Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
Enrober
la réalité de sucre la rend plus facile à avaler.
Mais pas à digérer...
Vendredi 30 mars 2012
Empêche-moi de me faire mal
Mary parle. Elle parle tout le temps,
beaucoup, trop. Elle dit, je parle pour avoir du silence dans ma
tête et tu n’es pas obligé d’écouter. Sauf de temps en temps.
Sauf quand j’ai du vrai qui coule de mes lèvres et que les mots
font comme des petites fenêtres ouvertes sur moi pour que tu
puisses te glisser à l’intérieur et subtiliser tous les objets
tranchants.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Fragile frontière
[Londres, Photo Marlene T.]
Jeudi 29 mars 2012
Au
ras du réel
Cette manière de regarder dans le vague, feindre d’ignorer le
bonheur, juste là, au ras du réel, comme une pièce tombée de la
poche d’un passant que l’on n’ose ramasser, comme un trésor dans
lequel on ne se croit pas autorisé à piocher.
Broken doll
[Photo Marlene T.]
Mercredi 28 mars 2012
Ce
qu’on a sur le coeur
Rompre le silence
comme on rompt le pain
lorsqu’il fait faim mordre
dans ce qu'on a sur le coeur
Tout
ce qui brille
[Londres, photo Marlene T.]
Vendredi 23 mars 2012
Inventer le sable
Ne pas se laisser entraîner dans le ressac des douleurs
Nager à contre courant, de toutes ses forces
Jusqu’à la prochaine plage, la prochaine île
Et si le sable n’existe pas, l’inventer
"Turning mistakes into gold"
[Rise, Eddie Vedder]
[Bretagne 2010, photo Marlene T.]
Jeudi 22 mars 2012
La petite chambre
blanche
Franck pense à tout ce qu’il n’a pas construit. Aux chemins qu’il a
refusé de prendre. Ceux tellement empruntés qu’ils deviennent plus creux
que les vallées.
Dans la petite chambre blanche, il y a Tonton qu’il n’a vu qu’une fois
quand il avait huit ans. Et il y a deux cousines qu’il ne connaît pas
autrement qu’en photos. Quelques polaroïds de fillettes au bord de la
mer et puis leurs prénoms notés en bas des cartes de bonne année.
Maman est allongée sur un lit blanc dans la petite chambre blanche.
Tonton la regarde. Elle est toute tuyautée, dans les narines, au creux
des bras. Il la regarde et puis de temps en temps, il regarde Franck.
Personne ne dit rien. Les cousines mouchent leur nez avec une discrétion
toute féminine.
Franck pense à ce qu’il n’a pas construit, une petite vie tranquille et
factice avec une tribu autour comme un rempart. Des amis, des collègues
de travail, une famille. Non, Franck n’a pas fabriqué toutes ces choses
joliment ordinaires et vraisemblablement nécessaires. Il n’a rien ni
personne, presque comme s’il n’existait pas. Il se sent léger,
impalpable, libre.
Tonton a appelé hier soir, il a dit « C’est ta mère, elle va mourir, tu
devrais venir, ça lui ferait plaisir… » Franck voulait expliquer à
tonton combien il avait tort. « Maman et moi on a séparé notre chair et
notre sang il y a longtemps. Elle ne sait même plus qui je suis. » Mais
il a juste murmuré « OK » puis il a noté le numéro de la chambre
d’hôpital.
Il se demande si c’est fini ou si elle va ouvrir les yeux à nouveau,
juste un peu. S’ils vont devoir se dire adieux pour la troisième fois. Tonton
toussote, jette des petits coups d’œil gênés à Franck, puis il ouvre le
robinet à questions « Alors, qu’est-ce que tu deviens ? Tu fais quoi de
beau dans la vie ? Tu es marié ? Tu as des gosses ? Tu habites où déjà ?
Et t’es venu en bagnole, c’est ça ? T’as roulé toute la nuit ? C’est
pour ça que t’as l’air salement fatigué… »
Franck se met à trembler. Il s’approche de la fenêtre et l’entrouvre. Il
serre les dents sur les mensonges, se concentre, s’apprête à réciter les
paroles attendues. Pour avoir la paix. Comme à l’école. Mais les
questions n’ont même pas été posées. Personne n’a prononcé le moindre
mot. Les voix sont dans la tête de Franck. C’est comme Mary, il se dit,
toutes ces voix à l'intérieur de moi.
Et ça le fait sourire.
« Pourquoi que tu te marres ? » demande Tonton. Et une machine se met
soudain à biper fort, un long couinement continu. Cavalcade de sabots
d’infirmières dans le couloir. Il n’y aura pas de troisième au revoir.
Franck sort de la petite chambre blanche. Il entend ses cousines pleurer
bruyamment et les médecins qui tentent l’impossible. C’est fini.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Ralentir
[Grenoble, mars 2012, Photos Marlene T.]
Mercredi 21 mars 2012
Les cris
Il y a le soleil qui lèche doucement sa peau et, sous son dos, l’herbe
qui fait comme un matelas gorgé de sève. Il y a Franck juste à côté. Il
ne dit rien mais elle devine que son silence est paisible. Presque
souriant. C’est un de ses instants qu’on voudrait laisser fondre le plus
lentement possible. Des perles de vie sucrée bonbon, quand tout semble
savoureux.
Et puis soudain la morsure du cri.
Un cri de nouveau né.
Mary se roule en boule. Les mains sur les oreilles. Ça lui fait toujours
le même effet, ces cris-là. Une déchirure dans le ventre. Les souvenirs
qui enflent, débordent les pensées, distendent la peau, cherchent une
issue.
Pas de bébé, c’est pas possible, avait dit maman.
Mary pleurnichait. Elle s’est pris une mandale. Maman paniquait. Papa
s’était barré pour éviter l’orage. Ou bien peut-être qu’il n’était même
pas au courant, qu’il était au bistrot avec ses potes à s’enfiler des
demis tièdes et des coupelles de cacahuètes.
C’est pas possible, avait dit maman.
Elle paniquait depuis qu’elle avait compris que Mary ne saignait plus
depuis deux mois. Elle l’avait giflé. Plusieurs fois. Et elle plantait
son regard comme un couteau dans les yeux de Mary, dans son ventre et
puis ses yeux et puis son ventre encore. Alors qu’il aurait suffit de
tuer papa depuis le début. L’empêcher de recommencer.
