Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
Extérieur. Nuit - ou presque. Le ciel prend timidement une couleur
laiteuse. Je suis accoudée au bout de la digue. La mer est haute. Sur un
bateau ancré à petite distance, un vieil homme brique le pont de son
embarcation. Je le regarde faire. Lui ne me regarde pas, mais je sens, à
sa manière de s’arranger pour me tourner le dos, qu’il devine ma
présence.
Sans doute a-t-il passé la nuit là, étendu sur la couchette étriquée
d’une petite cabine. Peut-être pour fuir quelqu’un ou quelque chose.
Peut-être simplement pour laisser la mer bercer son sommeil. Un marin
reste un marin jusqu’au dernier instant. Sous ses pieds, la terre est
toujours trop immobile, trop rigide. Trop bruyante aussi, de ces sons
mécaniques et bavards qu’on oublie au large. Là-bas, il y a le chant du
vent et les moqueries des mouettes et les gifles de l’eau sur la coque
du bateau. Une musique vaste et bleue.
Le vieil homme se redresse et fixe l’horizon en massant ses reins. Le
soleil est sur le point d’émerger. L’homme se retourne et son regard se
plante dans le mien comme un hameçon dans la gueule du poisson. Sa
manière de me faire savoir que ma présence agace sa solitude. Alors je
m’éloigne discrètement, poursuivant ma promenade vers le chemin des
douaniers. L’eau recule mine de rien et le ciel s’éclaircit avec cet air
presque étonné de l’enfant qui s’éveille. Le vent enfle, les mouettes
s’agitent, la vie s’ébroue. Encore un matin à me lever avant le soleil.
[Extrait d'un autre truc en cours...]
Green line
[Photo Marlene T.]
Vendredi 28 septembre 2012
Les souvenirs dans le désordre
Je revois la scène avec une acuité troublante. Dans la petite cuisine de
votre habitation près de l’école. Par la fenêtre, le ciel bleu et les
marronniers qui dansent dans le silence d’un mercredi après-midi. Sur le
buffet, deux poissons orange nacré dans leur bocal. Ils s’agitent en
espérant les pétales nourriciers que je leur distribue parfois en fin de
journée. À travers le verre de l’aquarium, ils me regardent sans me
voir. Je les regarde sans rien comprendre à leur chorégraphie. Puis
j’étale, sur la toile cirée de la petite table, un train de gaufrettes à
la vanille. Sur chacune d’elles, un court texte que je lis. Je change
l’ordre des biscuits. Je fabrique des histoires sans queue ni tête que je
finis par croquer en faisant plein de miettes. Ensuite, l’odeur de
poudre de lessive dans laquelle on fourrage pour en extraire le cadeau
surprise. Une petite figurine qui m’émerveille au moins quelques
secondes. Plus tard, la promenade. Le reflet des façades sur les
trottoirs humides. Le
jour qui baisse. Les feuilles rousses. Les marrons
lisses et brillants que je fourre dans mes poches. Fin du souvenir.
[Extrait d'un autre truc en cours...]
Comme
un viol en douceur
[Merci aux editions Lunatique pour cette belle
réalisation]
Jeudi 27 septembre 2012
Un cadeau
Ils disent, la vie c’est un cadeau. La vie on te l’a donnée.
Et tu te sens un peu obligé de remercier, même si tu sais pas trop quoi
en foutre de cette chose-là. La vie. C’est posé là, emballé dans ta
peau, vaguement encombrant. Il n’y a pas de mode d’emploi. Peut-être
bien qu’il faut des piles, du courant, de l’essence, de l’alcool, une
manivelle pour remonter le mécanisme et puis on se met à avancer tout
droit, tout raide comme un petit soldat. Je n’y comprends rien.
Ils disent, la vie c’est un cadeau. La vie on te l’a donnée.
Et c’est un peu comme s’ils t’avaient refourgué un truc foireux, une
montre qui tictaque mais n’indique pas l’heure. À quoi ça sert ce bruit
?
Ils disent, c’est la musique du cœur.
Je n’y comprends rien.
Well, I'm a
fucking idiot (sometimes)
[Photo Marlene T.]
Borbotruc
Ce jeudi, la belle
petite revue Borborygmes organise au MOTif (Paris 19) un "borbotruc
à l'intention des bibliothèques"
Le pianiste Bertrand Ravalard dirigera la partie musicale de la soirée
et les comédiens Guillaume Cesbert, Muriel Chamak et Michela Orio
donneront pour ce Borbotruc au MOTif, leurs interprétations des textes
suivants :
Sans titre / Borborygmes n° 19 – Mathieu Germe
On verra par la suite / Borborygmes n° 8 – Michela Orio
99 notes préparatoires aux premiers outrages / Borborygmes n° 19 –
Frédéric Forte
Une raison valable / Borborygmes n° 13 – Julien Derôme
L’enfant des bois / Borborygmes n° 21 – Thomas Vinau
Futile / Borborygmes n° 21 – Marlène Tissot
Migraine Céphalée / Borborygmes n° 18 – Alban Orsini
Nulle part ailleurs que sur terre / Borborygmes n° 21 – Stéphane
Dauvillé
Vous pouvez disparaître / Borborygmes n° 7 – Stéphane Delavet
Une belle soirée en perspective !
Et je ne suis pas peu fière d'y savoir mon Futile joliment lu...
Mercredi 26 septembre 2012
Tuer les mouches
Papa regardait les gens comme il regardait les mouches qu’il s’apprêtait
à tuer. Sans doute, certaines personnes l’agaçaient autant que ces
foutus insectes. Alors, il avait cette noirceur au fond des yeux et sa
respiration lentement sifflante et son dos tout raide. Ça lui donnait
l’air appliqué du chasseur qui ne veut surtout pas manquer sa cible.
Papa regardait les gens comme ça. Ce pouvait être un voisin sur le seuil
de la boulangerie. Ou n’importe qui d’autre, à n’importe quel endroit.
Quelqu’un qui parlait de trucs qui fâchent, quelqu’un qui parlait trop
tout simplement, quelqu’un qui faisait chier, quoi. Alors papa se
contentait d’afficher un silence aussi désagréable que possible. Il
restait immobile et froid jusqu’à ce que l’autre fasse une pause. Et,
comme on n’attrape pas une personne dans sa main pour la broyer, il s’en
débarrassait en l’écrasant sous le poids de son mépris.
