Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
A-t-on
tous
la sensation d'être parfois
le touriste de sa propre existence ?
Vendredi 29 mars 2013
Écrire ce qu’on
ne peut dire
Je ne sais pas dire ce qui arrive dans ces moments-là parce qu’en
réalité, je ne suis pas là.
Alors ensuite je dis un mensonge. Alors je raconte des choses aussi
vraisemblables que possibles. Je dis, ne t’inquiète pas. Je camouffle,
j’enjolive, je mascarade. Tout ça, c’est après être redevenue moi, le
moi correct, le moi qui porte une peau convenable, un costume, une
armure. Le moi qui veut rassurer. [Lire
la suite dans le dossier "Ecriture de soi"]
Parallèlement au dossier sur l'écriture de soi, à lire dans le n°
d'avril du Magazine Littéraire, Mathieu Simonet a ouvert ce
projet en ligne auquel chacun peut participer pour enrichir le sujet de
multiples regards.
I found some
light in the kitchen-sink
[Valence Juin 2012, photo Marlene T.]
Jeudi 28 mars 2013
Comment nager dans un lit défait ?
Mes yeux creusent l’obscurité
le plafond usé par l’insomnie
les pensées comme une nuée d’étoiles filantes
trop nombreuses
trop vite
j’ai le mal de mer
me noie dans le solide
comment nager dans un lit défait ?
je rêve à ton corps nu et chaud contre le mien
j’y rêve comme si tu n’étais plus là
pourtant tu es bien là
mais pas contre moi
cette petite distance de drap froid entre nous
comme un océan à boire
j’y plonge ma main et cherche à lire en braille
les traces d’un nous qui ne serait plus que lexical
j’ai peur du vide entre les lettres
entre les êtres
entre ta main et ma peau
et demain ?
le matin est toujours tellement long à venir
j'attends le lever du jour et le café et tes yeux et tes baisers
pour me sauver des noyades nocturnes
Mercredi 27 mars 2013
Une brèche
Salle d’attente des urgences. Un jour ordinaire, sauf pour eux, sauf
pour nous. Une jeune mère serrant un tout petit dans ses bras. Elle le
supplie d’arrêter de pleurer, de cesser de hurler. Elle lui murmure
d’une toute petite voix, à bout de forces. Son visage livide, les yeux
débordant de détresse.
A côté, une adolescente aux vêtements déchirés, traces de terre et
d’herbe. Son œil droit enflé à peine ouvert. Une trainée de sang séché
entre son nez et sa bouche. Sa mère tremblante qui lui caresse les
cheveux en tentant d’y remettre un peu d’ordre. L’adolescente qui la
laisse faire un moment et puis la repousse d’un air agacé. Ça va maman,
c’est bon !
Ma fille assise à mes côtés, immobile, silencieuse. Des cachets qui se
dissolvent lentement dans son ventre. L’infirmière dans l’embrasure de
la porte, téléphone à l’oreille, questionne le centre antipoison. Ma
fille planquée dans un silence aussi épais que les murs d’une forteresse
médiévale. La pierre dans laquelle je cherche désespérément une brèche.[Les
Gens #7]
L'absence
[Paris 2011, photo Marlene T.]
Mardi 26 mars 2013
La femme sur le
sable
Sur la plage, une femme allongée. Une mère de famille entourée de
pelles, de seaux, de lotion solaire et serviettes multicolores, mais pas
d’enfants. Probablement à jouer au bord de l’eau. Avec un père ou
peut-être pas.
Une femme allongée, maillot rouge à poids blancs, cordon dénoué autour
du cou pour éviter la marque de bronzage mais les seins cachés. Ses yeux
sont fermés mais elle ne dort pas. Sa main creuse et saisit une poignée
de sable, serre un moment son butin comme si elle voulait emprisonner la
plage dans son poing, puis elle laisse filer les grains, lentement,
entre ses doigts.
Les enfants reviennent en courant en criant en riant. Ils s’ébrouent,
fouillent dans un sac, éventre un paquet de biscuits. Tu dors maman ? La
femme allongée entrouvre les lèvres sans qu’il n’en sorte un son. Elle
se retourne, le ventre contre sa serviette, dénoue le dos de son maillot
pour éviter les marques de bronzage et pioche une poignée de sable,
l’emprisonne un moment puis laisse filer les grains entre ses doigts.
Les enfants repartent en courant en criant en riant. La femme ferme les
yeux, n'a pas envie que les grains de vie viennent irriter l'intérieur
de ses rêves.
[Les
Gens #6]
Hey beach !
[St Malo 2012, photo Marlene T.]
Dimanche 24 mars 2013
L'humeur du dimanche : toxique
[Photo Marlene T.]
Samedi 23 mars 2013
Le petit garçon
gros
Le petit garçon gros, le petit garçon qui n’est plus un enfant mais pas
encore un homme et qui transporte son entre-deux, son sac à dos, un
croissant dans une main et un paquet de biscuits dans l’autre, le petit
garçon gros avec un jogging mou plein de vert aux genoux, avec une
casquette, avec de la musique dans les oreilles et un drôle d’air dans
les yeux, peut-être du vide qu’il essaie de remplir. Le petit garçon
gros qui mord dans croissant, une fois deux fois trois fois et il n’en
reste rien, l’autre main accrochée au paquet de biscuits comme à la main
d’une mère, présence rassurante. Le petit garçon qui avance en regardant
ses pieds, jamais devant, jamais. Les gens l’évitent, les poteaux
l’évitent, la vie l’évite alors il se demande s’il est invisible, alors
il fait comme la grenouille, alors un jour il va peut-être enfler,
enfler assez gros pour exploser de chagrin et éclabousser le monde.
[Les
Gens #5]
Vendredi 22 mars 2013
La voisine qui
promène son chien en chancelant
Le soir, par la fenêtre de ma cuisine, je vois la voisine qui promène
son chien en chancelant. C’est plus facile pour elle l’hiver, lorsque la
nuit tombe vite, de sortir sa petite ivresse dans l’anonymat orange des
lampadaires. La voisine ne marche pas très droit et elle accuse son
chien à voix haute, comme pour faire savoir au ciel ou aux curieux que
c’est à cause de cet animal tout ça, ses pas mal assurés.