Pas de bébé, c’est pas possible !
Maman avait amené Mary à l’hôpital. Elle était allée de bureau en bureau
pendant que Mary attendait sur une chaise en plastique. Maman avait
murmuré des choses aux médecins et ils avaient regardé Mary comme si
c’était une traînée. Peut-être était-elle une traînée. Elle avait du mal
à comprendre à cette époque. Elle se sentait vide. Chiffon. Taie
d’oreiller. Mouchoir morveux. Elle ne savait pas trop ce qu’elle était.
Peut-être une trainée. Ou peut-être rien du tout. Parfois elle se disait
qu’elle n’existait pas et que tout ce qui se passait ne se passait pas
en réalité.
Maman avait probablement menti aux médecins. Le bébé avait été enlevé.
Les preuves avaient été détruites. Les choses pouvaient continuer. Après
l’hôpital, il y a eu l’été. Et papa a recommencé. Après l’été, maman a
envoyé Mary en pension parce qu’elle avait essayé de tuer papa pour la
première fois. Elle lui avait planté un petit couteau de cuisine dans
son gros ventre. Ça l’avait sacrément mis en rogne. Mais Mary savait
qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Il fallait tuer papa.
Franck pose sa main sur l’épaule de Mary. Qu’est-ce qu’il y a ? il
demande. Elle tremble encore un peu. Les cris se sont éloignés. Mary
ouvre les yeux. C’est à cause du bébé, elle dit. C’est à cause du bébé
que j’ai tué papa.
[Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
Enchevêtrés,
enlacés, emmêlés
[Photos Marlene T.]
Mardi 20 mars 2012
Croc-nique
Une chronique
extrêmement sympathique à propos de "Mailles à l'envers" par
Jérôme Cayla, un immense merci à lui pour sa belle lecture !
" Nul n’est
responsable de son enfance, mais tous plaident coupable !
D’une plume fraîche, d’une vivacité folle, presque jubilatoire tant
l’auteur (dont le personnage raconte ses souvenirs à la première
personne) égrène avec cynisme le film d’une enfance ébréchée. Cette même
jeunesse qui se devrait heureuse pour tous adopte, parfois, des sentiers
bien escarpés. Il apparaît alors des sinuosités, des abrupts, des boues
d’orage telles, que survient le sentiment agaçant de cheminer à
reculons, de n’avoir pas les bons sabots, jusqu’au remords d’être venu.
[...]" Lire la suite
ICI
Les interstices
[Palais idéal du facteur Cheval, photo Marlene T.]
Faire l’oignon
L’envie
parfois
de s’éplucher
comme un oignon
arracher les peaux
l’une après l’autre
découvrir ce qui se cache
au coeur du fruit
sous les pelures durcies
cet autre soi-même
plus petit
plus fragile
et peut-être un peu plus
tendre
Lundi 19 mars 2012
Something’s
missing
Il voudrait faire des trucs simples et lumineux. Se lever avant le
soleil et aller à la pêche un dimanche matin. Frissonner en regardant la
brume se lever sur le lac. Ecouter le silence qui n’est jamais tout à
fait du silence. Le petit bourdonnement de la vie. La chaleur qui vient
de l’intérieur. Et puis la force d’une main large et puissante à la
quelle s’accrocher quand on a peur ou qu’on doute. Il voudrait faire des
trucs qu’on fait avec un père. Quand on a un père. [Extrait
de "Les voix", roman en cours de tricotage]
L'avenir n'a pas
de visage
On en esquisse chaque jour un portrait flou
[Valence février 2012, photos Marlene T.]
Samedi 17 mars 2012
Grands ouverts
La force fragile des enfants
leurs yeux grands ouverts
et cette petite détresse
cachée sous l’insouciance
lorsqu’ils pressentent qu’un jour
ils feront partie de ce monde là
celui qui fige les rêves
si l’on n’y prend pas garde
Détruire ce qui nous détruit
[Grenoble mars 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 16 mars 2012
L'Angoisse
Sortie demain du n°1
de
L'Angoisse nouvelle version, sur papier s'il vous plait! Pour
célébrer l'évènement Christophe Siébert, Boris Crack,
Bololipsum et bien d'autres seront ce soir à l'Up and Down de
Montpellier pour une soirée lecture et concerts.
Au sommaire de ce numéro :
Gaspard Pitiot
Pascal Batard
Marlène Tissot
Laura Vazquez
Ectoplasm
Nicolas Albert G
Boris (ex Boris Crack)
Soomiz
Jean-Marc Renault
Mathias Richard
Laure Chiaradia
Yannick Torlini
Marc-Brunier Mestas
Christophe Siébert
Anne Van der Linden
L'Ampoule
Et toujours dans la
catégorie Revue, aujourd'hui le n°3 de l'Ampoule est à dévorer en ligne
ICI avec pour thème «
Gloire & Oubli » et au sommaire de ces 105 pages,
16 textes mêlant nouvelles inédites et critiques littéraires, avec les
participations d'Arthur-Louis Cingualte, Diane Frost, Alain Lasverne,
Salima Rhamna, Georgie de Saint-Maur, Philippe Sarr, Constance Dzyan,
François Cosmos, Cécile Delalandre, Christian Jannone, Marlène Tissot,
M'barek Housni, Sébastien Ayreault, Pierre-Axel Tourmente, Alban Orsini,
Chris Simon, Teddy Wadblé, Christian Attard, Étienne Brouzes, Philippe
Correc, Sophie Adriansen et Jacques Cauda ― ainsi que 9 illustrations en
tous genres réalisées par Guillaume Gasnot, Diane Frost, Teddy Wadblé,
Sébastien Lopez, Pascale Mayeur-Sarr, Noémie Barsolle et Jacques Cauda.
Libre
[Grenoble Mars 2012, photo Marlene T.]
Jeudi 15 mars 2012
La peau et le
manteau
C’est une ville que je ne connais pas, alors c’est facile de s’y perdre.
Je n’ai même pas besoin de le faire exprès. J’évite les grands axes.
Trop d’espace, de bruit, de lumière. Trop de monde aussi. Je préfère les
allées sombres, les venelles, les arrières cours, les passages oubliés.
Dans une ruelle, deux types abîmés ramassent des mégots dans les
rainures du trottoir et se les fourrent dans les poches. Au-dessus de
nos têtes, le ciel crache son bleu orgueilleux. Ça sent la saison où les
vêtements tombent comme des fruits murs. Pourtant, au loin derrière les
toits, la montagne porte encore sa cape de neige.