Papa regardait les mouches qu’il s’apprêtait à tuer, comme ça. Il les
suivait des yeux le temps qu’il fallait. Il étudiait leur parcours,
jaugeait leur rapidité. Il ne bougeait pas. Puis soudain son bras
fendait l’air avec la rapidité d’un ressort qu’on libère. Il ratait
rarement son coup. Au creux de sa main, il écoutait la bestiole affolée
vrombir quelques instants avant de serrer le poing. Ensuite, il essuyait
sa paume contre son pantalon avec un petit air satisfait.
Parfois le soir, je pensais aux restes de mouche morte étalés sur le
pantalon de papa et dans sa main. Je trouvais ça écœurant. De la chair
de mouche écrabouillée dans la main que papa baladait partout sur moi.
Ça me dégoûtait et j’y pensais, j’y pensais aussi fort que possible pour
oublier un peu ce que papa faisait. Je me concentrais sur la mouche
crevée. Il n’y avait plus que la mouche crevée. Et ça me dégoûtait
tellement que j'oubliais presque papa. Presque.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
I'm dying to die
[Photo Marlene T.]
Mardi 25 septembre 2012
Plusieurs jours
Marée haute.
Marée basse.
Je regarde cette vaste étendue d'eau aller et venir à
intervalles réguliers. C'est comme s'il y avait plusieurs jours
à l'intérieur du jour. Comme si le temps ralentissait.
[Extrait...]
Dunes
[Photo Marlene T.]
Lundi 24 septembre 2012
J'emmerde les post-it
Note
pour plus tard:
il n'y aura peut-être pas
de plus tard
Le ciel dans une flaque
[Photo Marlene T.]
Samedi 22 septembre 2012
Deux mères
La vie ne devait pas être facile tous les jours pour maman et,
parfois, c’était comme si elle m’explosait sa frustration et son
désespoir au visage. Dans ces moments-là, quoi que je dise ou fasse,
elle devenait quelqu'un d'autre. Une femme brisée et enragée, prête à
tout pour prouver qu'il y avait au moins une chose dans sa vie qu'elle
savait dominer. Alors elle cognait dur, sacrément dur bordel ! À me
foutre le nez en sang, m’exploser la lèvre, laisser des traces bleues
sur mes joues, mes épaules, mes jambes.
Quand l’instit’ me demandait ce qu’il m’était arrivé, je racontais que
j’étais tombé, ou bien que je m’étais bagarré avec un autre môme.
Personne n’a jamais rien soupçonné. Faut dire, maman souriait si
joliment à la sortie de l’école, elle bavardait avec les autres mères et
m’ébouriffait les cheveux en me traitant gaiement de petit diable. Tout
le monde savait que chez nous il n'y avait pas de père. Tout le monde
trouvait maman très courageuse, très digne.
Moi, j’avais l’impression d’avoir deux mères. Celle du dehors et celle
du dedans, lorsque notre porte était fermée et que plus personne ne pouvait
nous voir. L’une d’elles, probablement, m’aimait sincèrement. J’ignore
laquelle.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Kids
are all right
[Photo Marlene T.]
Jeudi 20 septembre 2012
La gueule du
serpent
Je monte dans le
train. Sans grand enthousiasme. Vaguement inquiet.
Aussi étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais voyagé à bord de
ces engins. Quand j’étais môme, pour les vacances, maman et moi on
grimpait dans la vieille bagnole de tonton et on filait vers des
paysages différents. Il y avait du ciel et de la mer et des tas de gens
qui semblaient sourire sans arrêt. Comme si l’été rendait tout plus
facile, comme si le soleil faisait fleurir la joie.
Puis un beau jour, tata s’est barrée avec les cousines. Et tonton a fini
par foutre le camp d'ici, lui aussi. Maman disait que c’était aussi bien
ainsi, qu’elle en avait ras-le-bol de le voir chialer sans arrêt. Alors,
on n’est plus jamais partis nulle part, elle et moi. Les vacances,
c'était juste un trou de soleil un peu plus large entre les nuages.
Je monte dans le train et j’ai l’impression d’être un rongeur fonçant de
son plein gré dans la gueule d’un serpent. Je ressortirai par son trou
du cul, à l’autre bout du pays, pour aller voir maman. Ça fait combien
d’années ? J’ai pas compté, mais elle n’a pas dû s’en priver...
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Read my feet (l'aventure continue) [Pour la première partie de l'album, c'est
ici que ça se passe]
[Photo Marlene T.]
Mercredi 19 septembre 2012
Les
petites exigences
Je
n'attends rien des autres
j'aimerais qu'ils en fassent autant
à mon égard
Vivant !
[Valence septembre 2012, Photo Marlene T.]
Mardi 18 septembre 2012
Careful what you dream...
[Photo Marlene T.]
Lundi 17 septembre 2012
Le reflet
Parfois je fais ça, je me regarde dans le miroir. Je plante mes yeux
profond dans le reflet de mes yeux. Je me jauge, je me juge, je me
poignarde l’âme. Je me regarde en train de me regarder, assez longtemps
pour plus rien ressentir. Pour ne plus rien voir d’autre qu’un inconnu.
Pour prendre de la distance. Pour m’oublier.
Je me regarde dans le miroir et je disparais.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
BSC News
Une
chouette chronique sur Mailles à l'envers
dans le dernier
BSC news à lire en page 140
Samedi 15 septembre 2012
Ce
qui nous ressemble
Extrait
d'un petit texte typographique à lire dans le mag'
L'Ampoule, téléchargeable
ici, avec un sommaire chaud comme un été indien !
[...]
[...]
Arachnophilie (18)
[Photo Marlene T.]
Vendredi 14 septembre 2012
La
chute
Ça fait cet effet-là, parfois
tu tombes
et tu penses qu’il suffira de se relever
que ce n’est pas très compliqué finalement
et puis
tu appuies sur tes bras
sur tes jambes
tu pousses et
en te redressant
tu sens ce léger vertige
le déséquilibre
l’absence de matière
le vide
le rien
alors tu comprends
que tu n’as pas encore fini de tomber
que c’est une chute longue
et lente
et tout est sombre en dessous
tout est loin
mais tu n’as pas vraiment peur
tu te demandes simplement
combien de temps encore avant
l’atterrissage
avant la douleur - peut-être - du solide à nouveau
tu te demandes aussi
si tu auras la force
de refaire tout ce chemin à l’envers
revenir à la surface
à la lumière
à l’ordinaire
Blue morning
[Photo Marlene T.]