Quand je la croise parfois dans l’escalier en descendant les poubelles
tandis qu’elle remonte au ralenti, il y a une petite inquiétude qui
s’allume au fond de ses yeux. Elle dit bonsoir sans desserrer les
lèvres. Je fais mine de ne pas remarquer l’odeur de rhum-vodka-vin qui
sort d’elle, pas seulement de sa bouche. Je fais mine d’être juste
amicale, avec ce qu’il faut de distance, comme n’importe quel voisin de
palier. J’ai envie parfois de la prendre dans mes bras pour qu’elle
cesse de trembler, de lui tenir la main pour l’aider à monter, de
caresser son chien terriblement docile. Mais je ne le fais pas, bien
entendu. Et elle continue de grimper les escaliers, accrochée à la rampe
pour ne pas basculer. [Les
Gens #4]
Jeudi 21 mars 2013
La petite fille
qui se transforme en sirène
La petite fille passe derrière le panneau de bois peint et cale son
visage dans le trou et elle passe aussi quelques mèches de cheveux, ses
boucles blondes, pour faire plus vrai. Ses parents de l’autre côté
règlent l’appareil photo, ils visent, ils disent, souris ! Mais la
petite fille répond non, que les vraies sirènes ne sourient pas sinon
l’eau rentre dans leur bouche et elles doivent l’avaler, avaler toute la
mer et elles n’ont pas le ventre assez grand pour boire toute la mer,
elles en mourraient. Les sirènes ne sourient jamais. La petite fille ne
dit rien en réalité. Elle sourit mais elle garde ses lèvres bien
serrées, un sourire qui se méfie de la mer à boire, un sourire qui sait
en secret. Les parents prennent la photo. La petite fille sort la tête
du trou, récupère ses cheveux et redevient une petite fille, juste une
petite fille et au bout de la jetée il y a la mer que personne n’a bu
encore. [Les
Gens #3]
La mer à boire
[Bretagne 2006, photo Marlene T.]
Mercredi 20 mars 2013
La dame
en robe de chambre
La dame en robe de chambre accoudée à la fenêtre d’un grand immeuble
avec vu sur le centre commercial, avec sa cigarette, avec son regard
doucement posé sur les mômes qui jouent dans un carré de gazon miteux,
la dame en robe de chambre accoudée à la fenêtre avec sa fatigue digne
et sa couronne de
bigoudis semble veiller sur un royaume qui n’appartient qu’à elle.
[Les
Gens #2]
Le type derrière son zinc, avec des cernes autour des yeux, de la même
couleur que le fond des cendriers, avec son teint d’anisette, avec la
peau de ses doigts un peu fripée à cause de l’eau de vaisselle, avec son
sourire de presque rien, son sourire juste ce qu’il faut pour le
commerce, son sourire qui se redessine par habitude chaque fois que la
porte teinte pour laisser entrer un client. Le type derrière son zinc
qui trompe parfois l’ennuie en sifflotant avec le crincrin de la radio,
qui se cure le nez quand il croit que personne ne le voit, qui sert des
cafés et des pressions et des sirops, parfois des trucs plus
sophistiqués mais pas très souvent. Le type derrière son zinc, qui
regarde un peu trop sa montre en se demandant si c’est lui ou si le
temps est de plus en plus long, en se demandant si ses rêves sont noyés.
Le type derrière son zinc qui arrive chaque matin à la même heure, qui
allume les néons, la radio, qui enlève la page de la veille sur
l’éphéméride, la froisse et se dit que ses journées sont à peine plus
épaisses que la feuille qu’il jette à la poubelle en soupirant. [Les
Gens #1]
Lundi 18 mars 2013
En route
Certains instants ont la beauté des toutes petites fleurs qu’on écrase
sur les chemins de campagne, sans y prêter attention, on se dit qu’il en
repoussera bien d’autres, n’est-ce pas. Au fond, qu’est-ce qu’on en sait
? Et puis pourquoi, je me demande pourquoi, seuls les enfants cueillent
ce genre de fleurs ? Est-ce qu’on a oublié, perdu quelque chose en route
?
It's time to dive (11)
[Londres 2012, photo Marlene T.]
Dimanche 17 mars 2013
L'humeur du dimanche : se poser les bonnes questions
Il y a eu ce moment
où tout a semblé disparaître. C’était le début de ta maladie mais nous
n’en savions rien. Ta réalité n’était plus celle que nous avions tous
choisi de voir. Qui avait tort ? Tu voyais des détails invisibles, tu
faisais des choses qui nous semblaient étranges, tu lavais tes pieds
dans des poêles à frire et tu cherchais des espions russes dans les
ruelles de St Malo, tu tartinais du beurre sur les tranches de pizza. Et
nous, on riait, un peu stupides et un peu tristes, comme si tu perdais
simplement la tête alors que nous avions tous perdu la nôtre depuis
longtemps à essayer de se ressembler les uns les autres sans prendre la
peine de chercher qui nous étions réellement.[Extrait d'un truc en cours]
La lumière est un leurre (sauf sous l'abat-jour)
Sortie aujourd'hui du n°7 de la revue L'Ampoule avec au
sommaire quinze textes et dix illustrations signés :
Patrick Arduise, Barbara Marshall, Gauthier
Nabavian, Anthony Lacroix, Mat Lest, Herculine Zabulon, Barbara
Albeck, le Comité Bar-Jésus, Jack Rimasky, Yves Leclere, Nicolas
Gracias, Philippe Sarr, Raymond Penblanc, Romain Giordan,
Christian Attard, Serge Cazenave-Sarkis, Marc Laumonier,
François Cosmos, Antonella Fiori, Marlène Tissot, Vlad
Oberhausen, Georgie de Saint-Maur, Constance Dzyan, Ludmila
Safyane, Natacha Gréget, Hugues Breton, Marray, Samuel Dudouit
et KOWALSKI.
Jeudi 14 mars 2013
Les
sourires tristes
Les souvenirs me
viennent par à-coups, dans le désordre. Tu m’emmènes au cirque. Un
chapiteau a installé ses couleurs entre la voie de chemins de fer et la
barre HLM où j’habite. C’est la première fois que je mets les pieds dans
une tente aussi grande, aussi haute, et je me dis que ce serait chouette
d’en avoir une comme ça pour les vacances au lieu de cette petite toile
bleue marine que papa peine toujours à faire tenir sur ses piquets dans
les prés à vaches, tandis qu’on mange des coquillettes cuites au réchaud
avec des moucherons collés dessus. Je me dis aussi que je ne devrais pas
être exigeante comme ça, que je ne devrais pas rêver aussi haut. Ça
donne le vertige.
On s’assied sur des bancs en bois alignés tout autour de la piste et les
enfants crient et les parents disent chut ! avec leur doigt devant la
bouche. Ensuite, il y a des jongleurs, des équilibristes – j’ai un peu
peur, comme si c’était moi qui risquais de tomber – il y a des dompteurs
de fauves et les lions ont l’air beaucoup plus obéissants que les
enfants aux rires rugissants. Et puis il y a les clowns et je te demande
pourquoi ils ont l’air triste malgré le gros sourire peint autour de
leur bouche. Tu me regardes sans rien dire. Tu me regardes et tu souris
et tes yeux son plein de chagrin bleu. Alors je me retourne vers la
piste pour ne pas t’embarrasser davantage et je fais comme si je ne
t’avais jamais posé cette question idiote à laquelle je n’ai toujours
pas trouvé de réponse.[Extrait d'un truc en cours]
Keep smiling
[Bruges 2012, Photo Marlene T.]
