lorsqu’il fait jour. Les morts
ont l’air plus mort. Sans doute à cause des vivants qui les visitent.
C’est le dimanche qu’il y a le plus de monde. Ils viennent en grappes
familiales, après le déjeuner, faire une petite promenade. Ils ont le
pas traînant, un peu lourd. Il y a parfois un reste de tristesse
accrochée à leur regard. Une certaine lassitude. Quelques regrets,
peut-être. Ils bavardent un peu. À voix basse, comme s’il s’agissait de
ne réveiller personne. Ils font une halte devant une pierre, hochent la
tête, ramassent les fleurs sèches. Puis ils repartent en baillant, en se
frottant le ventre, comme si le repas était plus dur à digérer que le
passé ensevelir.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
La
solitude des jours de pluie
[Photo Marlene T.]
Samedi 14 avril 2012
Le
noir au fond des regards
A la moindre remontrance
à peine élève-t-on un peu la voix
quelle que soit la broutille que l’on me reproche
immédiatement, j’ai sept ans
mes fautes deviennent gigantesques
impardonnables
j’ai peur d'être punie
j’ai sept ans de nouveau
et je pleure des rivières, je m’enfuis à la nage
parce que je n’ai simplement pas la force
d’affronter le noir au fond des regards
Fragile inside
[Londres 2010, Photo Marlene T.]
Vendredi 13 avril 2012
Phare intérieur
L’espoir
c’est la lumière
qui sait briller
jusqu'en dessous
des paupières
Je
vois la vie réelle
[Tristan des Limbes, Paris Nov. 2011, photo Marlene T.]
Mercredi 11 avril 2012
Docile
Tu attends là, presque docile, installé dans ta peau comme dans une
petite salle d’attente. Tu t’impatientes un peu, parfois. Tu regardes ta
montre, tu regardes les jours qui coulent comme des grains dans un
sablier. Tu attends là. Comme si quelqu’un allait venir te chercher,
t’appeler par ton prénom, te prévenir que c’est ton tour. Comme si
quelqu’un allait t’annoncer avec un sourire professionnel que ton cœur
et tes dents vont bien, que c’est parfait, tu peux vivre maintenant !
Mais il n’y a ni rendez-vous à prendre ni permission à demander
lorsqu’il s’agit de vivre ! Ouvre les portes, les fenêtres, les bras,
les yeux. Respire l’horizon, embrasse l’aube, bois le ciel et la mer. Va
aussi loin que possible, même immobile. Escalade tes rêves et écoute le
vent. Tu as tellement à faire avant le jour où les oiseaux noirs
viendront te chercher.
Réussir
à la perfection
chacun de mes
actes manqués
Tic-Tac Sardine
[Paris Novembre 2011, Photo Marlene T.]
Lundi 9 avril 2012
Aquarelle
Mélanger les couleurs
diluer la ligne d’horizon
réapprendre à se perdre
Mordre à pleines dents
[Photo Marlene T.]
Dimanche 8 avril 2012
I
live inside
[Valence avril 2012, Photo Marlene T.]
Samedi 7 avril 2012
Un
ciel blanc et plat
L’immeuble est
silencieux. Encore une matinée identique aux autres. Chacun a quitté les
lieux pour accomplir sa tâche quotidienne. La mienne, cette nuit, s’est
composée de peu de choses. Comme souvent. Marcher de long en large dans
les allées du cimetière avec ma torche et son auréole de lumière.
Écouter mes pas sur le gravier et le bruit des os secs sous les pierres
gravées. Les morts ne parlent pas beaucoup. Ou bien je ne sais pas les
entendre.
Quelques mômes sont venus fumer des joints sur une tombe. Celle d’un
aïeul , d’un inconnu, d’un soldat ou d’un poète, va savoir ! Ils n’ont
pas fait de bruit, n’ont pas bougé. Je les ai salués en passant. Ils
sont restés silencieux. Peut-être que, coincés dans leur trip, ils m’ont
confondu avec un fantôme. Ils avaient l’air tranquille. L’air de mômes à
la recherche d’un coin où respirer un peu, un coin où personne ne les
ferait chier. Je ne les ai pas fait chier. Ils ne gênaient personne, se
contentaient d’aspirer quelques grammes de brouillard histoire de camoufler un monde
difficile à piger. Je les ai observés de loin, avec la petite braise
orange qui tournait dans la pénombre. Ils sont repartis bien avant les
premières lueurs du jour. Ils avaient déjà compris qu’on ne peut pas
planer éternellement. À un moment donné, il faut choisir son camp. Parmi
les morts ou les vivants. Un avenir les attendait quelque part. Avec des
parents exigeants et des profs désabusés. Un avenir qui leur fichait la
trouille, mais qui n’avait pas encore perdu toutes ses couleurs. Je
pouvais bien leur foutre la paix, au moins pour quelques heures.