Mercredi 12 septembre 2012
Le dieu-chien
Les hommes ne veulent pas d’un dieu tout puissant, ils veulent un dieu
docile, un dieu qui rapplique dare-dare dès qu’on l’appelle, comme un
clébard, et puis qui obéit, assis-couché-va-chercher-donne-la-patte. Un
dieu-chien qui deviendrait complètement cinglé avec des humains-maîtres
par wagons ordonnant fais ceci, empêche cela. Tout un tas de connards
exigeants et prêts à lui coller une muselière s’il lui venait l’idée de
montrer les dents. Alors si un dieu existe quelque part, ça te
surprend qu’il préfère rester planqué ?
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie (17)
[Photo Marlene T.]
Mardi 11 septembre 2012
J'emmerde les conflits
L'un
contre l'autre
ne signifie pas nécessairement
qu'il y a antagonisme
Etoile
[Photo Marlene T.]
Lundi 10 septembre 2012
J'emmerde les apparences trompeuses
Rester
en vie
ce genre de petites choses
qui ressemblent à une évidence
Hope
& dream
[Photos Marlene T.]
Samedi 8 septembre 2012
Faire rire les gens
Le
rouge qui monte aux joues
comme une giclée de sang impossible à nettoyer
assassin, assassin !
le timide est un tueur
d'émotions
de sentiments
de tout ce qui peut exciter le coeur
et provoquer ces souillures
ces éjaculations sanguines qui vinassent la face
et font rire les gens
"Pour passer inaperçu, j'ai pris la couleur des murs"
Je me
souviens de chacun de vos mots. Je me souviens comment vous me les avez
plantés dans le corps. [...] Quand vous parliez, je scrutais votre
bouche, effaré que vous recouriez à cet instrument de torture avec tant
de désinvolture. [in Blast II de Manu Larcenet]
Vendredi 7 septembre 2012
Devenir l’automne
N’oublie pas de tomber
de temps en temps
ne serait-ce que pour le plaisir
de constater que tu as la force
de te relever
Show me the light
[Valence septembre 2012, Photo Marlene T.]
Jeudi 6 septembre 2012
Le désordre
Qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait ? se demandait Franck
quand il était môme, quand maman hurlait et cognait et exigeait des
réponses qu’il n’arrivait pas à trouver parce que c’était la tempête et
le désordre et tout était en pièce dans sa tête. Alors il tentait de
construire des phrases avec les morceaux brisés. Il faisait des puzzles
et il les étalait là jusqu’à trouver une image qui calmerait maman.
Ensuite, il fallait ranger, ranger ses idées, remettre les choses en
ordre dans sa tête comme on retendrait un lit, comme on poserait des
jouets sur une étagère, et c’était pas facile avec tout ce foutoir. A
chaque fois, il avait l’impression que des morceaux manquaient, que le
vide enflait. Tout était bancal et tordu. Mais ça tenait debout. Il
ficelait tout ce qui restait comme il pouvait en attendant le prochain
ouragan maternel.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Le voyageur change ses yeux, le touriste ses billets ! [Blast, Manu Larcenet, ed. Dargaud]
Mercredi 5 septembre 2012
J’emmerde les voyages cathodiques
Voyager aussi vite
que les images sur
les écrans de télévision
Take my brain away
[Berlin, Photo Marlene T.]
Mardi 4 septembre 2012
Le brasier
Au début il y avait le silence. Et puis le feu s’est mis à ronfler,
crépiter, siffler. Les volets fondaient et les murs commençaient de
craquer. Ensuite seulement, il y a eu les cris, mais ils n’ont pas duré
très longtemps. Dan observait, planqué dans les fourrés à quelques
centaines de mètres. Il souriait large et blanc, comme s’il avait mâché
un troupeau d’étoiles. Il se sentait puissant, il se sentait Dieu, il
était un sauveur. Mary n’aurait plus rien à craindre dorénavant.
Le brasier est devenu gigantesque, comme un soleil qui se serait
écrasé-là par erreur, au beau milieu de la nuit. Quelques lumières se
sont allumées dans les maisons voisines, des curieux, derrière leur
fenêtre, qui auraient, pour une fois, quelque chose de pas banal à
raconter à la boulangère demain matin. Dans le lointain, une sirène de
pompier annonçait sa venue. Mais il ne restait probablement plus personne à sauver.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie (16)
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Lundi 3 septembre 2012
Le
goût de la pluie
Voler la chaleur de ta peau
pour remplacer l'été disparu
j'imagine que la pluie
aurait un meilleur goût
si je la buvais dans ta bouche
It's time to dive
(19)
[Paris juin 2012, photo Marlene T.]
Dimanche 2 septembre
J'emmerde l'équitation
On ne
galope pas très loin
en étant à cheval
sur ses principes
Where shall we go now ?
[Berlin, Photo Marlene T.]
Samedi 1er septembre
Have
you seen the light ?
Quelques images et un peu de poésie pour l'édito de septembre sur
FPDV où la lumière sera... le thème du mois !
Clic
[Valence, juin 2011, Photo Marlene T.]
Vendredi 31 août 2012
« Ça n’arrive
qu’aux vivants »
Après que Mary m’ait raconté son histoire de poupée je me suis senti
drôle et vide. Pas tout à fait vide mais plutôt comme si on avait
remplacé mon sang par de la bourre, celle qu’on fourre à l’intérieur des
poupées de chiffon pour leur donner un semblant de forme humaine. Je me
sentais mort dedans, à me demander quelle force pouvait habiter Mary
pour qu’elle ait survécu à tout ça.
Et puis j’ai repensé à maman que j’avais si longtemps et si bien
déguisée en monstre dans mon imagination. Les souvenirs, soudain, se
délitaient. La douleur, la peur, la honte, ça n’arrive qu’aux vivants.
J’étais vivant. Alors que Mary s’était fait dévorer le cœur et l’âme par
son père sans que personne ne remarque rien, sans personne pour la
défendre.
Alors peut-être bien, ouais sans doute, qu’il méritait de clamser, ce
salopard de paternel. Et le type, ce type dont parlait Mary, devait
contenir une sacrée dose de rage doublé d’un amour gigantesque pour
décider, comme ça, d’aller crever le vieux, avec juste ses bras
transformés en baguettes magiques. Un type avec assez de forces dans le
cœur pour terrasser le monstre et rendre à Mary sa liberté. Pour faire
d’elle une princesse.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
It's time to dive
(18)
[Babel, Photo Marlene T.]
Jeudi 30 aout 2012
J'emmerde les mines de plomb
l'imagination
c'est les crayons de couleur
dans la trousse du quotidien
It's time to dive
(17)
[Lemon-submarine, Photo Marlene T.]
