Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
Raconte-moi
une histoire
dans laquelle
il n’y a absolument
aucun héros
Je
n'ai pas peur de la vie
[Photo Marlene T.]
Jeudi 29 septembre 2011
Sous
l'asphalte, le paradis ?
Baliser
le parcours
Contractualiser le bonheur
Monnayer le pardon
[Crosswalk, Photo Marlene T.]
Mercredi 28 septembre 2011
Katapulpe
En ce mois de
septembre, la revue québécoise Katapulpe rejoint les bancs de
l'école et je m'y suis collée avec une nouvelle intitulée "Colle toi
bien ça dans le crâne". Pour se procurer cette belle revue, et se
renseigner sur les prochains appels à textes, c'est par là.
On
empile, on entasse
[Blois Aout 2011, Photo Marlene T.]
Mardi 27 septembre 2011
Human being
On crie
On croit
On crée
On critique
On croque
On emprunte
On encaisse
On encombre
On entasse
On empile
On collectionne
On compte
On compulse
On cohabite
On copule
On regrette
On recrache
On réfléchit
On refoule
On feint
On fuit
On faiblit
On craque
On croule
On creuse
On crève
Lundi 26 septembre 2011
Je n'aime pas les
lundis
Du mauvais côté
du lit
Elle m’a dit : je prends le côté fenêtre. J’ai senti qu’il valait
mieux ne pas la contrarier. Besoin d’air, qu’elle a ajouté. Ca avait le
mérite d’être clair.
C’était un petit hôtel, pas tape à l’œil, assorti à mon portefeuille.
Week-end en Normandie. Sans les enfants. Pour qu’on se retrouve en
amoureux espérais-je. Histoire de se ressourcer, qu’elle avait dit. Je
gagne pas assez pour lui offrir les thermes de St Malo. Sans doute pour
ça qu’elle sourit de moins en moins. Qu’elle hausse si souvent les yeux
au ciel quand on discute. Alors on parle peu elle et moi. On évite les
conflits. J’ai jamais aimé les conflits. Ils forcent à voir ce qui va de
travers.
Je me suis allongé côté porte. Pensant que je devrais sans doute la
prendre. La porte. Ou bien ma femme. C’était peut-être ce qu’elle
attendait. Ma femme. Que je prenne l’une ou l’autre. Je ne sais pas. Je
ne sais plus. C’est vrai que je deviens de moins en moins entreprenant.
Elle a posé son livre et éteint la lumière. J’ai murmuré bonne nuit sans
oser l’embrasser. Elle s’est retournée en me répondant d’un borborygme,
calant son cul tiède contre ma hanche. J’ai choisi de prendre ça pour
une invitation, glissé ma main sous son tee-shirt. La pointe de son sein
s’est durcie au creux de ma paume. Je suis fatiguée, qu’elle a dit. Sans
pour autant me repousser. Un peu comme si elle attendait que j’insiste.
J’ai retiré ma main. J’en avais assez d’essayer de la comprendre.
Finalement j’ai pris la porte.
My
beautifull nightmares
[Photo Marlene T.]
"The future belongs to those who believe in the beauty of
their dreams" [Eleanor Roosevelt]
Samedi 24 septembre 2011
C'était un jour acidulé...
[Italie Aout 2011, Photo Marlene T.]
Vendredi 23 septembre 2011
Dans la cours de
récré
J’avais juste envie
d’être comme tout le monde. Habiter un endroit normal. Pas un hangar
vaguement aménagé, squatté par des souris. Je ne voulais plus chier
accroupie dans un cabanon en bois. Je voulais une savonnette rose posée
au coin d’un lavabo. Je voulais un lavabo. Une salle de bain. Un
radiateur une chambre. Ne pas dormir sur un matelas posé à côté de celui
des parents. Je voulais un vrai lit, un réveil, une radio, une télé.