Les deux types, courbés récoltent les bouts de clope en sifflotant.
Celui qui porte une boucle d’oreille s’essuie le front et demande à
l’autre « Pourquoi que tu retires pas ton manteau ? Tu vas suer comme un
cochon ! ». L’autre se redresse et se masse les reins avant de répondre
« Parce qu’en dessous de mon manteau j’ai juste la peau de mon ventre !
»
Il me jette un regard en coin. J’esquisse un sourire. Il cligne de l’œil
puis il se remet à traquer les mégots. J’imagine sa peau sous le
manteau. Sale, moite, humaine. Des odeurs et de la vie nue.
J’ai envie, mais je ne sais pas de quoi. En dessous de la peau de mon
ventre je n’ai qu’un manteau. Un vieux vêtement rêche et froissé. Pas de
tripes. Pas de coeur.
You
don't know what love is (you just do as you're told) [The
White Stripes]
[Grenoble mars 2012, Photos Marlene T.]
Mercredi 14 mars 2012
Trouve moi
Se cacher
avec le désir inavoué
d'être retrouvé
Tangerine trees and marmelade skies
[Valence Février 2012, photo Marlene T.]
Lucy in the sky with diamonds
"Picture yourself in a boat on a river,
With tangerine trees and marmalade skies"
[The Beatles]
Mardi 13 mars 2012
Enfouir les drames
Je suis un personnage tragique qui se serait
gouré d’histoire. Paumée sur les sentiers fleuris d’une fable,
condamnée à trimbaler ma tempête en secret. Enfouir mes drames
comme une marchandise de contrebande à laquelle personne ne
voudrait goûter. Chercher l’issue entre les lignes.
Continuer de s'étonner
[Photos Marlene T.]
Lundi 12 mars 2012
Les
distances de sécurité
On cache les plaies pour éviter d’éveiller la
pitié. C’est un sentiment qu’on n’aime pas trop par ici, la
pitié. Qu’on l’héberge ou qu’on la suscite, ça reste une maladie
honteuse dont il faut se protéger. On s’enduit d’une petite
froideur apaisante. On instaure des distances de sécurité entre
les vies. La mienne, la tienne. On se parle à travers les murs.
On se sourit face aux miroirs. On s'emprisonne à l'intérieur de
soi.
Ne laisse pas sortir la lumière
[Blois août 2011, photo MarleneT.]
Samedi 10 mars 2012
Extraire ce qu’il reste
Tu rêves aux bras d’un père ou d’un frère
pas ceux de n’importe quel homme
tout juste bon à déverser sa substance
dans le récipient vide de ton corps
Tu voudrais la puissance enivrante
des bras d’un père ou d’un frère
serrés fort autour de toi
pressant ta chair et tes os et ton âme
pour en extraire ce qu’il reste
quelques grammes de chaleur et
un peu de bonté
peut-être
Safe
and sound
[Suisse, octobre 2011, Photo Marlene T.]
Vendredi 9 mars 2012
Mettre la tête dans la poche
Utiliser les mains
fabriquer
dessiner
nettoyer
peu importe le geste mais
utiliser les mains
sans répit
pour endormir la tête
lessiver les pensées
décolorer les idées noires
limer les aspérités
vernir les ongles
claquer les portes
et quand il ne reste plus rien à faire
enfoncer mes doigts dans la fraîcheur humide
de la terre gorgée de printemps
lui donner un avant gout de ma viande
pour la faire patienter un peu
glisser mes mains dans sa grande bouche
et apprivoiser le jour ou elle m'avalera
You'd better give me something to fill the hole [Novocaine for the soul, EELS]
[Lyon 2001, photo Marlene T]
Jeudi 8 mars 2012
Terre d'asile
A force d'inventer des histoires, j'ai l'impression d'héberger
des souvenirs qui ne sont pas les miens. Une colonie
d'orphelins, accouchés sur papier, qui s'enracinent en moi
malgré moi. J'ai sous la peau un vaste continent, une mémoire
terre d'asile. Ça s'appelle peut-être l'imagination.
Je me recule un peu
pour avoir une vue d’ensemble
observer ce qui se passe sous le capot de ma caboche
chaque chose posée là
les petits bouts d’une mécanique compliquée
comme les pièces d’un moteur démonté
et moi, je ne suis pas mécano
j’ignore comment s’emboitent tous ces trucs
tout ce que je demande c’est que ça tourne
que ça me conduise sans accident sur les routes de la vie
sans accro
sans panne
sans bruit
inutile de préciser que c’est rarement le cas
alors je me siffle parfois quelques
burettes d’huile
d’antigel
et autres liqueurs magiques
en espérant fixer le problème
en espérant que les choses se remettent à glisser
fluides comme une nuit de sommeil dans des draps de satin
15W40
[Photo Marlene T.]
Mardi 6 mars 2012
Les
preuves
Parfois
on se dit que la vie est belle
souvent on se fatigue à en chercher les preuves
Trash
[Valence & around, photos Marlene T.]
Lundi 5 mars 2012
Poison
Je m’en vais
je change d’endroit
souvent – comme pour fuir
ce qui risque de me figer
dans un mauvais reflet
Je cherche à voir d’autres choses
ou simplement me voir autrement
à travers le regard d’autres personnes
changer de point de vue
ou de lumière
avec l’espoir peut-être un jour
de parvenir à
m’aimer mieux – m’aimer un peu
Et je sais bien que ce qui cloche
ce n’est pas le paysage autour
mais moi – juste moi
qui dénature et empoisonne le décor
Empty
[Photo Marlene T.]
Dimanche 4 mars 2012
Prendre de la hauteur
[Photo Marlene T.]
Vendredi 2 mars 2012
Solide
« C’est trop tard, dit Franck. On ne pourra jamais rien construire toi
et moi. On est trop abîmés. »
Mary lève les yeux au ciel.
« Tu te trompes, elle rétorque avec un petit sourire victorieux. Tu n’as
pas encore compris ? Les entailles de tes angoisses s’ajustent
parfaitement aux aspérités de mes blessures. Nos vies s’imbriquent à
merveille. Ensemble on est solide. Indestructible. Les gens trop lisses
ne s‘unissent jamais tout à fait. La colle ne tient pas. Nous sommes
inséparables ! »
Franck l’interrompt brusquement.