Lundi 27 août 2012
La poupée
La première fois que papa est venu dans ma chambre, dans mon lit, dans
ma peau, avec ses gros doigts, je n’ai pas compris. J’ai compris que ce
n’était pas normal parce que ça faisait mal. J’ai compris aussi qu’il
fallait se taire. Ne pas crier, ne pas pleurer. Garder tout ça secret.
Mais je n’ai pas compris le sens de son geste.
Jusqu’ici, à chaque fois que maman ou papa faisait quelque chose,
c’était pour une bonne raison. C’était utile. Comme passer l’aspirateur,
répondre au téléphone, faire des commissions, aller au travail, réparer
la machine à laver. Alors j’ai essayé de comprendre. Je me disais que
peut-être papa cherchait quelque chose caché dans mon ventre. Un secret
ou un trésor.
Par curiosité, j’ai planté des ciseaux dans le ventre de ma poupée. Il
n’y avait rien de particulier, juste de la ouate blanche et soyeuse qui
s’effilochait. Je me disais que peut-être dans moi c’était pareil, doux
et cotonneux, et que c’était pour ça que papa voulait y toucher. Parce que
sûrement, quand on grandit, on n’a plus cette douceur duveteuse et
rassurante à
l’intérieur de soi et ça rend triste.
Je ne voulais pas que papa soit triste. Alors j’ai décidé que s’il
revenait avec ses doigts, je lui prêterai ma poupée, avec son ventre
troué aussi doux que le mien. Et comme ça, il me ficherait la paix.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Dimanche 26 août 2012
L'humeur du jour
C'est
quand plus rien ne semble possible
que tout devient envisageable
Samedi 25 août 2012
J'emmerde les cures de jouvence
Vieillir
c'est voyager
dans le temps
Beds are burning
[Photo Marlene T.]
Jeudi 23 août 2012
J'emmerde les fins de moi difficiles
Les
débuts n'étaient déjà pas commodes
alors est-ce qu'on pourrait, s'il-vous-plait
me laisser finir en paix ?
It's time to dive
(16)
[Photo Marlene T.]
Mercredi 22 août 2012
Revue Diptyque
Le n°3 de la revue Diptyque
est chez l'imprimeur. Au sommaire : Couverture : Raphaële
Colombi Dossier sur Anne-Lise Blanchard avec une introduction de Gérard
Paris, d’Alain Wexler et d’I. Raviolo,
Nouvelles, récits, proses de Sylvie Durbec, Marianne Brunschwig,
Roland Ladrière, Michel Brosseau, Chris Simon, Sabine Huynh, Cathy
Garcia, Contributions artistiques de Anne d’Huart, Pierre Gaudu, Valérie
Buffetaud, Marlène Tissot, Antoine Josse, Chantal de Meyer Notes critiques et lectures par Philippe Leuckx, Angèle Paoli,
Sabine Huynh. Anthologie poétique “Entre Deux”, avec Déborah Heissler, André
Rougier, Eric Dubois, Marlène Tissot, Armand Dupuy, Sylvie Saliceti,
Fabrice Farre, Philippe Leukcx, Sabine Huynh, Roselyne Sibille, Arnaud
Delcorte, Lucie Pasquiou, Yannick Torlini, Daniel Leduc, France Burghel-Rey,
Hafsa Saifi, Mathieu Baumier, François Teyssandier, Roland Dauxois,
Laurent Campagnolle, Jean-Marie Sapet, Angèle Paoli, Luc Baba, Sylvie
Fabre, Marc Menu. Une approche de l’entre-deux chez Kafka par Pascal Gibourg Chantier de poème par France Burghel-Rey
* Pour commander le numéro, 13 euros en librairie ou de la main à la
main, 13 euros en expédition (frais de port compris), 25 euros en
abonnement de deux numéros :
revuediptyque@yahoo.fr, sujet : abonnement ou commande.
J'emmerde le
champ lexical de l'obéissance
Interdictions -
règles - ordre - limites
et tout ce qui trace des frontières invisibles
qui enferment l'imagination
It's time to dive (15)
[Photo Marlene T.]
Mardi 21 août 2012
J'emmerde les espoirs longue distance
On
souhaite des choses avec les yeux tournés vers le ciel comme si tout ce qui se trouvait à hauteur de poussière
ne méritait rien de mieux que le mépris de nos semelles
Il y
a presque 10 ans
Chronique d'une manif contre la guerre en Irak, février
2003. Un petit fanzine photos home-made dispo sur la plateforme
DIY-Zines
Lundi 20 août 2012
Les premiers
rayons
Mary débarque au cimetière juste avant les premiers rayons du
soleil. Le ciel prend déjà cette couleur laiteuse qui annonce l'arrivée
jour. Mary dit qu’elle ne veut pas rester seule. Elle dit que c’est à
cause de ce type et Franck hoche la tête, même s'il n'y comprend pas
grand chose. Il n'est plus qu'à quelques miettes de terminer sa nuit.
Ensuite, ils iront préparer du café. Il ne pose pas de questions. Mary
parlera, il le sait. Pour l'instant, elle tremble, comme si son corps
pleurait des vibrations, des larmes solides que ses yeux n’auraient pas
la force d’écluser. Bientôt, dans le silence, elle pourra lentement
s’apaiser.
En arrivant à l’appart’, Franck prépare le filtre et la mouture et Mary
très vite s’endort sur le sofa, enroulée dans une couverture, comme un
insecte dans son cocon de soie. Alors Franck se sert un café et s'assoit
là, pas très loin, comme pour la veiller, un peu inquiet et aussi un peu
étonné de ressentir cette inquiétude douce. Il n’ose pas sortir les
bières ni les biscottes. Il gobe un cachet vite fait pour juguler
l’angoisse. Il se dit, c’est pas le moment de jouer au con, pour
une fois qu’il peut être utile à quelqu’un. Pour une fois qu’il se sent
presque fort.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
It's
time to dive (14)
[Photo Marlene T.]
Dimanche 19 août 2012
J'emmerde la séduction
Vouloir
plaire
Prendre les yeux des autres
pour des miroirs
It's
time to dive (13)
[Photo Marlene T.]
Samedi 18 août 2012
J'emmerde les prophéties
Et s'il
s'agissait de préserver
ce qu'on a sous la mains
avant de songer à refaire le monde ?
[Photo Marlene T.]
Jeudi 16 août 2012
J'emmerde les combats ordinaires
La
violence est
le meilleur déguisement
de la faiblesse
Rouge sang et ciel d'acier
[Photo Marlene T.]
Mercredi 15 août 2012
J'emmerde les dérèglements climatiques
Avis de
sècheresse sur la région du coeur
l'aridité est sur le point de s'étendre
à tout le territoire des émotions
Holidays
[Photo Marlene T.]