Pouvoir parler avec les copains du film de la veille ou des chansons à
la mode. Je voulais une vie normale. Une famille normale, même si je
savais pas trop ce que ça signifiait. J'imaginais ça un peu comme dans
les vieilles séries américaines. Une nappe à carreaux sur la table de la
cuisine, l’odeur du dîner qui mijote, une mère qui sourit, un père qui
rentre du travaille en costume. Et puis je voulais aussi des vrais
vêtements, achetés dans des vraies boutiques. Pas ces vieux trucs
récupérés, rafistolés. Je savais bien que la pauvreté c’était pas tous
les jours facile à porter et j’oubliais pas que tout ça, c’était quand
même un peu à cause de moi. Parce que j’étais née. Alors dans la cour de
récré, je faisais semblant d’être normale. Je faisais semblant que tout
allait bien. [Mailles à l'envers, Extrait - à
paraître bientôt]
Dentelles
[Valence Septembre 2011, Photo Marlene T.]
Jeudi 22 septembre 2011
Univers parallèles
Quand la vie ressemble à une histoire étrange
et que les histoires dans les livres prennent des allures de vie
ordinaire, il devient difficile de distinguer les personnages
fictifs des gens réels...
Une petite table en bois
de la poussière probablement
un thé fumant
des tas de livres
un sofa large, profond et tendre
une cheminée
de la musique douce
mélancolique peut-être
Elliott souvent, sans aucun doute
pas de rideaux aux fenêtres
la campagne à perte de vue
un vieux chien enroué
et toi, quelque part
dans le jardin ou
lové contre ma hanche
comme autrefois
comme aujourd’hui.
Souvent je dessine
avec précision
mes jours d’après
sans même me soucier de savoir
si j’atteindrai un jour
l’âge de ces rides là
l’âge de cette paix là.
J’aurais aimé qu’un rayon de sommeil me
dépose au pays des merveilles. Mais les nuits amènent rarement
plus loin que les lendemains.
[Mailles à l'envers, Extrait - à paraître
bientôt]
Le sommeil n’a pas voulu de moi cette nuit et
je n’étais pas d’humeur à tenter de lui forcer la main. Alors je
me suis levée pour faire des choses un peu utiles comme on en
fait parfois le jour.
Quand l’horizon a commencé de s’éclaircir, j’ai versé de l’eau
chaude sur quelques feuilles de thé et je suis allée m’installer
face au ciel, les pieds dans la rosée.
Au loin, les hauts cyprès ressemblaient à un peloton
d’exécution. Je me suis imaginée Mata Hari à l’aube près des fossés du
fort de Vincennes, le bruit des armes et son corps, grêlé de
plombs, secoué comme pour
une dernière danse.
Quelque part dans le monde, d’autres gens mourraient
ou dormaient, vivaient, mentaient, s’aimaient, souffraient. Et moi,
j’observais le soleil prendre son temps pour se lever.
Le dernier n° de la revue Coaltar
est en ligne et je suis ravie d'être de la partie ! Pour lire,
c'est par
ICI.
Salissures d'amour propre
J’aurais préféré sans doute
que tu ne me laisses pas
te quitter aussi facilement
que tu t'accroches
et fasses de moi
une petite pute douce
sans scrupule ni sentiment
Lorsque je plonge entre les pages d’un livre,
j’oublie que je suis. Tout s'efface, le décor autour et mon
corps aussi. C’est sans doute pour cette raison que je lis si
souvent...
Papa est rentré. La porte a claqué. J’ai pas faim, il a fait. Il
a jeté sa veste sur le canapé avant de s’enfermer dans la chambre. Il
sentait le pastis et la sueur. Maman est allée réchauffer le repas sans
desserrer les dents. J’ai allumé la télévision. Pour faire diversion.
Pour avoir quelqu’un à qui parler. Pour me rassurer. Il se passait
sûrement des trucs dans le monde. Des trucs plus graves. Je me répétais
ça, jusqu’à ce que le ronronnement des mots finisse par m’apaiser.
Des trucs plus graves.
Des trucs plus graves.
Des trucs plus
graves
[Mailles à l'envers, Extrait - à paraître
bientôt]
J'ai perdu mon coeur avec mes dernières dents de lait
Ça sert à quoi toutes ces promesses qu’on se fait et qu’on ne
tiendra pas ? Ces toujours, ces jamais. Des mots
tellement rigides qu’ils se brisent à la première rafale de
vérité. L’amour est une supercherie. J’ai vite fini par le
découvrir. J’avais huit ans la dernière fois que j’ai été
amoureuse. Comme si mon cœur était tombé avec mes dernières
dents de lait.