Mardi 12 mars 2013
Brindilles
Je construis des
choses - des choses qui me rassurent - un décor propre, lisse, rangé
d'où rien ne déborde - je construis des choses qui ne me ressemblent pas
- qui ne ressemblent pas aux images collectées par ma mémoire - c'était
le chaos autour de mon enfance - du genre qui fait pousser comme une
plante sauvage et biscornue - je ne sais pas qui je suis - pas plus que
ce que je voudrais être - je prends des modèles dans les pages de la vie
- je les découpe et je les colle sur mon quotidien - je me fabrique un
nid douillet avec des brindilles en forme de barreaux
Lundi 11 mars 2013
Souffler la vie
Je voudrais écrire
mieux.
T’écrire avec assez de légèreté planquée sous le masque rigide de la
syntaxe pour que l’histoire soit tissée d’autre chose que de mots, pour
que tu puisses me lire même si tes yeux sont fermés pour toujours, même
si tu n’as plus d’yeux du tout, brûlés, poussière, des yeux-grains
envolés partout comme des caresses légères sur l'écorce du monde. Je voudrais
écrire mieux pour ne surtout pas faire de toi un mythe, un monstre, un
personnage de fiction. Ecrire comme on souffle sur les braises de la vie. [Extrait d'un truc en cours]
Dimanche 10 mars 2013
L'humeur du dimanche
Samedi 9 mars 2013
Remplir le vide
Tu sais, je t’écris
des choses un peu comme ça, montre-moi qui tu étais, je dessine tes
contours de mémoire sur le paysage. Mais je ne veux pas te ressembler.
Je ne veux pas non plus éviter de te ressembler. C’est un peu comme
construire un puzzle. Au fond, c’est une manière de s’occuper, de
remplir le vide, parce que l’image, on la connaît déjà, elle est sur le
couvercle de la boîte. [Extrait d'un truc en cours]
Tu es mort et c’est comme si le monde était terminé pour toi,
pourtant le monde est toujours là, simplement, tu ne peux plus
en jouir ni lui cracher à la gueule. J’aurais aimé qu’en partant
tu me laisses un peu de ton appétit et de ta rage, que tu
m’apprennes comment cesser d’étouffer tout, systématiquement, en
moi.[Extrait d'un truc en cours]
Jeudi 7 mars 2013
Un
peu plus lisse
Aujourd’hui le soleil remplit tout le ciel et
je me demande s’il te laisse une petite place dans tout ce bleu
ou si tu es parti te cacher ailleurs en attendant le retour des
nuages.
Ici, le temps s’étale encore, comme si rien n’avait changé, mais
les jours sont un peu plus lisses maintenant que tu n’es plus là
pour bousculer la vie.
[Extrait d'un truc en cours]
[A mon Lulu, photo Marlene T.]
Mardi 5 mars 2013
Forêt
Elle fait ce genre de chose parfois, Mary. Elle s’installe à la sortie
d’une école, au milieu d’une forêt de mères, et elle observe, elle
écoute les oiseaux qui chantent dans leur bouche et le vent dans le
feuillage de leurs cheveux. Les mères sont des arbres majestueux malgré,
parfois, des traces d’automne comme une ombre de fatigue accrochée à
leurs yeux. Mary boit la sève de ces femmes-arbres et se demande si elle
saura un jour laisser pousser ses racines assez profond dans la vie pour
accueillir un nid en elle. Mais elle ne sent que du bois mort s'effriter
au creux de son ventre, comme si rien ne pouvait plus jamais germer ici.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
"People say nothing is impossible,
but I do nothing every day"
[Winnie the Pooh, A.A. Milne]
Lundi 4 mars 2013
Même
les rêves
Il devait être trois heures
quelque part entre hier et demain
quand j’ai ouvert les yeux
une petite lumière veillait sur nous
et dehors la nuit brillait fort en silence
on avait glissé dans le sommeil sans s’en apercevoir
ton bras autour de mes épaules
ta main glissée dans l’échancrure entre mes seins
nos culs posés sur le parquet
la nuque calée sur le rebord du canapé
on n’avait retiré que nos chaussures
et pas mal d’épaisseurs de douleur
je t’ai écouté dormir
ta respiration chaotique
des apnées
qui donnait des soubresauts à ta cage thoracique
comme une mer agitée sous ta peau
comme si les blessures
dont tu ne parviens à te défaire
bousculaient tout en toi
même tes rêves
Dimanche 3 mars 2013
L'humeur du dimanche
Samedi 2 mars 2013
Les
chemins
Il y a des moments où les évènements semblent
presque se dessiner de manière évidente. L'impression que,
quelque soit le chemin emprunté, il nous aurait guidé vers cet
instant.
Vendredi 1er mars 2013
Arachnophilie
Quand j’étais môme, souvent, je plantais mon
doigt dans le ventre des toiles d’araignées désertées et je
tournais, j’enroulais, comme de la soie sur un fuseau, jusqu’à
obtenir une petite barbapapa douce grise et poussiéreuse.
J’aimais les caves et les greniers. Ces endroits sombres, sales
et encombrés d’objets abandonnés. Le reste me faisait peur.
L’entre deux sols, le plein jour, les lieux grouillant de vie.
Alors je me planquais, en haut, en bas, dans la pénombre, à
tisser des cocons poisseux au bout de mon index. J’étais un peu spiderman. Sans le costume ni les pouvoirs, bien entendu. Foutu
monde !
[Valence Juin 2012, photo Marlene T.]
Mercredi 27 février 2013
Splash
Tandis que tu déploies
comme des ailes majestueuses
tes armes de séduction massive
je reste là
planquée dans
l’ombre pulpeuse de tes sourires décolletés
j’habite les fissures du silence
sans doute à cause de cette peur vertige
qui m’enfle le coeur
toutes les fois où je dois parler à un inconnu
sensation de sauter d’un plongeoir très haut
tomber vite et fort
nez au vent
vrille au ventre
alors qu’en dessous
l’eau disparaît avant de me cueillir
Il faudra un jour, maman
que tu m’apprennes à nager dans la vie
aussi bien que toi
Mardi 26 février 2013
Passages secrets
Ces
portes qui ne mènent nulle part
sinon un peu plus loin
à l'intérieur de soi
[Firenze 2003, photo Marlene T.]
Lundi 25 février 2013
Ça
me suffit
Parfois, c’est idiot
je suis tout de suite prête
à aimer les gens qui m’aiment
à me prêter au jeu
docile
Viens, arrache mes vêtements et puis ma peau aussi
pose de la douceur là où je ne sais pas en mettre
Parfois, c’est idiot
je me fais croire que j’aime
les gens qui m’aiment
pour ne pas être ingrate
parce que ça ne durera pas
il faut être lucide
ces petits bonheurs, je ne les mérite pas
il doit y avoir erreur sur la personne
je le sais
je le flaire
comme un animal
face à de la nourriture déposée sur un piège
ce n'est pas pour moi
danger - douleur en perspective
les gens qui m’aiment vont se carapater fissa
reprendre leurs billes avec des :
désolé
me suis trompé de numéro
d’adresse
de date
de lieu
d’yeux
ou même ils s’en iront avec juste du silence
je sais bien toutes ces choses mais
c’est idiot, parfois
je me fais croire que j’aime les gens qui m’aiment
et dans ces moments-là
je ne suis ni en-dessous ni au-dessus ni à côté de la vie
je suis en plein dedans
et peu importe si c’est par le truchement de mon imagination
ou d'un mensonge ou d'une illusion
les choses vont et viennent
le temps qui passe nettoie ou détruit tout
ça me suffit
parce que finalement
on ne fait rien d'autre
qu'avancer vers la mort
Dimanche 24 février 2013
L'humeur du dimanche : please accept me as I am
[Badly Drawn Boy]
Samedi 23 février 2013
Je
ne crois qu'à l'incroyable
- Et
maintenant ?