Mardi 14 août 2012
J'emmerde les gabarits
Celui
qui pisse le plus loin
n'a pas forcément la plus grande
et réciproquement
S'arrimer au temps, jusqu'à en perdre la tête
[Photo Marlene T.]
Lundi 13 août 2012
J'emmerde les transitions matinales
Quelques regrets dissous dans le café
un discret surcroît d'amertume
fondu au noir
Les
bonnes résolutions
[Photo Marlene T.]
Dimanche 12 août 2012
J'emmerde le tapage
Certains bonheurs
claironnent leur victoire
un peu moins fort que d'autres
You
are an illusion
[Photo Marlene T.]
Samedi 11 août 2012
Les chips
C’était bien, les dimanches matin. Presque comme si papa n’existait
plus. Il s’en allait au café du coin pour rejoindre ses potes et
c’était, pour moi, un peu de paix et de silence. Puis il rentrait, pas
très loin avant midi, avec son air goguenard et une odeur de bière et
tabac brun. Il s’installait devant la télé. Maman lui apportait un sac
de chips et une bouteille de rouge qu’il lapait directement au goulot.
Il s’enfonçait lentement dans le sofa en regardant une émission de foot.
Les chips craquaient dans sa bouche entre les cris de victoire et de
défaite. Des tas de chips. Et certaines tombaient entre les coussins
tandis que le tapis, sous la petite table vitrée, absorbait les bavures de
vin. Papa oubliait maman et le repas qui cuisait. Papa m’oubliait et
j’aurais aimé que la vie ne soit faite que de dimanches matin.
L’après midi, parfois, lorsqu’il faisait beau temps, nous allions nous
promener au bord du canal. Maman sortait une vieille couverture et un
gâteau raté qu’il fallait manger quand même, pendant que papa ronflait.
Le temps passait, un peu trop vite et maman tricotait et je ramassais
quelques fleurs, puis le soleil tombait déjà. Nous devions rentrer,
reprendre place entre les murs étriqués. Je tentais de marcher le plus
lentement possible le long du canal. Nous croisions des familles qui
disaient bonjour en souriant. Nous disions bonjour, en souriant aussi.
C’était ce qu’il fallait faire. Il n'y avait rien d'autre, vraiment rien
d'autre à faire pour se sortir de là, pour enrayer la machine.
Puis le soir venait et, dans les dernières lueurs du dimanche, tout s’accélérait. Papa
était partout. Sa voix, son odeur, ses regards qui glissaient sur moi.
Maman préparait un souper froid et nous dînions devant la télévision en
regardant une vieille série américaine avec des rires enregistrés qui
camouflaient nos silences. Elle tenait particulièrement à
ce genre de rituels, maman. Comme s’ils lui donnaient l’illusion que nous étions
une famille ordinaire. Et moi, je fixais l’écran jusqu'à faire presque
disparaitre tout le reste autour. Mais sur les coussins du
sofa, les chips oubliées de papa me griffaient les cuisses. Bientôt, ce
seraient les mains égarées de papa, ce seraient d’autres blessures,
moins visibles et pourtant, plus profondes.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie 15
[Photo Marlene T.]
Vendredi 10 août 2012
J'emmerde les nuits qui ne mènent nulle part
Hier
était un paysage différent d'aujourd'hui
demain est encore vierge de nos pas, territoire inexploré
On raconte que les frontières se planquent à la racine des rêves
Traverser la nuit sur la pointe des pieds
[Photo Marlene T.]
Mardi 7 août 2012
J'emmerde le conformisme
La
vérité des uns
ne doit pas nécessairement
devenir celle des autres
Dieu-Dollar
[Berlin, Photo Marlene T.]
Lundi 6 août 2012
J’emmerde les quêtes absurdes
Aller chercher
son temps perdu
au bureau des objets trouvés
Forever
[Berlin, Photo Marlene T.]
Forever too
Dimanche 5 août 2012
Des
Borborygmes et une Traction Brabant
Traction-brabant n°47 vient de paraître.
Au sommaire du poézine de Patrice Maltaverne :
Pierre Anselmet, Régis Belloeil, Marlène Tissot, Morgan Riet,
Pierre Vella, Michel Talon, Jean-Michel Hatton, Christophe
Durand-Le Menn, Jean-Baptiste Pedini, Jacques Ceaux, Xavier Le
Floch, Christophe Petit, Marc Bonetto, Laura Vazquez, Jacques
Lucchesi, Mu LM, Thomas Vinau, Jacques Cauda, Sebastien Cochelin,
Delphine Gest, Roque Dalton, Alain Minighetti, Christophe Levis,
Olivier Millot, Jean-Marc Thévenin, Didier Trumeau, Salvatore
Sanfilippo, Jean-Jacques Nuel, Bernard Deglet et Patrice himself
!
Stéphane Dauvillé: Nulle part ailleurs... chapitre 2
Robin Czarniak: 2 poèmes
Myrto Gondicas: Courbes chez le ramier
Emmanuel Steiner: Déchet humain
Thomas Vinau: L’enfant des bois
Junie Terrier: Passage
Caroline Cranskens: Il manque une lettre
Marlène Tissot: 4 poèmes
Yoni Afrigan: Terre parlée
Patrick Aveline. Rectangle
IMAGES Muriel Chamak. Garage Roger
Être libre
[Photo Marlene T.]
Vendredi 3 août 2012
Superfétatoire
Les inquiétudes sont un peu comme la philosophie : des
questions sans réponses auxquelles on accorde sans doute trop
d'importance.
Life can be easy
[Photo Marlene T.]
Mercredi 1er août 2012
Posséder
Les choses qu’on tient fermement
étranglées au bout d’une laisse
sont souvent celles
qui s’échappent en premier
Oiseau de nuit
[Photo Marlene T.]
Mardi 31 juillet 2012
Guillotine-sky
C’est un de ces jours où
le ciel a des troubles de la personnalité
se hisse loin et haut, rigide et gris
comme une tôle d’acier
aiguisée
suspendue
au dessus de la nuque de nos vies
I don't know why
[Photo Marlene T.]
Lundi 30 juillet 2012
J'emmerde les longs fleuves tranquilles
On
aimerait que quelque chose se passe
bien qu'on fasse en sorte
que rien n'arrive
No
lies
[Photo Marlene T.]
Samedi 28 juillet 2012
Nettoyer
(Suite)
J’ai ouvert la porte
lentement et je l’ai vue là. Accoudée sur son balai à franges. Elle m’a
regardé de la tête aux pieds avec un mélange de mépris et de dégoût.