« Je suis un solitaire ! »
Les mots claquent. Mary s’en moque. Elle continue.
« Seul tu n’existes pas. Aucun de nous n’est jamais complet. Il manque
des morceaux. Ensemble nous formons un tout invincible. »
« L’amour est le plus gros mensonge de l’humanité, crisse Franck en
allumant une cigarette. »
« Qui a parlé d’amour ? demande Mary. Il s’agit d’une mécanique bien
plus puissante. Il n’est pas question de sentiments ! Ni même
d’attirance, ni de sexualité. Nous avons la peau bien trop sensible pour
ce genre de jeux toi et moi... »
Debout devant la fenêtre, Franck regarde la pluie tomber. Mary
s’approche. Leurs bras s’effleurent. Franck hoche la tête. L’un contre
l’autre ils ressemblent à un édifice ubuesque. Un château de sable que
la plus acide des pluies, la plus salée des vagues, ne parviendrait pas
à dissoudre.
Mary répète le mot encore une fois. « Solide. »
Invincible.
[Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Jeudi 1er mars 2012
Magicien
Etre
une de ces personnes
qu'on fréquente toute une vie
sans jamais parvenir vraiment
à les connaître
être un peu comme un magicien
capable de conserver ses secrets
jusqu'au dernier souffle
De
l'importance d'être fait de pierre ?
[Photo Marlene T.]
"People are afraid
of themselves, of their own reality; their feelings most of all. People
talk about how great love is, but that's bullshit. Love hurts. Feelings
are disturbing. People are taught that pain is evil and dangerous. How
can they deal with love if they're afraid to feel? Pain is meant to wake
us up. People try to hide their pain. But they're wrong. Pain is
something to carry, like a radio. You feel your strength in the
experience of pain. It's all in how you carry it. That's what matters.
Pain is a feeling. Your feelings are a part of you. Your own reality. If
you feel ashamed of them, and hide them, you're letting society destroy
your reality. You should stand up for your right to feel your pain."
[Jim Morrison]
Mercredi 29
février 2012
Comme un ogre
La foule serrée et brûlante
comme la bouche d’un ogre vorace
tous ces corps qui touchent mon corps
j’ai peur d’être avalée
broyée
digérée
je lève les yeux et je m’échappe
sur les ailes d’un avion de papier
là-haut
très loin
je caresse les nuages
comme si c’était les cheveux du ciel
je les tresse
j’en fais un nid
un endroit doux où me cacher
en attendant que la foule
desserre les dents et
recrache mon corps
[Ecrit pour et d'après une photo de Carlos
Silva à voir
ICI avec une traduction en portugais]
On transforme le présent en passé de plus en
plus rapidement. Comme si tuer l’instant permettait de mieux le
regretter quand on ne sait pas le savourer.
Not here. Leave a message.
[Photo Marlene T.]
Lundi 27 février 2012
Sans
itinéraire fixe
Ce n’est pas la destination qui compte, ce
sont les détours magnifiques et les chevilles tordues. Ce sont
les chemins qu’on emprunte et les paysages devant lesquels on
s’attarde. Nos manières de prendre le temps de voir, d’accepter
de se perdre. Arriver n’est pas l’essentiel.
Tailler la route
[Palais idéal du facteur Cheval 2011, Photo Marlene T.]
Samedi 25 février 2012
Quelques instants
Je pense à toi
pas très longtemps
juste à l’endroit où
le jour et la nuit se mélangent
d’un amour impossible
et donnent naissance à des couleurs
qui ne survivront que quelques instants
Vendredi 24 février 2012
Cette manière
Je lis beaucoup.
Je lis des choses très différentes de celles que j’écris.
Souvent, je me dis que je n’aimerais pas lire des choses comme celles
que j’écris. Et pourtant, ça ne change rien. Il y a toujours ce besoin,
cette envie. Il y a toujours cette manière dont les mots sortent de moi
et forment des images que je n'aime pas regarder. Comme un reflet
déplaisant.
Ecrire en braille
sur le ciel
[Londres 2010, vers Corbet Place Photo Marlene T.]
Jeudi 23 février 2012
Petit triomphe
Jusqu’ici, les seules fois où j’avais songé à la mort, c’était toujours
pour envisager les manières de la rejoindre. Pas de la fuir. Jamais.
J’ignore ce qui a changé au juste. Une peur neuve qui me ronge les
sangs. J’écoute mon cœur qui bat et pourrait très bien s’arrêter
subitement, sans prévenir. Je respire. Je respire très fort, avec défi,
envers et contre tout. J’observe, sans relâche, comme si je voulais
manger le monde avant qu’il me disparaisse.
Ce matin, en quittant le boulot, j’ai remarqué que les arbres à côté de
la grille étaient en presque fleur. Des grappes de bourgeons roses et
dodus enflés comme des pustules sur les branches noires, sèches,
squelettiques. Petit triomphe de la vie sur la mort. Bientôt les
feuilles vert tendre pointeront leur nez.
Je bosse de nuit. Dans un cimetière. Ici, souvent, les fleurs sont en
plastique. Les autres finissent par crever. Il n’y a que les arbres qui
restent debout. On n’enterre pas un arbre. Même mort. Je voudrais être
un arbre. [Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Les mots souvent s’emboîtent parfaitement.
Mais pas les faits. La réalité se moque de l’équilibre et des
apparences. Elle est. Point.
Tenter de la transformer en mots, de l’écrire au plus près,
c’est un peu s’entraîner à franchir l’infranchissable. Chercher
à passer de l’autre côté du miroir.
Ligne de vie à l'arrière d'une jambe
[Valence 2005, leçon de danse, Photo Marlene T.]
Mardi 21 février 2012
Faire un peu moins mal
Notre manière
de regarder le monde
ne change pas ce qu’il est
mais adoucit parfois
notre manière de le blesser
Rien
n'est tout blanc
[Blois août 2011, Photo Marlene T.]
Lundi 20 février 2012
Emouvoir
C’est un hiver permanent
la chair
le cœur
l’âme
une peau de glace
qui s’épaissie tout autour
insidieusement
on peine à l’admettre
et pourtant
on devient de plus en plus
difficile à émouvoir
Miroir miroir,
dis moi qui est la plus bleue
[Valence Les Navires, photo Marlene T.]