- Rien. On regarde le soleil se lever.
Arachnophilie n°(I don't remember)
[Photo Marlene T.]
Vendredi 22 février 2013
Ta
peau d'homme
Souvent, après leur
mort, les gens se voient soudain parés de tout un tas de qualités, les
défauts se dissolvent dans le flou d'un passé qu'on redessine pour mieux
tarir le chagrin. Je n'aime pas ces mensonges-là, je n'en veux pas pour
toi. Je veux me souvenir de toi entier, dans le meilleur et dans le
pire. Tu étais un homme comme les autres et tu as fait, toi aussi, des
choses plutôt moches. Blessantes parfois. Les colères que tu piquais
quand je m'écorchais les genoux parce que j'étais pas foutue de jouer
comme une fille et que tu menaçais de me tondre les tresses pour
m'apprendre. Tu n'étais pas toujours très gentil avec maman non plus. Et
puis il y avait la Jacotte, ta poule, que je devais saluer
poliment lorsque je la croisais en ville, comme si elle faisait partie
de la famille. Je ne comprenais pas tout. Je ne comprenais pas ça. Alors
je refusais de la regarder en face, ta poule, je refusais de lui
parler, de la laisser me faire une bise, je disais qu'elle sentait
mauvais et tu te fâchais. Non, tu n'étais pas parfait. Mais c'est ainsi
que je veux me rappeler de toi. Avec chacune des fibres dont ta peau
d'homme était tissée, les rêches comme les soyeuses. [Extrait d'un truc en cours]
J’ai un style de figure
qui affirme le contraire de ce que je pense
qui grimace dans le plaisir
qui prétend sans rougir que ces larmes sont là à cause du vent
je respire comme je mens
c'est-à-dire assez mal
la faute à mon poumon droit atrophié
à ma droiture mal à propos
Parfois, je m’agace terriblement
surtout quand me prend l’envie
de ressembler à ces filles
auxquelles il faudrait dire tu es belle, c’est bon, inutile d’en rajouter Souvent je me déteste
quand j’ai peur que tu me vois comme je me vois
Et puis quand j’ai ma figure sans style planquée dans la pénombre
à flairer l’odeur au creux de ton bras
quand tu t’endors et que ta peau infuse ma peau
mon ventre contre ta hanche
je me dis que finalement
être moi
n’est pas si mal
quand je suis moi avec toi
"Chacun
est coupable de tout le bien qu’il ne fait pas"
[Voltaire]
Mercredi 20 février 2013
Dissolution
De ces
instants où
j'ai
le regard et les pensées
solubles dans le paysage
Quand la vie devient
un peu
plus
que ce qu'elle n'est
« Cherchez encore un
peu, elle dit, en nous observant. Vous devez relier les neuf points avec
quatre traits. Sans relever le crayon. »
Elle s’attarde un peu plus longtemps devant ceux qui galèrent. Elle se
doute probablement qu’on s’en moque un peu de son petit exercice à la
con.
« Je vais vous donner un indice, elle soupire au bout d’un moment. Il
faut sor-tir-des-li-mites, elle dit ça en écartant les bras, comme si
elle voulait embrasser le monde. »
Quelques nez se relèvent. Certains aperçoivent la solution, s’en
approchent à grands pas. Mais elle n’attend pas, elle trace son petit
schéma sur le tableau blanc.
« Voilà ! » elle sourit, satisfaite, cuite à point.
Une dinde. Elle me fait penser à une dinde qui se prendrait pour un
génie.
« Vous avez compris ? » elle demande, comme s’il était évident que non,
on n’a rien pigé, on est tous des abrutis, puisqu’on est là, à
l’écouter, puisqu’on n’a pas de taf alors qu’elle, si. Elle nous apprend
la vie, elle nous tire de notre misère, elle nous montre la lumière.
Bien entendu, je les avais relié les points, depuis belle lurette. Parce
que je connaissais l’astuce. Une bonne blague de lycéens un brin
matheux.
Mais qu’est-ce que ça change ? Mon statut ? Mon aura ? Mon bonheur ?
Surement pas !
Alors je ferme ma gueule et je regarde madame se dandiner le long des
tables d’écoliers derrière lesquelles on est assis, dociles, presque
soumis. Puisqu’on n’est bon qu’à ça, n’est-ce pas ? L’écouter nous
seriner que dans la vie, pour s’en sortir, il faut dépasser les limites.
Elle hausse un sourcil et nous éclabousse de son regard mi-peiné
mi-méprisant. Je réfrène une envie de me lever, de la chahuter un peu,
de lui demander ce qu’elle en pense des limites maintenant que je les ai
clairement dépassées, maintenant que j’ai explosé les barrières et,
peut-être bientôt, sa petite gueule de faux-cul, son sourire Dior, son
air hautain. Mais je reste assise. Je baisse les yeux, je lui fous la
paix pour préserver la mienne. Parce qu’après tout, à quoi servent ces
fameuses barrières si ce n’est à préserver sa propre tranquillité, à
nous garder peinard, savourant la fadeur du temps.
Lundi 18 février 2013
Dreams are my
reality (no kidding ?)
Parfois je me dis que le monde entier - celui
qui défile sous mes yeux - n'est qu'illusion - la vérité des uns
est rarement celle des autres - la vérité pure - celle dont on
rêve parfois - n'existe jamais vraiment - elle dépend de nos
humeurs - de notre faculté à voir ou non certains détails - à
échafauder - à remplir les blancs avec notre imagination -
parfois je modèle le monde pour en faire quelque chose qui ne me
soit pas insoutenable.
Dimanche 17 février 2013
L'humeur du dimanche : I have mental conditions
Vendredi 15 février 2013
En
passant par son ventre
Tu
cherches sans cesse
un moyen de savoir
si vraiment
tu es là par erreur
par accident
tu te demandes
à chaque inspiration
si tu mérites tout cet air avalé
un peu comme si tu le volais aux autres
tu vis en sursis
tu cherches
dans le regard des gens
une gomme
pour effacer les mots
que maman t’a dit
il y a tellement longtemps
quand tu es sortie d’elle
pour tomber dans le monde
comme si tu t’étais trompé de chemin
de lieu
d'époque
tu ne devrais pas être là
t’aurais pas dû entrer dans la vie
en passant par son ventre
t’as fait des cicatrices tout en haut de ses cuisses
et dans son cœur et dans sa tête
jamais elle ne te pardonneras
d’exister
et le pire
c’est que tu la comprends
Jeudi 14 février 2013
Next big thing
Un petit questionnaire pour lequel
Chris Simon m'a tagguée après y avoir, elle aussi, répondu.