Aucun de nous ne bougeait. Je ne portais qu’une serviette sur les
hanches et mes cheveux mouillés faisaient un petit ruisseau froid le
long de mon dos. Maman s’est approchée, ses yeux plantés dans les miens.
À cette époque, elle mesurait encore quelques centimètres de plus que
moi. « Alors, tu t’es bien amusé ? » elle a demandé en grimaçant un
sourire mauvais. Elle a lâché le balai et, par réflexe j’ai levé la main
au-dessus de mon visage. Elle a stoppé son geste et m’a attrapé le
poignet, soulevant mon bras encore plus haut. « C’est depuis que tu as
des poils là-dessous ? C’est depuis que tu as des poils un peu partout
que tu fais toutes ces cochonneries ? » elle a grogné. « Tu crois que
les poils font de toi un homme ? Tu crois que je vais te laisser te
transformer en monstre sans rien faire, sans rien dire ? »
Elle a relâché mon bras. Nous nous sommes regardés en silence. Elle
attendait que je baisse les yeux, que je pleure, que je m’excuse. J’y
arrivais de moins en moins. Je crois que je n’avais plus envie. Alors
elle m’a collé une mandale avec sa main gantée de caoutchouc rose. Ma
tempe a heurté le montant de la porte. Quelques étoiles ont dansé devant
mes yeux puis le paysage est redevenu le même. Je suis resté là. Maman a
soupiré. Elle a attrapé son balai à frange. Tout à l’heure nous aurons
une petite discussion, elle a dit en s’éloignant. Et je savais qu’une
fois de plus elle me parlerait de sexe sans prononcer le mot. Elle
multiplierait les sous-entendus, les accusations, les menaces. Elle
parlerait de l’enfer, encore. Et j’avais beau feindre l’indifférence,
j’avais beau ricaner intérieurement, c’était toujours pareil, à chaque
érection la nausée me prenait et les sueurs froides et la terreur.
Chaque fois que mes mains glissaient au bas de mon ventre, chaque fois
que je ne pouvais résister, je pleurais en jouissant et je demandais
pardon. Mais ça ne suffisait pas.
Maman flairait toujours. Elle flairait l’odeur sur les mouchoirs dans ma
poubelle, sur mes slips et mes pyjamas. Dans la pénombre ouateuse de ma
chambre le matin. Elle flairait le foutre, maman et elle m’attrapait par
la nuque et me traînait jusqu’à la cuisine. Elle me collait le front
contre la table en hurlant. Elle empoignait les cheveux sur ma nuque et
cognait plusieurs fois de suite mon front, mon nez, ma joue, contre la
toile cirée. Elle cognait et je ne résistais pas. Elle disait qu’elle
saurait faire sortir le diable de mon corps et je supposais qu’elle
devait avoir raison.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Les gros yeux
[Photo Marlene T.]
Vendredi 27 juillet 2012
Nettoyer
C’était les samedis matin et l’odeur âcre de la poudre Cif me griffait
les narines. Maman enfilait sa vieille blouse à fleurs et récurait
frénétiquement chaque recoin de l’appartement. Si elle avait pu me
nettoyer, l’intérieur, l’extérieur, avec autant d’ardeur, sûre qu’elle
n’aurait pas hésité une seconde.
C’était les samedis matin, je m’en souviens parce que les autres jours,
maman travaillait de longues journées pour pouvoir me nourrir, me vêtir,
me loger, m’éduquer. Elle n’avait pas la vie facile, je le sais bien.
Elle travaillait beaucoup et pendant ce temps-là, la crasse
s’accumulait. Maman la regardait se déposer d’un œil mauvais. De la
poussière, des traces de doigts, de la saleté, partout. Sur le sol et
les meubles. Sous le lit, sur l’émail de la baignoire, sur ma peau et
dans mon âme. J’étais en perdition. Aucun Cif, aucun Monsieur Propre ne
parviendraient à me sauver. Maman frottait, astiquait, épongeait, et
jamais, jamais, je ne deviendrais lisse et pur comme elle le
souhaitait. Pas même les samedis matin.
Je profitais parfois de sa frénésie ménagère pour m’enfermer à la salle
de bain, seul. Juste pouvoir me laver sans la douche froide de son
regard. Un matin, elle m’a surpris. J’ai tourné le robinet et j’ai su
qu’elle était là. Il y avait trop de silence entre les murs. Je la
devinais, guettant au travers de la porte. Mes petits coups en douce,
comme elle disait en me traitant d’ordure. Sûr qu’elle m’attendait,
prisonnière des deux tours de verrou que j’avais mis entre nous.
Mes jambes ont commencé de trembler. C’est pas vraiment que j’avais peur
d’elle. Je grandissais et je savais bien qu’elle ne pouvait pas me faire
mal au point de me tuer. Mais le malaise me vrillait le ventre.
L’attente du premier cri, du premier coup. La métamorphose de maman, la
peau de monstre qu’elle enfilait quand son impuissance à me modeler la
rendait ivre de rage. Alors je faisais le dos rond. Je disais oui
maman suffisamment de fois, je racontais tout, et surtout les
mensonges qu’elle prenait pour mes vérités. Alors elle se calmait. Elle
se calmait, me cajolait et puis elle recommençait. C’était ainsi depuis
toujours et je me demandais si ça finirait par s'arrêter un jour. ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie
(14)
[Photo Marlene T.]
Jeudi 26 juillet 2012
J’emmerde la loi de la pesanteur
La chute est-elle
aussi libre
qu’elle le prétend ?
Arachnophilie (13)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Mercredi 25 juillet 2012
Chevalier
Il dit qu’il s’appelle Dan.
Il dit des tas de choses et je n’écoute pas trop parce que sa voix, sa
voix si douce et chaude, envoie cavaler mes pensées dans des paysages
mystérieux.
Je l’ai rencontré un jour de pluie au ciel violet. Il a débarqué dans ma
vie avec son allure de personnage de film. Le genre de héros dont on
pressent qu’il connaît la formule magique pour faire naître les drames.
Et les drames parfois ont quelque chose de superbe, délicieux. Comme un
soupir l’instant d’avant l’extase et puis ensuite, le calme revient et
se dépose, aussi soyeux qu'un drap propre sur une peau assoiffée de
sommeil.
Il a dit, je vais tuer ton père !
C’était un matin gris, lit froissé, mes paupières soudées et mes tempes
qui palpitaient douloureusement. Je me souvenais vaguement de quelques
verres de vin dans la soirée. Il y en avait probablement eu trop pour
que je ne puisse me rappeler. L’alcool, c’est dangereux, ça ouvre les
vannes du cœur, ça pousse à la confidence et moi, je ne veux pas parler.