Samedi 18 février 2012
Just
a passing feeling
Tu es la grande ville et
je suis ta banlieue crasseuse
maladive misérable
il ne se passe rien dans moi
que des petits crimes honteux
tandis que tu brilles la nuit
tu vibres le jour
tu ronronnes et pétilles
amuses et séduis
rien de ce qui vit en toi
ne s’aventure jamais chez moi
par peur sans doute
de tout ce qui grouille ici
et s’en vient parfois
vandaliser tes artères
briser tes vitrines
et te salir un peu
avant que l’aube
ne vienne rincer les caniveaux
effacer les traces de moi sur toi
Sharp's Ville
[Dublin 2009, Photo Marlene T.]
On tricotte chez Chouinard !
Et voilà, Mailles à l'envers est disponible sur les étals
de la
Librairie Chouinard à Québec !
Vendredi 17 février 2012
Rester aux aguets
La liberté
est pleine
de barreaux
à scier
Cage
à rêves
[Blois Aout 2011, photo Marlene T.]
Galerie Foutraque
"Tout est bio qui finit bio", un petit
texte à l'humour rouge et noir (et vert) à lire sur
l'irremplaçable revue du Théâtre du Rond Point,
Vent Contraires !
Jeudi 16 février 2012
I Don't think of all the misery
but of the beauty
that still remains
[Dublin 2009, photo Marlene T.]
Chaque geste
Ne rien
bâcler
faire chaque geste
comme si c’était le premier
comme si c’était le dernier
prétendre que le jour
ne s’éteindra jamais
ou qu’il sombrera
peut-être ce soir
dans la nuit éternelle
Mercredi 15 février 2012
Si loin si proche
La mémoire enregistre, mais parfois elle déforme. Elle classe, elle
range, elle fourre certains souvenirs en haut de vieilles armoires
cérébrales, dernière escale avant l’oubli.
J’ai retrouvé récemment ces photos prises il y a neuf ans exactement, le
15 février 2003, lors d’une manif contre la guerre en Irak. Les images
fixées sur la pellicule sont venues dépoussiérer ma mémoire.
>> Pour
voir les photos, c'est chez
FPDV que ça se passe
Mardi 14 février 2012
Ce
qui ne s’achète pas
Les marchands de rêves
ont plus de talent
pour l’emballage
que le contenu
Trouver ce que tu ne cherchais pas
[Irlande 2009, Photo Marlene T.]
Lundi 13 février 2012
Se
placer dans le décor
On pense parfois
à des voyages
des hôtels
des étendues bleues
ciel
mer
piscine
on y pense
parfois
pas si souvent en vérité
parce que c’est effrayant
parce que songer aux choses
c’est les dessiner
leur donner une forme
une apparence tangible
et alors
tout l’équilibre lentement bâti
se casse la gueule
on bascule
on chavire
on pourrait presque perdre
le sens du réel
et c’est grisant
d’imaginer que les choses
sont possibles
soudain
puisqu’on les voit
même si on ne parvient jamais vraiment
à se placer dans le décor
Dans le
train
elle regarde défiler le paysage
et rien ne prouve
que ce ne sont pas les immeubles
les arbres
les pylônes électriques
qui cavalent à perdre haleine
tandis qu'elle est assise là
immobile
De
l'autre côté de la vitre, les arbres courent
Vendredi 10 février 2012
Wonder woman
Ils ont arraché une
boucle. Mon oreille en sang. Je ne leur ai pas laissé le temps de choper
la deuxième. Cogner ces morveux. J’essuyais les coups autant que j’en
distribuais. C’était comme si leurs petits poings ne me blessaient pas.
J’étais Wonder Woman dans son short étoilé. Je sortais mon fouet et je
leur atomisais la gueule avec grâce et férocité.
[Extrait de "Mailles
à l'envers"]
[Photo Marlene T.]
[capturée dans un mag de salle d'attente...]
Mots
voyageurs !
Le poète
Alberto Augusto Miranda me fait de nouveau la surprise d'une
traduction ! Il s'agit du texte "Faire
semblant", à lire
ICI en portugais et en VO. En novembre dernier, il me faisait
déjà cadeau d'une traduction de "Les
bras du crépuscule". Et, toujours dans cette belle langue, Carlos Silva
m'a également offert une belle version de "Carte
postale". Merci les poètes !
Jeudi 9 février 2012
Un
tout petit peu trop de rien
Aujourd’hui est plein
d’un tout petit peu trop de rien
j’écris des mots vides
parce qu’il n’y a rien à dire
rien à raconter
je n’arrive plus à inventer
ni à voir ce qui se passe autour
ailleurs
à des lieues de mon ordinaire
étendre le linge
faire les vitres
(seulement à l’intérieur à cause du froid)
rédiger quelques lettres de démotivation
faire au mieux pour ne pas être
totalement inutile
trainer les pieds
tourner en rond
dans un aujourd’hui plein
d’un tout petit peu trop de rien
regarder demain punaisé là-haut
à côté de la lune
n'avoir l'envie de décrocher
ni l’un ni l’autre
Les bureaux sont en haut d’un building.
Dernier étage, léché par les nuages. Des fenêtres immenses. Le
soir, la vue est terrifiante et magnifique. Un tapis de lumières
et les phares des voitures comme des lucioles épileptiques.
Autrefois, Jim aurait eu honte. Il se serait dit que balayer et
astiquer, c’était un boulot de femme. Aujourd’hui, ce qui lui
fait honte c’est d’avoir été un connard pareil. Il est le seul
homme dans son équipe et ses collègues apprécient qu’il ne joue
pas au chef, qu’il garde ses couilles rangées et passe la
serpillière, comme tout le monde.
Le soir, ils arrivent vers vingt et une heures. Bien après que
les bureaux se soient vidés. C’est la règle. Un moyen d’éviter
que deux mondes se croisent. Comme si chaque univers devait
ignorer la présence de l’autre. Parfois, il y a des
interférences. Des comètes. Une femme brune en pull grenat
assise dans le bureau du fond.
Lorsqu’il pousse la porte, elle le regarde comme on regarde une
souris déboulant dans l’allée d’un supermarché. Puis elle
esquisse un sourire et s’excuse. Elle ramasse son sac, son
manteau et sort en s’excusant de nouveau. Lui n’est pas foutu de
prononcer le moindre mot.
C’est étrange de nettoyer une pièce encore chargée de présence.