Alors parce que c'est Chris (et aussi parce que j'ai réussi à répondre à
peu près aux questions), voilà l'histoire de ma bestiole!
1. Quel est le titre de votre prochain texte? Les voix
2. D’où vous vient l’idée principale? Je n’en sais absolument rien ! Les idées viennent par bribes en
général et ce n’est qu’après avoir plusieurs "morceaux" sous la main que
je me rends comptent qu’ils appartiennent à la même histoire. Alors je
cherche dans les recoins de ma tête le reste de l’aventure.
3. À quel genre appartient-il? Ah, mais c’est une question que je ne me pose jamais en écrivant.
S’il faut qualifier, je dirais qu’il s’agit sans doute d’écriture
blanche. Sans en être tout à fait certaine.
4. Si votre texte était adapté au cinéma, quels acteurs verriez-vous
dans les rôles principaux ? Oulà ! Bien que j’ai une idée assez précise de ce à quoi ressemblent
mes personnages, je les décrits peu (voire pas du tout) dans mes
histoires. C’est un choix volontaire. Tout simplement parce que lorsque
je lis, j’imagine souvent les personnages différemment de la manière
dont on me les décrit. J’en ai déduit que la personnalité d’un
personnage nous permet de l’imaginer en fonction de notre propre vécu et
que les descriptions sont, la plupart du temps, inutiles.
5. Quel est le synopsis du texte en une phrase? Mary et Franck, deux personnes un peu borderline, abîmés par une
enfance difficile, se rencontrent par hasard et vont se lier, d'une un
peu étrange manière, pour tenter de se tisser à deux une existence plus
douce.
6. Allez-vous être publié par un éditeur ou en auto-édition? Probablement par un éditeur (celui de mon premier roman) ou pas du
tout si l’histoire ne les convainc pas. Mais j’avoue ne pas me soucier
de cela pendant la phase d’écriture. Pour l’instant, je suis hors du
réel, hors du concret, je vis avec des personnages de fiction et, pour
moi, c'est comme s'ils existaient vraiment.
7. Combien de temps avez-vous mis pour produire votre premier jet? Il n’est pas encore terminé (mais je suis très lente...)
8. À quel autre livre pouvez-vous le comparer? J’évite de chercher matière à comparaison, ça a tendance à me couper
les pattes...
9. Qui ou quoi a inspiré l’écriture de votre livre? Tout et rien. Je pioche des miettes d’inspiration dans tout ce qui
m’entoure, ce que je vois, entends, ressens, expérimente...
10. Que pourriez-vous dire pour piquer l’intérêt de votre lecteur? Franck et Mary sont terriblement attachants et Dan est un assassin
qui n’a rien à voir avec les méchants des films américain. Mais
l’histoire pourrait finir bien (je n’en sais encore rien, les happy ends,
c’est pas trop mon truc en général)
Voilà ! Ensuite, il paraît qu'il faut désigner les prochains à s'y
coller pour répondre aux questions et, fichtre, je me demande à qui je
vais pouvoir filer cette "punition" amusante. C'est pas que ça manque de
noms dans les auteurs que j'admire, c'est juste que je les connais : ça
va pas les amuser du tout, ce sont des timides ou des désobéissants...
Bon, je vais leur demander au creux de l'oreille et je reviens.
Ce matin en rasant mes idées noires
[Photo Marlene T.]
Mercredi 13 février 2013
Poids plume
Collectionner les moments
plutôt que les choses
même s'ils (surtout s'ils)
prennent moins de place
sur les étagères
Collection
[Photos Marlene T.]
Mardi 12 février 2013
Chutes de rêves
Parfois tout à l’air tranquillement ordinaire et puis il y a comme la
mer, comme des vagues dans ma tête qui s’écrasent, un peu coléreuses, un
peu moqueuses, une grande étendue bleue salée qui n’en à rien à branler
des saisons ni des touristes, qui va et vient en litres de pensées,
traces d’écume sur le sable de mon front, des images à l’arrière des
paupières, des oiseaux colorés, une fenêtre, ta chambre, à quoi
ressemble-t-elle ? que fais-tu, où es-tu, que dirais-tu si je portais
pour toi des collants transparents sans culotte en dessous ? non, c’est
impensable, je ne porte pas de jupe, jamais, ni de lycra sur le trop
blanc de mon cul, puis la couture ne saurait pas s’aligner sur la raie,
et moi j’aime les choses qui s’alignent, les choses évidentes qui
rassurent parce que sinon, c’est vite le raz de marée dans ma caboche,
il ne faut pas que je ferme les yeux, il faut que je me force à regarder
autour comme les choses sont tranquillement ordinaires, et moi dans tout
ça, il faut bien que je suive le mouvement, que je m’aligne, me
parallèle, droite jusqu’à l’infini, que je sois sage, que je ne pense
pas trop à toi, ni au temps qui froisse tout, ni à ce qu’il reste sur
l’oreiller quand je me lève le matin : des touffes de rêves emmêlés,
finalement, je préférerais perdre mes cheveux.
Lundi 11 février 2013
Distance de sécurité
On ne
s'éloigne jamais
de soi
autant qu'on le voudrait
Eye can see you
[Photo Marlene T.]
Dimanche 10 février 2013
L'humeur du dimanche
"Il s'est allongé à côté de moi et il a lu un Spirou"
I'm not there
Je suis
l'espace
entre le verre et
le diabolo menthe
Samedi 9 février 2013
Sans
bousculer le décor
Parfois, je me dessine des souvenirs de
choses qui n’ont jamais existé. Alors ces choses deviennent
comme vraies à titre posthume. Je m’invente des bonheurs à
remâcher pour quand le jour a une mauvaise haleine. Je remonte le temps et
réinvente le passé à ma guise, sans bousculer le décor, sans que
personne ne soupçonne rien.
Vendredi 8 février 2013
Froissée
Le train est annoncé avec dix minutes de retard. Le vent fait voler les
écharpes. Il y a de la sciure entre les rails à la hauteur du repère V.
Tu te demandes pourquoi, d’une manière un peu vague, sans vraiment te
sentir concerné. Il a neigé ce matin très tôt, avant que le jour ne se
lève. Des flocons minuscules comme des petites mouches blanches. Tout a
déjà fondu. Il ne reste que quelques traces de rêves sur l’oreiller
refroidi. Ta joue en porte encore la marque. La peau froissée d’une
nouvelle journée qui ne sera sans doute bientôt qu’un autre hier à
oublier. Ne pas penser que demain sera meilleur, mais continuer
d’espérer. Effleurer du bout des doigts les traits rouges sur ta joue
embossée de rêves, chercher dans une mèche de cheveux le parfum âcre et
doux de l’oreiller, se rendormir les yeux ouverts.