[Mailles à l'envers, Extrait - à paraître
bientôt]
Sur un morceau de papier froissé retrouvé
au fond d’un vieux sac à main
Quelques mots tracés vite. Son écriture. Je crois que je
ne l’aime plus mais je préférerais en être sûre. Pourtant elle ne se
rappelle pas avoir jamais eu cette pensée.
Il y a des choses dont elle n’a pas envie de se rappeler. Elle
froisse à nouveau le papier et l’envoie à la poubelle.
Elle l’aime encore. Aujourd’hui, elle en est certaine.
Tu le sais bien que les mots sont des armes
et qu’à force de les dégainer avec l’envie de faire mal, un jour
ou l’autre, ils finiront par se retourner contre toi.
Les départs en
vacances
L’habitacle gorgé de nos silences
Et le ronron du moteur
Parfois il arrêtait la voiture sur le bord de la route et s’éloignait
pour pisser contre le tronc d’un arbre. Parfois sa pluie jaune acide
dégommait une colonie de fourmi. Il s'appliquait à les viser au mieux
avec l'air de se prendre pour Dieu, essorant son orage jusqu'à la
dernière goutte. Puis il remballait sa bite et sa toute puissance et on
repartait sur les routes cabossées, exiler nos désespoirs vers d’autres
paysages.
Semer des graines
de mensonges
et regarder pousser les histoires
Plus tard, les choses auront l’air d’être
différentes et il nous arrivera de nous demander si ce sont
elles qui ont changées ou si c'est le désordre récolté au fil du
temps qui encombre nos yeux.
Tirer la langue aux monstres
[Valence 2003, photo Marlene T.]
Q & A
Tu le sais bien, pourtant, que les réponses ne se planquent pas
dans les flacons ni dans les ivresses ni dans aucune de ces
saloperies qui gomment ta vie à petit feu, mais tu t’en moques,
ce ne sont pas les réponses qui t’intéressent, toi, tu cherches
seulement à oublier les questions.
C’est pas exactement ce que je prévoyais de
faire avec le rasoir. J’avais autre chose en tête quand je me
suis enfermée dans la salle de bain. Mais faut croire que la
lâcheté est un ingrédient majeur de ma composition. Alors j’ai
laissé la vie couler dans les ruisseaux de mon corps et j’ai
rasé. J’ai rasé mes jambes et en dessous de mes bras. J’ai rasé
entre mes cuisses. J’ai rasé tout ce qui faisait des taches
sombres. Je cherchais peut-être quelque chose comme la joue
lisse de l’innocence. Peut-être des traces d’enfance, de cet
état de grâce qui m’avait échappé, je ne sais trop comment ni
pourquoi... [Extrait]
Quand une fleur rencontre une fleur (et qu'un rocher les empêche de s'embrasser)
Elle pense à toutes ces paroles qui sortent de toutes ces bouches. Elle
pense à toutes les blessures qui pourraient être évitées si les gens ne
se croyaient pas obligés de faire tant de bruit pour avoir la sensation
d’exister.
On cherche dans chaque recoin de
l’appartement, derrière le lit, dans un champ de poussière où
broutent quelques moutons, sous les piles d’habitudes bien
pliées, on cherche entre les pages de vieux journaux exilés aux
cabinets, dans les poches de manteaux élimés qu’on conserve au
cas ou, on fouine des les tiroirs à chaussettes, dans la caisse
à outils, dans le marc de café, entre les bulles des bières
qu’on décapsule le soir pour alléger de quelques gramme le poids
de la journée, on cherche chacun de notre côté, sans oser se l’avouer,
on se demande où a bien
pu passer la folie sucrée de nos premiers baisers...
Tu ferais mieux de regarder plus loin
que le bout du nez de ton reflet
Tu cueilles les jours comme un sursis
à te demander si l’autre côté du miroir
sera mieux ou sera pire
à te demander s’il existe seulement
un autre côté au miroir
Je ne verrai pas
comment la nuit s'y prend, quels sont ses sombres petits secrets, pour
transformer demain en aujourd'hui.
[D'autres choses (qu'on ne verra jamais) à lire chez Pascal Pratz]
Un camion
frigorifique est garé cul à cul avec le marché couvert. Un gars charge
sur son épaule un quartier de boeuf aussi gros que lui. Deux porcs
éventrés et dépecés attendent, pendus la tête en bas, que le gars musclé
vienne les prendre dans ses bras. Les mouches volent. Les passant
passent. Le gars revient. Il embrasse le premier cochon. Le deuxième à
l'air vaguement jaloux.