Pourtant...
Il a dit, je blague pas, je vais tuer ton père, c’est tout ce qu’il
mérite ce porc ! Il a caressé ma joue en racontant que j’avais
pleuré comme une enfant jusque tard dans la nuit. Des sanglots d'aveux
douloureux. Foutue ivresse ! Et lui, il croyait quoi ?
Qu’avec sa rage enfilée comme un costume de chevalier il allait pouvoir
transpercer les démons à la pointe de sa dague ? Qu’il suffisait d’un
coup d’éclat pour rafistoler ma vie ? Peut-être, peut-être après tout... ["Les voix", roman en cours de tricotage]
You know what ?
[Photo Marlene T.]
Mardi 24 juillet 2012
J’emmerde la réussite sociale
Gravir les échelons
n’est pas le meilleur moyen
de prendre de la hauteur
Arachnophilie (12)
[Photo Marlene T.]
Summertime
Le Blog de la ville
de Paris [Paris
à l'air livres] recommande "Maille à l'envers", un tricot
pas comme les autres pour ajouter encore un peu de chaleur à l'été,
parce que la plage avec une écharpe de mots, c'est vachement plus
chouette qu'en maillot m'as-tu-vu, isn't it ?
Et pour les
récalcitrants et les nudistes, voir par ici
10 bonnes raisons de ne pas lire "Mailles à l'envers".
Pendant ce temps là,
je retourne jouer avec les tissages de mes amies à huit pattes...
Lundi 23 juillet 2012
J'emmerde la fausse pudeur
Parler
de soi c'est
une manière comme une autre
de se déshabiller
Arachnophilie (11)
[Juillet 2012, photo Marlene T.]
Samedi 21 juillet 2012
Rambo
Je prends la bagnole et je vais me planquer. Dans la campagne. Pour être
seule. Besoin de me cacher comme ça, souvent. Pour rien. Pour tout. Pour
allumer une clope et penser. Laisser tout ça sortir de moi, comme une
chasse d’eau qu’on tire histoire d’évacuer la merde.
Juste être seule et mes mains tremblent un peu. Je roule quelques brins
de tabac dans une feuille OCB et puis je picole aussi. Je sais bien que
je vais devoir rentrer à un moment ou un autre et je serai ivre alors le
chemin me semblera différent. Je me dirai que c’est tellement facile
tout ça. Il suffirait d’appuyer sur l’accélérateur et s’encastrer dans
un pylône pour que tout soit terminé. Mais, je crois, j’ai la force
d’attendre encore un peu. De voir venir. De cracher à la gueule des
emmerdes et sucer les plaisirs. De bousculer le soleil pour déplacer les
zones d’ombre. De faire un peu confiance au destin et à ce genre de
conneries. Peut-être, ouais, peut-être bien je suis un peu lâche.
Et ça me désole, j’aime pas ce que je vois quand je me regarde en face.
Parfois je voudrais être forte comme Rambo, botter le cul des salauds et
gueuler Adrienne, je t’aime. Ouais, je sais - même si je suis ivre -
c’est pas Rambo, c’est Rocky qu’est in love with Adrienne. Mais je m’en
fous et je n'ai pas de muscles, ma voix, elle fait du bruit surtout à
l’intérieur de ma tête et toi, c’est quoi ton nom putain ? T’es trop
nombreux. Je t’aime. Je t’aime tous... ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Emptiness
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 20 juillet 2012
J'emmerde les dates de péremption
Il y a
toujours du bon à prendre
dans tout ce qu'on abandonne
un peu trop facilement
[Extrait de "J'emmerde la poésie"]
Archives
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Jeudi 19 juillet 2012
J’emmerde l’esprit de compétition
Chercher à être meilleur que l’autre
c’est soigner ses complexes
avec des placebos
[Extrait de "J'emmerde la poésie"]
Arachnophilie (10)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Mercredi 18 juillet 2012
Je t’aime petite
Je t’aime petite, avait
dit papa un soir. Il avait encore les mains partout sur elle et l’odeur
de son foutre sur les draps. Et il s’est mis à chialer. Les soubresauts
lourds de son corps posé sur elle, les sanglots, la morve grasse. Mary
s’était dit qu’elle aurait pu profiter de cet instant de faiblesse pour
tuer papa. Elle s’est imaginé un petit couteau planqué sous l’oreiller.
Elle s’est imaginée dépliant la lame et l’enfonçant lentement dans le
gros ventre de papa et ses couinements de porc et son sang noir partout
sur les draps. Elle s’est imaginé le regarder cracher ses dernières
gouttes de vie. Elle s’est imaginé le faire pour de vrai. Le tuer. LE
TUER ! Mais avant, il faudrait qu’elle sache ou planter le couteau pour
ne pas rater son coup. Viser le cœur, peut-être. Mais papa n’avait pas
de cœur ! Pourtant, il avait dit « Je t’aime petite » et Mary avait
décidé que la seule solution c’était de le tuer.
Je t’aime petite, avait dit papa et il faudrait que beaucoup d’autres
hommes aiment Mary, qu’ils l’aiment immensément, doucement, purement
pour qu’elle puisse un jour oublier ces mots là. Leur redonner un sens
acceptable. ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie (9)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Mardi 17 juillet 2012
Solution de facilité
On
trouve toujours
quelqu'un d'autre à haïr
plus que soi
Arachnophilie (8)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Lundi 16 juillet 2012
La
forme
Peut
être que les choses ne sont jamais
comme elles devraient être
ou qu'on passe trop de temps
à leur imaginer une forme
sans leur laisser le temps de la prendre
Epingler les détails
[Photo Marlene T.]
Samedi 14 juillet 2012
Immortel
Longtemps, j’ai cru que papa était immortel. J’ai si souvent rêvé que je
le tuais, et je me voyais faire tous ces gestes violents et purifiants.
Ça ne me faisait même pas peur, même pas honte. J’achevais l’histoire de
la seule manière possible. Je tuais papa mais il était toujours là.
Immortel.
Aujourd’hui, on me dit qu’il est crevé, que tout est fini. Mais je ne
peux même pas voir son corps pour en avoir la certitude. Papa est
immortel. Je ne crois pas les paroles qui se voudraient rassurantes. Il
faut que je le voie.