C’est étrange, il me semble que je n’ai ni avenir ni passé. Je suis
coincé dans un instantané éternel où rien n’a de prise sur ma vie. Ma
vie elle-même est totalement abstraite. Lorsque je me mets à y
réfléchir, les choses cascadent trop vite et je me noie. Il me faut
m’accrocher à la margelle de choses tangibles comme le bruit des moteurs
dans la rue. Dehors le ciel est blanc et plat. Je sors une bière du
frigo. Juste pour faire savoir à mon corps qu’il aura sa dose. Tout à
l’heure. Après le café et quelques biscottes tartinées de silence.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Brouillard
[Valence février 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 6 avril 2012
Les caresses
Le cachet. Le verre d’eau. C’était devenu un rituel. Juste après avoir
décapsulé la dernière bière. Juste avant de rouler en boule sur le sofa
et laisser la télévision me chanter ses berceuses dramatiques. Mais
depuis Mary, tout est chamboulé. Les choses ont changé. Pas toutes.
Certaines. J’essaie de ne pas trop y penser. Mes mains risquent de se
remettre à trembler. Tout pourrait bien s’écrouler autour et culbuter
mes petites illusions fragiles. Celles que j’ai sculptées, blanches et
sèches comme l’os.
Je ne prends plus de cachets. Mais il reste des bières sur le bord de la
fenêtre. Pas vraiment fraîches. Elles ont la température du printemps :
hésitant. Je fais sauter la capsule avec le cul de mon briquet. La
mousse blanche dégorge doucement et glisse le long du cou de la
bouteille. Mary est sous la douche. Depuis des heures. Elle aime
terriblement se laver, semble-t-il. Lorsqu’elle sort de la salle de
bain, elle est rose et paisible et il reste des perles d’eau accrochées
à ses cheveux et à ses cils. Elle sent les fleurs et le vent. Moi,
j’empeste. Je le sais. Parce que je retarde le moment de la toilette.
Aussi longtemps que possible. Jusqu'à l’insoutenable odeur. Jusqu’à
l’écœurement. Peut-être que la crasse me rassure, va savoir ! Une armure
grise et protectrice.
Lorsqu’enfin je me décide à affronter l’eau, il faut qu’elle fouette,
irrite et brûle. J’ai besoin que la douche cingle. Qu’elle récure,
qu’elle me brutalise. Je ne savonne pas. Impossible de poser les mains
sur ma peau. Ça remonte à l’époque où j’étais môme. Maman furetait
toujours à la salle de bain quand je me lavais. Elle s’affairait,
agacée, passait un coup d’éponge sur le lavabo, ramassait mes
chaussettes sales et me demandait de me dépêcher un peu. Un jour que
j’en ai eu assez, je me suis enfermé à clef et ça l’a rendue dingue.
Elle a tambouriné à la porte en me hurlant de venir lui ouvrir
immédiatement et puis aussi d’arrêter de me toucher. J’ai pas compris
sur le moment. Il m’a fallu encore deux ou trois printemps avant de
saisir ce qu’elle voulait dire. Me toucher. Me toucher là. C’est
de ça dont elle parlait. J’ai rougi, honteux et dur sous la douche avec
mon corps nouveau qui tremblait d’envie et de peur. Alors j’ai pris un
gant râpeux et j’ai frotté fort sur ma peau, partout, jusqu’à écorcher,
jusqu’à effacer le désir.
Parfois, j’aimerais me rappeler le bruit du savon qui glisse sur moi. Le
goût d’une caresse qui ne fait pas mal. Celle qu’on accepte quand on
accepte d’exister.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Toucher n'est pas
briser
[Photo Marlene T.]
Jeudi 5 avril 2012
S’arrimer
Tu es quelque part
perdu dans l’invisible
et ta chaleur traverse
la vaste épaisseur de brouillard
je pense à ces liens qu’on noue
pour s’arrimer au monde
à la vie
au réel
pour éviter de se détacher tout à fait
et pour faire taire l’envie
de s’envoler
Human spirit
[Londres, Photo Marlene T.]
Mercredi 4 avril 2012
Fracas
- Seuls
les objets sont innocents. Et ce sont eux qu'on brise les premiers.
- Les objets ou les innocents ?
- Les deux... Les deux, bien entendu.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Je n’ai qu’une seule vie et pourtant, je
pourrais la raconter de tellement de manières différentes sans
avoir à mentir. Ce seraient mille vies. Toutes mes vies. Comme
des calques à superposer pour obtenir l’image complète.
L’histoire. Toute l’histoire.
D'autres horizons
[Photo Marlene T.]
Lundi 2 avril 2012
Estompée
Ses yeux et ses cheveux
sont de plus en plus clair
d’un blanc bleuté
un peu laiteux
Bientôt on pourra voir la vie
à travers elle
Elle se sera estompée
tout doucement
mais pour toi
elle ne disparaitra
jamais complètement