L’impression d’un équilibre instable. Comme si les objets
étaient plus fragiles. Jim vide la poubelle et balaye d’une
caresse les poussières invisibles sur le siège. Puis il se
penche, sans bien réfléchir à son geste, et presse son visage
contre le velours brun du fauteuil, aspirant un reste de
tiédeur, flairant l’odeur capturée dans le tissu. Il se sent
drôle. Presque ému.
En quittant le bureau, il regarde sur la porte.
Une petite plaque gravée indique J. Reyes.
Feeling blue
[Ciné Les Navires, janvier 2012, photo Marlene T.]
Lundi 6 février 2012
Demain est une petite utopie quotidienne
Ce matin tu fais semblant de dormir
longtemps
jusqu’à ce que tout le monde soit parti
jusqu’au retour du silence
tu restes planquée
les couvertures jusqu’aux oreilles
comme un paysage effacé par la neige
comme des meubles de jardin
entreposés sous une bâche bleue
pendant l’hiver
comme toutes ces choses
qui attendent immobiles
sans avoir conscience du lendemain
ou de son absence
Dreams
[Chopé sur "Two
for the road" : Image next to image. Nothing more, nothing less.]
Dimanche 5 février 2012
Le
silence me parle de choses invisibles
[Valence février 2012, photo Marlene T.]
Samedi 4 février 2012
Il y a des
auréoles au plafond
mais pas d'anges, jamais d'anges
[Blois août 2011, photo Marlene T.]
Quelqu’un d’autre
Et ton père ? interroge Mary. Elle t’a parlé de ton père ?
Franck secoue la tête.
Je ne lui ai pas demandé, il dit. J’ai réalisé en la voyant là, devant
moi, comme si elle n’était rien, que je me foutais d’en savoir plus sur
mon père. Peu importe la paire de couilles dont je suis issu. Peu
importe le ventre qui m’a porté. Je ne suis plus l’enfant qu’ils ont
créé. Je suis quelqu’un d’autre maintenant. J’ai sculpté l’homme que je
suis.
[Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Vendredi 3 février 2012
Zombie
Elle lui dit, Je ne comprends pas ce qu’on fait là. A quoi ça rime après
tant d’années ? Pourquoi tu m’as appelée ? Elle déchire un sachet de
rince doigts et elle demande, Pourquoi tu as voulu qu’on se voie ? Mais
qu’est-ce qui t’est passé par la tête tout à coup ? Toi qui affirmais
que c’était fini, que je n’étais plus ta mère, que je n’existais plus.
Tu as retrouvé la mémoire, c’est ça ? Tu as besoin de quelque chose ? Tu
as besoin d’argent, hein ?
Elle fait attention de ne pas trop élever la voix. Ne pas dépasser les
décibels de la petite musique d’ambiance, des conversations alentours,
du bruit des couverts et des assiettes. Elle frotte ses mains
nerveusement avec le petit papier citronné. Un morceau de persil est
collé au coin de sa lèvre inférieure. Elle a l’air usée. Presque
fragile. Mais elle garde cet éclat métallique dans le regard. L’acier
dont elle est faite. Ce besoin de puissance et de domination.
Franck prend son temps avant de répondre. Il laisse le silence se
distendre comme un élastique en limite de rupture. Il flaire l’odeur
aigre des moules au vin blanc, du citron synthétique, de la rancune. Il
ne reste rien. Pas la moindre trace de quoi que ce soit en lui. Ni amour
ni haine. Juste cette petite paix distanciée qu’est l’indifférence.
Il murmure, je voulais être certain de t’avoir tuée dans mon cœur.
Il pose un billet sur la table, pour l’addition et il s’en va,
abandonnant-là le cadavre vivant de sa mère. [Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Déferlante de
mailles
Voilà, ça y est,
Mailles à l'envers est sortie des presses !
On peut le commander sur le
site de l'éditeur ou via
Amazon
Ou en m'envoyant un petit
mot
Jeudi 2 février 2012
Les
fleurs (fanées)
La dame assise à côté de moi
sent le parfum
chaque fois qu’elle bouge
ça me rappelle l’odeur des giroflées
dans le jardin de mamie
c’est étrange
ce cocktail de joie et de nostalgie
cette impression fugitive
d’être à la fois
vieille
et môme
Wild
thing
[Valence janvier 2012, Photo Marlene T.]
Mercredi 1er février 2012
Voie
C
En gare de Grenoble
le ciel a déposé des congères sur le ballast
la ville est enveloppée de coton-brouillard
tout est blanc et flou
sur le quai les gens dansent
d’un pied sur l’autre
ils virevoltent
pour conjurer le froid
parfois les nuages s’écartent
et on aperçoit la montagne blanche
au loin
pas si loin
dans le micro une voix annonce quelques minutes de retard pour le train à destination de Valence quelques minutes supplémentaires
pour danser sur le quai
avec nos nez rouges et
nos allures de clowns amoureux de l’hiver
Avant - Après
[Valence janvier 2012, Photos Marlene T.]
Mardi 31 janvier 2011
Sous
l’ongle
Il gratte la fine pellicule argentée
qui cache le secret
la réponse
le trésor
gravé sous les copeaux
les miettes se coincent sous l’ongle
il a mis un temps fou
à choisir ce ticket de jeu au milieu de tous les autres
et il n’est même pas sûr que ce soit le meilleur
comme un grain de sable pioché sur la plage
est-ce que ça peut changer une vie, un grain de sable ?
peut-être
après tout
des choses plus petites qu’une poussière
peuvent bouleverser le monde
il souffle et les copeaux argentés s’envolent
il n’ose pas regarder
pas encore
il ferme les yeux et rêve quelques secondes de plus
il se dit que s’il gagne assez d’argent
il remplacera toutes ses dents pourries
par des dents en or
il trimballera sa richesse dans sa bouche
et sans doute qu’il aura alors
un sourire lumineux et doré
comme celui des gens
heureux
Avant
je croyais que les adultes
ne pleuraient pas
n’avaient pas peur
connaissaient toutes les réponses
je me disais que grandir nous transformait
qu’une étrange alchimie
rendait les choses plus simples
qu’on n’avait plus à s’inquiéter de rien
sauf gagner de l’argent
et puis penser à certaines choses comme
égoutter les nouilles
ou sortir le linge de la machine à laver
mais visiblement il n’en est rien
les adultes sont juste des enfants
qui ont appris à faire semblant
et qui se cachent
pour pleurer
Peindre des robinets
regarder les fleurs magiques envahir la ville
[Valence Janvier 2011, Photo Marlene T.]