On me dit que c’est pas joli joli. Qu’il ne reste que quelques morceaux
carbonisés. Et ça pourrait aussi bien être un autre que lui ça ne ferait
pas de différences. Moi je veux des preuves. Mais ils disent qu’ils ne
feront pas d’analyses, que maman était présente, qu’elle a tout vu et
entendu les cris aussi. J’aurais voulu entendre les cris de papa et sa
souffrance et puis le silence juste après. Le silence, enfin. ["Les voix", roman en cours de tricotage]
Arachnophilie (7)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Vendredi 13 juillet 2012
Intimacy
Il est
plus aisé
de surprendre les autres
que soi-même
Arachnophilie (6)
[Valence juillet 2012, photo Marlene T.]
Jeudi 12 juillet 2012
La
course aux étoiles et aux brins d'herbe
Certains remuent ciel et terre
pour que d'autres cessent
d'être dans la lune
It's time to dive (12)
[Valence juin 2012, Photo Marlene T.]
mercredi 11 juillet 2012
Les secrets
Des broutilles, pas grand-chose, et pourtant, toujours, des drames. La
mauvaise note en dictée, des billes volées, les croutes sur les genoux,
les tresses de Pamela que Franck dessine le soir avant d’aller dormir.
Tout est prétexte à la crise et maman hurle et cogne. Maman arrache les
cheveux de Franck comme si avec ce geste elle pouvait faire sortir tous
les secrets qu’il enferme dans sa tête. Maman veut voir les pensées et
le coeur à nu, elle écorche, elle dépèce. Elle veut que tout lui soit
dévoilé dans le moindre détail. Pourtant, les secrets, tout le monde en
a besoin. C’est un peu une manière de respirer, avoir des secrets. On ne
peut pas livrer toujours et entièrement se qui se passe en nous. Ce
serait indécent. Mais maman ne comprends pas et Franck n’est qu’un môme.
Il fait de son mieux pour obéir. Parfois il ne sait plus quoi dire, il
ne sait plus quoi taire. Les choses se mélangent, se brouillent dans sa
tête. Il oublie qui il est, qui il est réellement. Il est maman. Il n’ose plus
penser. Peut-être que maman peut tout entendre ce qui se passe à
l’intérieur de lui, même ce qui ne fait pas de bruit. Alors il récite
des passages de livre avant de s’endormir, il parle le moins possible,
il compte tout, tout le temps, ses doigts, ses pas, les nouilles dans
son assiette. Et même la nuit, il a peur de rêver trop fort. Il a peur toujours, il
se dit parfois que lorsqu’il sera mort, sûrement, maman sera toujours
là, à chercher, à fouiller dans son âme.
["Les voix", roman en cours de tricotage]
Laura
[Flogging Molly]
Mardi 10 juillet 2012
Vacances
Une
école abandonnée
c’est un peu comme une école
en vacances pour toujours.
De la poussière
des jeux oubliés
des cahiers alignés dans une vieille armoire.
Et les murs qui distillent en sourdine
le souvenir du rire des enfants
[Pour
FPDV Thème Vacances]
Ecole Jules Renard
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Lundi 9 juillet 2012
Quelqu’un qui me ressemble
Parfois je ne me reconnais pas
je fais des choses qui ne sont pas ce que je suis
qui ne correspondent pas à
ce que je voudrais être
Alors je ne sais plus trop si c’est moi que je trompe ou le monde
si je ne suis pas tout simplement enfermée à l’intérieur de
quelqu’un qui me ressemble beaucoup
It's
time to dive (11)
[Valence juin 2012, Photo Marlene T.]
Vendredi 6 juillet 2012
Fleur
Qu’est-ce qui te prouve que je suis femme et
non une fleur ? Arrache, continue d’arracher un à un mes
pétales, il ne restera bientôt que le coeur. C’est bien ce que
tu veux, n’est-ce pas ? Mettre mon coeur à nu et découvrir ce
qu’il cache. Alors arrache. Je suis une fleur. Ça ne souffre pas
une fleur, tout le monde le sait bien...
Killing Joke
[You'll never get to me]
Jeudi 5 juillet 2012
Une
manière
Etre
bien dans l'ombre
se faire une place
nulle part et partout à la fois
invisible, silencieux
pendant que d'autres s'agitent dans la lumière
espérant peut-être y trouver une manière
d'exister mieux
d'exister plus
No
need to hurry
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Mercredi 4 juillet 2012
Tout
simplement
Des envies pures et
des images diaphanes pour envelopper l’instant
dans un papier cristal
besoin de rien d’autre que
ta voix tout près de ma bouche
parfois les mots
parfois juste la musique des mots, ta voix
et même le silence
écouter les étoiles danser au fond de tes yeux
et le chant des frôlements qu’on évite par pudeur
savoir que rien n’arrivera et que
c’est encore mieux
ainsi
Arachnophilie (5)
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Mardi 3 juillet 2012
Courir
Les choses se passent vite, terriblement vite dans ma tête. Et même
parfois, elles ne se passent que dans ma tête. Ça commence souvent au
pied d’un détail. Une fleur de réalité. Et puis tout se met à cavaler.
Je cours à l’intérieur de ma tête. Je cours avec des mots et des images.
Je me raconte la suite du détail et parfois je me perds en chemin, je ne
sais plus revenir au début, au détail, à la réalité.
Dans le vrai autour, rien n’a bougé et, probablement, mon corps est
immobile aussi, mais pourtant je cours dans ma tête à travers les
paysages, les étoiles, le vent, les fleurs, le sang et l’amour. L’amour
qui peut être fou sans rendre fou. Le sang mais pas de blessure ou alors
des blessures tendres comme un fruit trop mûr dans lequel on mordrait
pour le soulager.
Parfois, je ne veux plus sortir de ma tête et revenir dans mon corps,
dans ce récipient de peau qui craint le froid, le chaud, la douleur, les
caresses. C’est encombrant un corps. Ça ne sait pas se soustraire aux
regards, un corps. Alors que dans ma tête, je suis libre et la folie
là-bas n’est pas une maladie. Je dessine les paysages à la couleur de
mes humeurs. Et puis je cours. Je voudrais courir tout le temps. Et même
après que mon corps sera mort, dans ma tête je crois, je pourrais courir
encore.
Inside
[Valence juin 2012, photo Marlene T.]
Lundi 2 juillet 2012
Fragile things
Quelque chose comme de l'honnêteté
rester soi, même dans le pire de soi
Ne pas prétendre
Se contrefoutre du regard de l'autre
tous les autres
Laisser les morts dedans s’appliquer à être
toujours plus beau dehors
toujours plus vide sous la peau
Faire de la fragilité une force qui ploie mais ne se brise pas
transformer les tremblements en musique
faire briller la pénombre