Jeudi 7 février 2013
Le
goût
Il y a
parfois
simplement
que le goût d'une bouche
sur ma bouche
peut transformer
la neige
en soleil
Je m'exprime juste (en silence)
[Valence, Photo Marlene T.]
Mercredi 6 février 2013
L’instant éternel
On s'accroche à l'éphémère
comme s'il était un arbre centenaire
comme s’il devait ne jamais ployer
comme si le temps n’était pas
le plus violent des vents
Mardi 5 février 2013
Contradictions
[Photos Marlene T.]
Lundi 4 février 2013
Dire non
Il paraît qu’il y a un âge auquel tous les enfants disent non. Moi, j’ai
toujours eu un mal fou à prononcer ce mot. C’était au ras de mes lèvres,
c’était partout dans ma tête, un grand non en majuscules comme un cri
silencieux. Mais je ne parvenais pas à le dessiner avec ma voix. Je ne
me sentais pas autorisé à refuser quoi que ce soit. J’avais peur, sans
savoir de quoi exactement. Papa ne m’a jamais battue. Maman grondait
parfois mais seulement comme un orage lointain, seulement pour les
choses sans importance. Les choses graves, elle ne les voyait pas, c’est
ce que je me disais.
J’avais peur, même avant que les choses du soir dans mon lit ne
commencent et que je ne sois plus capable du tout de dire non, surtout
pas à papa. Alors je ne disais rien, Jamais. Même quand maman me forçait
à mettre un pull qui gratte, même quand elle faisait des salsifis trop
cuits dans le beurre noirci parce qu’elle ne savait pas cuisiner, pas
vraiment, elle ouvrait des boites et les faisait chauffer. Trop ou pas
assez. Alors je mâchais en retenant les hauts le cœur tandis que la
chair filandreuse des salsifis se coinçait entre mes dents. Alors je
fermais les yeux très fort pour penser à autre chose et quand papa se
glissait le soir dans mon pyjama je me disais que les salsifis n’étaient
pas si mauvais, après tout.
Je ne savais pas dire non et si j’avais été une planche posée sur la mer
et qu’on m’avait interdit de flotter, je me serais transformée en
caillou pour me laisser couler. C’est un peu ce qu’il s’est passé, je
crois. Je me suis noyée quelque part au fond de moi. Je suis restée trop
longtemps sans respirer ma vie.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Dimanche 3 février 2013
L'humeur du dimanche : Je ne love rien
[Lyon janvier 2013, photo Marlene T.]
Samedi 2 février 2013
Inutile
Le monde tourne
fourmilière agitée
les passants passent
jamais les même et tous pareils
des grappes de gens pressés d’aller
je ne sais où
faire je ne sais quoi
d’important
probablement
pendant que je reste
à ne rien faire du tout
n’aller nulle part
comme pétrifiée
à siroter une culpabilité
qui s’épaissit lentement
me savoir inutile
à la marche de la Grosse Machine
broyer du noir au dessus des miettes de rêves
Vendredi 1er février 2013
Aspérités
Ces
endroits sur ma peau
qu'un seul homme connaît
je rêve parfois
que d'autres les caresses
et ce n'est pas tout à fait un rêve
parce que les rêves, eux
peuvent devenir vrais
So
what ?
[Valence janvier 2013, photo Marlene T.]
Jeudi 31 janvier 2013
Il
est mort ton père
Dan guette au
travers de la vitrine. Il attend Mary. Elle retire sa blouse, coince une
mèche derrière son oreille, lui fait un petit signe de la main, puis
elle sort. La porte vitrée chantonne sa petite complainte électronique.
Dan s’avance et enlace Mary. Elle dit « Attends » en le repoussant
doucement, fouille dans son sac, en sort une cigarette, l’allume.
« On va chez moi ? propose Dan.
— Maintenant ? »
Il hoche la tête. « J’ai plein de choses à te dire. »
Dans l’appartement, Dan ne retire même pas sa veste. Là, tout de suite,
à peine la porte refermée, il serre Mary dans ses bras. Une boule dans
la gorge. L’envie de chialer, il ne sait même pas pourquoi. Il embrasse
son cou puis sa joue puis ses lèvres. Il fourre sa langue profond dans
la bouche de Mary. Il pense qu’il l’aime comme un désespéré. Il pense à
la peau de Mary. Il pense à son cul. Il pense calme toi ! et
résiste à l’envie de fourrager sous les fringues, à la recherche du
blanc lustré d’un cul. Il pense à l’odeur de sa raie. Il pense à son
cœur à lui qui cogne contre ses seins à elle. Il pense à son cœur à
elle, un peu trop silencieux. Il pense aux seins de Mary, les effleurer,
les lécher, les pincer. Il pense ne pas bander. Il pense trop
tard! Il pense m’écarter un peu de Mary pour qu’elle ne devine
pas ma queue raide. Il pense attention, Mary se crispe.
Sortir ma langue de sa bouche. La laisser respirer. Il pense
prononcer des mots tendres. Serrer un peu moins fort. Il pense
Mary ne m’aime pas autant que je l’aime, mais ça viendra. J’ai tué
son père, après tout. Il pense je suis un assassin, je n’ai plus
peur de rien. Il pense Mary va m’aimer autant que je l’aime. Elle
va m’aimer, bordel ! Il pense à ne surtout pas penser qu’il pourrait
la serrer assez fort pour qu’elle ne le quitte jamais. Il ne pense plus
à rien, il devient un immense océan tempétueux. Vagues violentes de
désir. Le fracas et l’écume. Mary et son corps comme une frêle
embarcation. Mary comme une fillette effrayée qui murmure, non non non
papa arrête... La gifle de Dan comme une ancre jetée, lourde et
implacable.
— M'appelle pas papa, putain ! Il est mort ton père.»
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Squeeze n°6
Rescapé du grand bug contemporain, victime
collatérale des œuvres du présent, Squeeze pose un sixième colis
sur le quai des départs. Notre paquet se signale désormais par
une vignette couleur pétante et forme déclinable, un carré vif
pour augmenter les statistiques de téléchargement car ici, en
ligne, le bureau d’accès à la gloire mondiale ne se demande pas
à quoi ressemblent vos intérieurs. Tout ce qui compte, c’est
cavaler derrière les clics.
Alors gageons qu’au cœur des rayonnages éteints, dans les
multitudes géométriques des catalogues pixélisés, cette
couverture aimante les cerveaux compatibles parmi les flux
de visiteurs uniques car, derrière l’apparat,
nos auteurs pulsent et leurs écrits respirent à pleins poumons.
Squeeze n°6 est disponible. Squeeze est une
revue littéraire numérique (epub, MOBI, pdf) , gratuite et sans
pub, en libre-téléchargement
ICI et partout dans le monde.