Dimanche 29 janvier 2012
Ni
pipi, ni caca
[Valence janvier 2012, photo Marlene T.]
Samedi 28 janvier 2012
Pas
de revanche à prendre
M’allonger et me dire
qu’il n’y a pas surtout pas de revanche à prendre
laisser ce genre de jeu
à ceux qui pensent
devoir prouver
justifier
rentabiliser
montrer qu’ils existent
M’allonger et me dire
que je suis vivante
et que c’est bien assez
pour remplir
l’aujourd’hui
Mon
nom est personne
[Chopé ICI- y
faire un tour aussi pour voir la chouette
horloge...]
Vendredi 27 janvier 2012
Tell
me where did you sleep last night
[Blois Août 2011, Photo
Marlene T.]
Petite tricherie
Ma
mémoire est un palimpseste
quand le passé démange
je gratte puis
je réécris
Jeudi 26 janvier 2012
Fly
away
S'échapper
à bord
d'un avion
de papier
Emergency
[Paris novembre 2011, photo Marlene T.]
Mercredi 25 janvier 2012
Portraits flous
Lorsqu’il regarde
les gens qui marchent dans la rue
qu’il pose ses yeux sur des yeux qui se détournent
qui fuient
il le fait tout en légèreté
effleure à peine
ne prend surtout pas le temps de goûter les détails
vite, il baisse les paupières
cligne
fondu au noir
passe au visage suivant
baisse les paupières, encore
au suivant
il façonne mine de rien une galerie de portraits
flous et anonymes
peu importe
c’est mieux que rien
mieux que regarder au loin en prenant l’air
distant affairé méfiant agressif
mieux que regarder
les traces de pas qu’on ne laisse pas sur l’asphalte
et les chewing-gums collés
qu’une bouche inconnue a mâchés
puis crachés
Everything is under control
[Italie août 2011, Photo Marlene T.]
Mardi 24 janvier 2012
Living in a dream
Un jour
je me suis endormie
et je ne me suis plus jamais
réveillée
voyage à dos de lit
[Hôtel Août 2011, photo Marlene T.]
Lundi 23 janvier 2012
Farewell
Soudain, je me suis rendue compte du chemin
qui avait été parcouru. Je me suis retournée et vous n’étiez
plus que de minuscules points noirs à l’horizon. Vos armes, vos
munitions, vos amères petites méchancetés ne pouvaient plus
m’atteindre. Quelque chose en moi vous a dit adieux ce jour-là.
Vous n’avez pas entendu. Vous n’avez jamais rien voulu entendre
de ce que mes silences tentaient de vous dire.
J'ai
toujours été dans la lune
C'est peut-être ce qui m'a protégée
I lived
on the moon
Samedi 21 janvier 2012
Cachette
[Photo Marlene T.]
Vendredi 20 janvier 2012
Nulle part chez moi
Quels que soient les murs
le ciel ou les sourires autour
j’ai l’impression de n’être
nulle part chez moi
et même dans ma propre peau
je me sens souvent
comme un intrus
Honey
I'm home
early as expected again
[Filthy Boy, Waiting On The Doorstep]
Jeudi 19 janvier 2012
Prière de ramasser vos effets personnels
[Italie aout 2011, photo Marlene T.]
Feel
like shit
Tu as fait une connerie. Ils disent que tu sais rien faire
d'autre que des conneries. Ils se mettent en rogne et te chopent
par le col et te foutent le nez dedans, et puis... Et puis ils se
calment, ils essayent une autre technique, ils se mettent à parler avec douceur et ça
te fait penser au
parfum qu’on asperge dans les toilettes pour camoufler l’odeur
de merde. Personne n’est dupe.
Mercredi 18 janvier 2012
"There is no answer. It's OK.
But even if it wasn't OK, what am I supposed to do ?"
[Raymond Carver, Cathedral]
[Londres 2010, photo Marlene T.]
Ciel
et terre
Là-haut
les nuages cavalent
comme des moutons sans pattes
ici
les gens courent
comme des poulets décapités
Encore
une belle surprise ce matin, dans ma boîte virtuelle, un mot de Carlos Silva
qui me fait l'honneur d'une traduction de "Carte
postale" en portugais, à lire ICI.
En novembre dernier, c'était
Alberto Augusto Miranda qui me faisait cadeau d'une traduction
de "Les
bras du crépuscule". J'aime quand les mots voyagent en d'autres
musiques !
Mardi 17 janvier 2012
Représentation
Je
n'existe pas
je
est un mirage
ceci est un
rôle de composition
j'écoute les souffleurs
je vis
en gestes mécaniques
Quand l'hiver fait croustiller le matin sous nos pieds
[Photo Marlene T.]
Lundi 16 janvier 2012
Oser
Oser c’est
laisser les choses
sortir de soi
moi je ne peux pas
je suis une boîte
de Pandore
A la
dérive
La troisième édition de la revue A La
Dérive est sortie et elle nous arrive avec un sommaire bien
garni !
A lire
ICI
Samedi 14 janvier 2012
Magic spell & nutella
[Paris novembre 2011, photo Marlene T.]
Vendredi 13 janvier 2012
La
chaleur qui lentement s’échappe
Tu ne sais pas trop quoi en faire
de ce surplus d’amour
que t’as dans le ventre
tu voudrais bien le donner
mais à qui ?
et comment ?
plus rien ne se donne
si facilement
de nos jours
les gestes généreux
deviennent vite suspects
alors tu fourres tout ça
dans des sacs poubelle
que tu descends le soir
en écoutant le givre
figer le paysage
en regardant la fumée blanche
qui sort de ta bouche
la chaleur qui lentement
s’échappe
de l’intérieur de toi
Encore.
[Paris novembre 2011, photo Marlene T.]