[Extrait de
London Trip Diary]
Les châteaux construits dans le crépon des rêves, les fleurs après la
pluie, tout ce qui pousse au fond de tes yeux, les choses fragiles, ta
chaleur immense et délicate, tes terreurs qui s’apaisent au creux de nos
bras les nuits de cauchemar, la toute puissance dont tu nous habilles,
tes rires en cascade, ta soif de tout, tout ce qui nous aide à tenir
bon, à poser jour après jour nos pieds sur le sol de ce drôle de monde,
à continuer de semer des grains d’espoir, à te regarder pousser...
Avec Joël, on allait souvent se baigner à la rivière. Y avait pas
grand-chose d’autre à faire avec cette chaleur. Sur le chemin, on
maraudait des fruits pour notre goûter. Un jour on a réussi à choper un
poisson et Joël s’est mis en tête de le faire griller. Évidemment, on
avait rien pour allumer un feu. Mais il a dit qu’il avait pas besoin de
connerie de briquet ni rien, il savait faire flamber le bois rien
qu’avec des silex, comme les hommes préhistoriques. J’y croyais pas trop
mais je l’ai laissé faire. Au bout d’un moment, comme ça ne venait pas,
j’ai dit à Joël de laisser tomber. Mais il était furax. Il voulait
absolument y arriver. C’était comme si son honneur en dépendait. Bordel
de merde, il marmonnait. Et moi je me suis marrée. Ça lui a pas plu du
tout. Il s’est levé. Tu fais chier, il a crié en me poussant. J’ai ripé
sur la caillasse humide et me suis affalée dans la grosse flaque de
boue. Y avait plein de flaques de boue, parce que la rivière s’était
méchamment asséchée. C’était poisseux et glissant et j’arrêtais pas de
déraper en essayant de me relever. Du coup, moi aussi j’étais en rogne.
T’es qu’un gros con, j’ai fait. T’aurais pu me tuer ! On est resté comme
ça à se regarder comme deux cow-boys prêts à dégainer. Et puis Joël a
éclaté de rire. On se fait un bain de boue, il a proposé. Et il est venu
se vautrer avec moi dans la vase pendant que le poisson mort séchait à
côté du silex et du tas de bois. [Extrait]
Les
collines que dessine ton paysage au levé du jour
Petite nouveauté aux éditions de La
Vachette Alternative "Mes pieds nus dans tes vieux
sabots bretons", le dernier né de la collection 8pA6 qui cache entre ses pages une courte
histoire en 4 textes et 4 photos.
Quand l'inimitable
Andy
Vérol lance un appel à textes qu'il propose d'héberger dans son
antre virtuelle, ça donne, comme on peut s'y attendre, un bouquet
d'histoires en forme de coup de poing... C'est à lire
ICI, et on y déniche mon "Détricoter
les entrailles"
La sensation de liberté
celle qu’on garde en secret
dans la poche revolver des pensées
est comme une petite arme
imaginaire
une lime à tailler
les barreaux du quotidien
A la dérive se
faufile entre les pages des calendriers et réinvente le temps... Pour
découvrir A la dérive, la revue qui ne sait pas ou elle va
(mais qui y va en beauté) c'est par ICI. Pour lire directement
sur Calaméo, c'est par LA !
On parle souvent des circonstances, de tout
ce qui nous a amenés là, ce qui nous a incités à faire ceci, à
dire cela, on accuse les détails et les hasards comme s’ils
étaient les seuls responsables de nos faits et gestes mais pas
nous, non, surtout pas nous...
Il s’agissait peut-être de nous égarer un peu
plus que nécessaire, adoucir l’horizon, lui faire perdre sa
rigueur rectiligne, il s’agissait peut-être simplement de lâcher
prise, de se faire croire que, quoi qu’il arrive, nous n’étions
responsables de rien, que nous étions juste là par hasard et que
mordre l’un dans l’autre ne provoquerait certainement pas la fin
du monde.
On peut raconter la vie, la mort et l’éternité en une seule phrase.
On peut décrire quelques broutilles en plus de trois cent pages.
C’est à ce genre de détails qu’on devine la puissante des mots.