Auteurs au sommaire : Jacques Cauda, Marlène Tissot, Hervé
Grillot, Albino Frankie, Guillaume Siaudeau, Dani Frayssinet,
Théophile Gautier, Jean Lorrain, Jean Richepin, Gérald Duchemin,
Antonella Fiori, Patrick Gomez Ruiz, Francis Denis, Lemon A
Mardi 29 janvier 2013
Berceuse
Lundi 28 janvier 2013
fils
de soie
Elle
voudrait tricoter
une toile d'araignée
gracile et nacrée
pour y emprisonner
les emmerdes
comme de vulgaires insectes
Dimanche 27 janvier 2013
L'humeur du dimanche
(parce que le monde continue de tourner)
Samedi 26 janvier 2013
Ce qui n’existe
pas tout à fait
Cet étrange équilibre au sommet de l’instant
où les choses n’ont pas encore de forme véritable, n’existent
pas tout à fait.
Je voudrais que rien ne commence parce que tout ce qui commence
doit finir. Et les fins me font mal.
Je voudrais t’expliquer que tu ne dois surtout rien me dire de
doux parce qu’alors tes mots se superposent à mon imagination et
tes gestes je sais qu’ils pourraient devenir vrais.
Il fait chaud et peur dans mes pensées quand ma peau redoute
autant qu’elle désire. Tout se dérègle en dedans. Je suis en
panne. Et peut-être bien te contenterais-tu de pièces détachées
avec lesquelles jouer de moi ?
Peut-être aussi ai-je envie que rien ne commence pour que
toujours tu m’offres ces regards-là. Pour préserver ce soleil
planqué dans ta bouche quand tu me parles et pouvoir imaginer en
goûter la chaleur du bout de la langue sans jamais me brûler.
Vendredi 25 janvier 2013
J'ai
des couteaux à l'intérieur de la peau
Je me
méfie de mes émotions
comme d'un outil rouillé
comme de tout ce qui blesse
sans faire de bruit
Welcome (in my heart)
[Valence janvier 2013, photo Marlene T.]
Jeudi 24 janvier 2013
Pour
oublier la honte d’être moi
J’ai bu
j’ai honte
le paradoxe dans tout ça c’est que je bois pour oublier la honte d’être
moi
j'ai bu et je n’ai plus honte d’être moi
je traverse même un court moment presque agréable où tout est léger
où rien ne compte
où, en quelque sorte, je disparais, comme si je fondais dans le décor
mais ensuite j’ai honte
parce que j’ai bu
trop, beaucoup trop
et je bafouille
je marche comme si la ville était un bateau perdu sur une mer démontée
je me demande si les gens voient comme j’ai mis le désordre dans moi
mais en réalité je sais parfaitement qu’ils voient
qu’ils savent, qu’ils jugent
et me méprisent
alors je continue de boire
pour oublier la honte de ce que je deviens
quand je bois pour oublier la honte d’être moi
[à L.T., sans raison particulière...]
Mercredi 23 janvier 2013
Maudit manège
Tu sais, c’est un peu comme ce manège que j’adorais étant môme. Tu es
suspendu dans les airs sur ton petit siège, à tournoyer au bout d’une
chaîne et la chaîne pourrait bien lâcher et t’as le tournis, le vertige.
Mais ça n’a pas d’importance parce que tu voles. Tu pourrais bien crever
en cet instant, tu t’en rendrais même pas compte tant la caresse du ciel
est douce. Plus rien n’a d’importance, tu fais partie d’une chose
tellement plus vaste que la vie elle-même. Le monde devient un dessin
flou, quelques traînées de couleurs et de lumières diluées dans le vent,
loin en dessous de tes pieds. Tu dévores cette petite liberté.
Évidemment, elle sera de courte durée, mais tu fais comme si tu
l’ignorais.
Alors c’est vrai, je bois. Je bois et c’est un peu comme ce manège. Je
suis suspendu dans les airs à tournoyer au bout d’une chaîne d’alcool.
Quelque chose de puissant et fragile à la fois, et je pourrais tomber et
j’ai le tournis, le vertige, mais je m’en moque. Plus rien ne compte
dans ces moments-là. Ni les gens bien droits dans leurs bottes, ni les
gros yeux de maman. Elle m’interdisait de monter sur les manèges
dangereux. Elle m’interdirait probablement de boire. Je ne l’écouterais
pas. Parce que j’ai besoin de cet envol, de cette petite perte
d’équilibre pour me sentir vivant. Pour réveiller la présence, quelque
part en moi, de ce sale gosse, libre, arrogant et sans peur. [Franck
"Les voix", roman en cours de tricotage]
Parfois...
[Valence janvier 2013, photo Marlene T.]
Mardi 22 janvier 2013
Le
livre à disparaître
Pourquoi disparaître ?
Fondée en 2012, Le Livre à disparaître est une revue
littéraire consacrée au thème de la disparition.
Polygénérique, elle publie de la fiction, de la poésie
contemporaine et des textes plus expérimentaux. Elle accueille
des écrivains reconnus et de nouveaux auteurs. Des créations
visuelles s’intègrent également à l’ensemble.
Revue-concept en forme de one shot, la revue a pour
particularité - en corrélation avec son thème - d’être éphémère
et de disparaître après la publication de son premier et unique
numéro.
Elle est gratuitement consultable et téléchargeable dans sa
version numérique. On peut également la commander dans sa
version papier.
Directeur de publication : Romain Giordan
Au sommaire (Auteurs & illustrateurs):
Barbara Albeck - Séverine Castelant -Marianne
Desroziers - Christophe Esnault - Fabrice Farre - Lionel
Fondeville - Brice Haziza (Néon) - Philippe Jaffeux - Steven
Lambert - Perrin Langda - Rodrigue Lavallé - Eve Lerner - Anne
Van der Linden - Murièle Modély - Emmanuelle Pagano - Raymond
Penblanc - Jérôme Pergolesi - Hugo Pernet - Martin Perron -
Walter Ruhlmann - Guillaume Siaudeau - Christophe Siébert -
Marlène Tissot - Yannick Torlini - Frédérique Trigodet - Vincent
Lire la revue
ICI, et se la procurer en version papier
ICI
Lundi 21 janvier 2013
Même
loin
J’imagine l’instant où tu ouvriras l’enveloppe
peut-être avant même d’être rentrée au chaud
cette petite impatience
déchirer le papier maladroitement
tes mains frêles et usées
et je sais que ce que tu attends
ce ne sont pas forcément des nouvelles
tranches ordinaires de quotidien
mais juste un souffle d’ici
des traces d’encre d’ailleurs
un petit voyage à dos de mots
alors
dans cette lettre
je ne te parlerai pas de neige
ni d’hiver
de froid
de chômage
de temps qui passe
d’enfants qui poussent
je ne te raconterai pas
le présent continu
je t’inventerai des histoires
celles d’un juillet imaginaire
pieds nus sur la dalle d’une terrasse
sous les larmes éparses d’un ciel
mauve et lourd
qui tente en vain de rafraichir l’été
je te dessinerai le décor
une toile de tente faite de nuages épais
et au dessus quelque part, le soleil, toujours
bien qu’on ne le voit pas
parce que les choses existent
même loin
même cachée
comme toi, là-bas, à l’autre bout du pays
et t’écrire
finalement
est peut-être une manière
de me le rappeler
I wish
you were here
Dimanche 20 janvier 2013
L'humeur du dimanche
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Samedi 19 janvier 2013
Chuuuut
Parler
n'est pas dire
raconter n'est pas avouer
la vérité est frileuse
elle se planque souvent
dans la fourrure du silence
Plume de mer
[Photo Marlene T.]