Jeudi 12 janvier 2012
Immortelle
Je ne sais pas
pourquoi je me suis mise à gerber si souvent. J’avais dans les huit,
neuf ans. C’était après cette longue maladie qu’avait pas réussi à me
terrasser. Je me disais que j’étais invincible, immortelle. Que je
serais capable de survivre à tout. Je ricanais intérieurement. Et puis
l’instant d’après, je ne rigolais plus du tout. Je mettais les mains
devant ma bouche pour retenir le flot, mais c’était trop tard. J’avais
du dégueulis plein les doigts et le pyjama. Mes cheveux trempaient dans
les flaques grumeleuses sur la table. Ça ruisselait le long du pli de la
toile cirée en ploc ploc sur le carrelage. [Extrait de
Mailles à l'envers, bientôt
en librairies]
Seuls
ceux qui se croient immortels
s'offrent le luxe d'attendre
des jours meilleurs
Papa
& maman
Une
petite participation en texte et image à voir sur FPDV
Thème du mois : Père et Mère
Cordon ombili-cul [en clin d'oeil au texte en ligne sur FPDV]
[Photo Marlene T.]
Lundi 9 janvier
La
marge d'erreur
Rêver
l'avenir
c'est un peu
le prédire
Marcher sur les mains, regarder le monde à l'envers
[Avignon décembre 2011, Photo Marlene T.]
Dimanche 8 janvier 2012
Right here, right now
[Valence 8 janvier 2012 20:43, photo Marlene T.]
Samedi 7 janvier 2012
Pardon
Aux paroles étouffées
à tous les rêves
que j’ai laissés s’éteindre
à cet univers
en big-bang perpétuel
que j’emprisonne
dans ma sale caboche
Locked
[Photo Marlene T.]
Vendredi 6 janvier 2012
J’emmerde le petit chimiste
Il paraît que l’amour
est soluble dans le quotidien
Tu
fais quoi dans la vie?
[Bretagne 2010, Photo Marlene T.]
Chez
Aglaé
Il s'y passe toujours des choses, du côté de
chez
Aglaé Vadet ! En
novembre, elle proposait, avec ses comparses, un jeux d'écriture
dont j'avais parlé
ici et voilà qu'aujourd'hui
les nouvelles concoctées sont réunies en un bien beau recueil que
l'on peut se procurer en cliquant
là !
Jeudi 5 janvier 2012
Ombres chinoises
Il faut avouer
que
les idées noires
sont du plus bel effet
sur fond de nuit blanche
Wake Up
[Arcade Fire]
Someone told me not to cry
[Londres 2010, photo Marlene T.]
Mercredi 4 janvier 2012
Le silence, je ne
trouve pas ça rassurant
Franck est parti. J’ai entendu la porte.
Je sais que Franck n’existe pas. Encore un personnage dans ma tête. Et
toutes ces voix qui refusent de se taire. Je n’en peux plus. Il faudrait
sans doute que je retourne voir le médecin. Que je prenne à nouveau des
cachets. Un jaune le matin, un rose le soir.
Je n’arrive plus à démêler le vrai du faux. Parfois j’ai peur, quand je
me rappelle. Les armes, l’argent, le sang, mes cris, sa colère, notre
fuite. Il va finir par me retrouver. Lui, je sais qu’il existe parce
qu’il m’a fait mal. Le corps n’oublie jamais.
C’est trop dangereux de rester chez moi. Il sait où me chercher. Je n’ai
nulle part où aller. Les verrous ne servent à rien. Il va revenir et me
faire mal et me faire taire. Il trouvait que je parlais trop. Prétendait
que si je me faisais choper je finirais par le balancer parce que
j’étais incapable de tenir ma langue. Il a essayé de me dresser. Il a
fait du bon boulot. Je n’ai pas parlé de lui. Quasiment pas. Sauf à
Franck. Un tout petit peu.
Il faut que je me planque. Je ne suis pas chez moi. Ici, il ne me
trouvera pas. Je suis chez Franck. C’est pour ça que je ne reconnais pas
les meubles. Franck n’existe pas. Et peut-être que moi non plus. Est-ce
que ce cri sort de ma bouche ou résonne juste à l’intérieur de moi ? Il
faut du bruit, toujours plus de bruit pour couvrir le vacarme dans ma
tête.[Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Je me souviens
que je ne t'ai jamais rencontré
[Londres 2010,Photo Marlene T.]
Mardi 3 janvier 2012
Les questions
Je n’ai rien à dire. Ç’a toujours été ainsi. J’étais une enfant
silencieuse. Tellement discrète qu’on finissait par m’oublier. On
m’oubliait chez mémé et en forêt. On m’oubliait au supermarché et à
l’école. J’ai fini par me dire qu’il n’y avait pas de place ici pour les
gens silencieux. Depuis, je parle. Tout le temps. Je n’ai rien à dire.
Rien à avouer, confesser ou raconter. Alors j’invente. Des tas
d’histoires. Peu importe qu’on me croie, ce qui compte c’est qu’on
m’écoute. Lorsque je parle, on me voit. J’existe. Je prends forme, je me
dessine, je me rature, je me recommence. Je suis mon propre personnage
de fiction. Ma marionnette. La seule chose qui ne change pas, c’est mon
prénom.
Et mon besoin d’amour.
Quoi que je dise, tu ne dois pas me croire. Jamais !
Ça tombe bien, murmure Franck, je ne crois jamais personne.
Je n’ai pas grandi dans un orphelinat. Mes parents ne sont pas morts. Je
les ai tués dans mon cœur. Je les ai oubliés. Enfin, pas tout à fait.
J’envoie une carte au nouvel an. Parfois je me trompe de date ou même
d’adresse. Ça aussi ce sont des histoires, tu vois ?
Tu comprends ?
Franck hoche la tête. Il reste silencieux. Depuis longtemps, il sait que
plus on pose de questions, moins les gens se dévoilent. Et ce n’est pas
qu’il ait envie d’en savoir plus sur Mary ni sur qui que ce soit, non.
C’est juste qu’il déteste les questions. Celles qui lui sont adressées
autant que celles qu’il pourrait poser. [Extrait du tricotage
en cours "Les voix"]
Tu vas trop vite, dit Franck. Chaque chose en son temps...
Mary s’agite, parle, s’essouffle, bouscule, accélère, parle
encore. C’est vrai, elle veut toujours précipiter les
évènements. Elle veut cueillir maintenant les fruits de vie qui
passent à portée de sa main. Ne pas attendre qu’ils soient mûrs,
tombent et pourrissent. Trop de gaspillage !
Elle hausse les épaules.
Chaque chose en son temps ?
Ça signifierait que tout n’est que puzzle alors que tout n’est
que chaos. Et si parfois les pièces semblent s’emboîter à la
perfection, ce n’est que le fait du hasard ou de nos vues qui
déforment le paysage.