Une nouvelle, à lire sur le blog des Histoires
Noires (en écho aux Histoires noires du bout de la rue d'en
bas de Jeff Balek, une initiative parrainée par Mark
Safranko himself !)
Franck sirote son
blanc au comptoir. Sourcils froncés, il laisse glisser son index le long
des colonnes de petites annonces. C’est comme ça qu’il communique avec
son pote José. Plus efficace que les signaux de fumée, moins piégeux que
les téléphones portables. [Pour lire la suite, c'est par
ICI]
Il y a des personnes que l’on garde au creux d’une poche de
l’âme. Pour tout un tas de raisons. Ou pour quelques minuscules
détails. Pour ce qu’ils nous ont appris. Pour ce qu’ils ont été.
Ils restent là au chaud en dedans nous. Et leur visage se
dessine parfois dans la pénombre des pensées.
Je me souviens de toi, de cette lumière que tu dégageais
probablement sans le savoir. Et comme tu parvenais à sourire
sans réellement sourire. Un éclat dans le regard. L’inclinaison
des sourcils. Je ne sais pas. Comme un trop plein de joie que tu
laissais échapper pour nourrir nos becs noirs d’oiseaux en mal
de vie.
Juste pour le plaisir et pour se faire des fossettes sur les joues...
Tu laisses les mains au fond des poches
et le cœur boutonné sous la chemise
tu emprisonnes les mots
tu carapaces
tu capitonnes
et puis tu guettes, immobile
tu espères parfois
tu crèves d’envie souvent
qu’un autre se charge du sale boulot
qu’il ramène son audace
ses mains crasseuses
et même sa grande gueule, pourquoi pas
n’importe quelle ficelle pour t’apprendre
à tresser ta voix avec une autre voix
ta vie avec une autre vie
Lorsque je serais aussi ridée et sèche et
dure que la terre sous tes pieds alors peut-être que
j'accepterais l'idée de te laisser me piétiner. Mais d'ici là,
tu ferais bien de chercher d'autres paillassons où essuyer les
semelles de tes humeurs.
Ici il pleut
je regarde par la fenêtre et
à bien y réfléchir
j’ignore si je suis dedans ou dehors
si les nuages sont suspendus au ciel
ou à mes yeux
la petite chambre d’hôtel sent le vide
et cette drôle d’odeur
celle de la moquette
imprégnée de poussières d’humains
des anonymes, comme moi
qui vont et viennent
s’arrêtent ici, comme moi
regardent par la fenêtre
sans se rendre compte qu’il n’y a rien à voir
sauf pluie qui tombe, un peu molle
dans la cour intérieure
et les quelques employés
en vêtements de drap blanc
poussant des chariots de linge sale
ils sortent par une porte
entrent par une autre
en transit
c’est ce que nous faisons tous
voyager d’un point A
à un point B
en traçant des figures
à la géométrie approximative
dans l’espoir de semer en route
les vieux démons
et les insectes qui rongent nos rêves
alors qu’il suffirait sans doute
de faire la paix
avec ceux que l’on prend pour des monstres
alors qu’il suffirait
de cligner des yeux
pour chasser le trop plein de nuages
qu'on accumule au fil du vent des jours
Je me souviens, enfant, j’escaladais un à un
les barreaux de l’échelle filant droit à mes rêves. Ils étaient
là, bien en vue, pendus aux branches d’une vie adulte fantasmée.
J’étais persuadée qu’un jour, bientôt, quand je serais grande,
je les atteindrais tous. Qu’il suffirait de les cueillir comme
des fruits mûrs. Mais il m’a bien fallu faire avec la fatigue du
bois, la sciure, les échardes, les coups bas du destin, mes
pieds qui dérapaient. Je suis tombée souvent malgré les années
et mes jambes qui n’en finissaient pas de pousser. Pourtant les
rêves sont toujours là, intacts. Il me faudra sans doute plus de
temps que prévu pour les atteindre, heureusement, je suis
patiente. Et il me reste encore la gourmandise de ces fruits-là,
l’odeur sucrée de mes illusions d’enfant.
Son sourire ressemble à une mâchoire d’acier
vorace, cruelle, planquée sous un tapis de bonnes manières, un
piège à briser les os et les rêves du premier animal sauvage
osant s’aventurer ici.