Vendredi 18 janvier 2013
Live
or die
Il y a déjà quelques
temps de ça, je découvrais le Live or die d'Anne Sexton
dans la vitrine d'un book-shop londonien (voir London Trip Diary).
Derrière la vitre, le bouquin semblait m'appeler. Il y a des choses
étranges parfois qui se passent. Ce jour là, la douleur dans les mots
d'une autre, étrangement, a apaisé la mienne...
Un extrait, lu par
l'auteur
Grass, ground, memories
Je m’assoie quelques minutes et cueille une
poignée de sol pour ramener au fond de ma poche des grains
d’ici. Des fragments de l’endroit à mêler à la poussière de mes
souvenirs.
[Extrait de
London trip diary]
[Image : poignée de sol piochée à Hyde Park]
Jeudi 17 janvier 2013
Dégat des eaux
Par sa bouche les mots coulent
comme un serpent de flotte dru
robinet ouvert au maximum
et je n’entends rien d’autre
qu’un bruit d’eau
pas les mots
pas le sens
il y en a trop des mots
trop vite
sans ponctuation
sans bulle de silence
pour reprendre son souffle
des litres de mots
un flot de paroles
sa bouche qui fuit comme si défectueuse
ou alors peut-être est-ce le trop plein de
son lavabo de pensées qui déborde
il est comme une éponge enflée
qui dégorge son eau sans même qu’on la presse
il gicle du mot comme on pisse sa bière
il parle et sans doute
si je n’étais pas là
ça n’y changerait rien
parce que ce n’est pas à moi
mais de lui
qu’il parle
Cohue
Cohue vient de sortir son n°8. Une bien belle
revue numérique découverte via
Heptanes Fraxion (ah, les textes d'HF...). C'est bien
barré, juste comme j'aime, avec ce qu'il faut de finesse, de
délicatesse et de rage pour en faire un bel objet. On y déniche
de la poésie, des nouvelles, des entretiens, des illustrations
et même des panthéons, diantre ! Pour lire, c'est par ICI que
ça se passe.
Mardi 15 janvier 2013
La
nuit véritable
Pied au plancher.
Les lampadaires en pointillés de lumière le long de l'asphalte. Je les relie en une ligne de
kilomètres au compteur de ma vieille bagnole. Me rappelle les jeux
d'enfants aux points numérotés, dessin magique à faire apparaître d'un
trait de crayon. Je trace sur la ville
les contours de mon désarroi. Il n'a pas forme humaine. Un petit monstre
avec une grande gueule. Je lui explose les dents. Pointillés de lumière. Pied au plancher. Vitesse
de la lumière. Je fonce dans les entrailles de la nuit véritable.
Jimmy Jammies
[Filthy Boy]
Lundi 14 janvier 2013
L'ordinaire
Elle colle son visage contre la vitre et presse un peu, comme
avec l'envie de passer de l'autre côté, d'un coup de magie
désordonnée. Son nez dessine des traces dans la buée. Sa bouche
aussi. A coups de langue sur le bord ébréché du jour, elle tente
à sa manière de se réapproprier l'ordinaire.
Les bonnes résolutions
JE NE DOIS PAS ECRIRE SUR LES PORTES DES GARAGES DE LA
RUE DU COLLEGE D'ANNECY
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Samedi 12 janvier 2013
Homme fleur
L’homme est adossé au mur
immobile avec juste son regard qui coule
le long de son corps et se perd entre
les nœuds de ses lacets
sa nuque qui ploie sous le poids de la tête
lui donne un petit air de clochette de muguet
un homme-fleur poussé sur l’asphalte
que je pourrais peut-être cueillir
ou flairer ou simplement
regarder faner
Let's dance
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 11 janvier 2013
Sarcophage
Il y a lentement
comme une croûte de sel qui cristallise autour de ta peau, de tes
gestes, de tes pensées. Ta vie immobile dans ce cocon mi-protecteur
mi-irritant. Ne plus rien faire ni dire. Oublier le passé, cesser de
rêver l'avenir. S'installer éternellement dans l'instant, comme
pétrifié. Une croûte de sel de larmes, peut-être mal évaporées, torchées
à la va-vite. Et cette envie persistante d'immobile, de silence, de
vide. Tout t'indiffère un peu trop fort. Tu ne veux plus voir personne
ni parler ni sourire. Tu ne veux plus écouter ni regarder ni chanter ni
compter le temps qui s'égraine et épaissit doucement ta coquille. Ton
petit sarcophage salé.
Jeudi 10 janvier 2013
Alors, ça gaz ?
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Mercredi 9 janvier 2013
La
mer à boire
Certains jours
sans raisons particulières
je me sens la patience
de vider la mer
à la petite cuillère
Mardi 8 janvier 2013
Il
est temps de choisir ta vie
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Lundi 7 janvier 2013
Voyage à l'intérieur de soi
On ne
va nulle part
lorsqu'on s'en va
persuadé qu'ailleurs
sera meilleur
Dix-sept secondes
Premier numéro d'une nouvelle belle revue en
ligne consacrée à la poésie !
Le sommaire est judicieusement découpé en quatre mouvements,
un regard, quatorze échos et un craquement.
Le numéro est téléchargeable
ici et on y retrouve de beaux noms de la poésie (Morgan
Riet, Fabrice Farre, Guillaume Siaudeau, Thomas Vinau, Marie
Evkine ...) avec en prime de superbes découvertes.
Vendredi 4 janvier 2013
Keep
smiling (no matter what)
[Avignon décembre 2012, photo Marlene T.]
Fabriquer du silence
Lorsque
les mots peinent à dire l'essentiel
à quoi bon s'échiner à construire des phrases ?
Jeudi 3 janvier 2013
La
fille aux chaussures roses
Aujourd'hui dans ma boîte à message, un beau cadeau de la part de
D i v qui m'a composé une mise en musique sur un patchwork de mots
(avec entre autre le texte "La fille aux chaussures roses"). Un immense
merci à lui pour ce beau voyages en notes et voix.
Mercredi 2 janvier 2013
Simplement
Elle
dit
tout le monde se demande
pourquoi, comment
je suis devenue pute
Elle dit
je voulais simplement
reprendre possession de mon corps
Et ses mots sonnent clairs
ses yeux regardent droit
Elle se moque de savoir
si on la croit
si on la juge
Elle dit
toi et moi, on fait la même chose
à quelques détails près