Marlène TISSOT est venue au monde inopinément. A
cherché un bon bout de temps avant de découvrir qu'il n'y avait pas de mode d'emploi.
Sait dorénavant que c'est normal si elle n'y comprend rien à rien. Raconte des histoires depuis qu'elle a dix-ans-et-demi et
capture des images depuis qu'elle a eu de quoi s'acheter un appareil. Ne croit en rien, surtout pas en elle, mais
sait mettre un pied devant l'autre et se brosser les dents. Ecrira un jour l'odyssée du joueur de loto sur
fond de crise monétaire (en trois mille vers) mais préfère pour l'instant se consacrer à des
sujets un peu moins osés.
PS
: J'ai aussi un petit oiseau bleu, pas du genre qui palpite dans la cage
thoracique, mais du genre que je nourris assez peu, du genre qui fait un peu
ce qu'il veut, il n'est pas dans une cage et les fils à la patte, c'est pas mon truc... N'empêche, j'ai un
petit oiseau bleu.
C'est
pas la mer à boire
mais tu la bois quand même
t'as les poumons pleins d'algues
des coquillages vides à la place des pensées
le ventre en bocal et le coeur qui y nage
comme un poisson
affolé
Jeudi 26 mars 2015
La
honte
C’est un lent
poison, la honte. Ce sentiment poisseux, diffus, qui n’est pas
nécessairement lié à nos propres agissements. Comme si la crasse était
parfois dans l’oeil de celui qui regarde et qui juge. Comme si elle se
déversait en nous par cet oeil et venait nous salir de l'intérieur.
[Les voix, extrait - en cours...]
Mercredi 25 mars 2015
Dégriser
Le réveil n’a pas eu
le temps de sonner. Ce sont parfois les cauchemars qui gagnent au petit
jeu de qui me sortira du sommeil le premier. Parfois, dormir, c’est
épuisant. Il faudrait un interrupteur pour éteindre la tête, laisser la
matière grise se dégriser un peu. [Les voix,
extrait - en cours...]
Dimanche 22 mars 2015
L'humeur du dimanche : Enlacer doucement le gris du ciel
Premier
numéro de l'anthologie "Poètes drômois", édité par la Maison de
la poésie de la Drôme, et dans laquelle figurent deux de mes poèmes.
[Plus d'infos en cliquant sur l'image]
Assis
debout
couché
un chien au milieu de la rocade
en pleine heure de pointe
grand carambolage dans ma tête
du bruit partout à l'intérieur
je n'arrive même plus à
écouter mes salades
pousser
Journée internationale du bonheur
[Caterpillars, par Hallie Bateman dans la chouette revue
Blunderbuss]
- Pourquoi es-tu si heureux?
- Je suis juste heureux de ne pas être malheureux, je suppose
Tu ne l’as pas suspendu assez haut, le vide
dans un sac en plastique, là
l’anse accrochée au crochet
pas assez haut
le crochet
on ne peut rien y suspendre d’autre que le vide
pas assez haut et quand il tombe, le vide
ça ne fait pas un bruit
pas une éclaboussure
juste du rien
là
par terre
le vide en flaque et tu rentres et tu le piétines
plein les godasses que tu ne retires pas
des traces de pas
vides et
rien n’a changé ici depuis ton départ
il y a une heure
rien n’a changé
du tout
le vide n’est pas rempli
pas envolé
pas en voie d’extinction
pas comme le boulot
rien
ils t’ont dit, toujours rien
rien qui ne corresponde à tes compétences
sauf le vide plein dans le sac en plastique
et tu l’attrapes avec rage
le balances par la fenêtre
qu’il aille polluer ailleurs
pas ici
y en a marre !
le vent l’emporte un peu
l’enfle un peu
du rien dans le ventre du vide suspendu dans le ciel
on dirait une colombe maladive
virevoltant au dessus de la rue
pas vraiment capable de foutre le camp
et il revient
le vide en sac
docile comme un chien galeux
s’échouer au pied de chez toi
Cette
nuit j'ai rêvé
du bleu de la piscine des voisins
tout ce bleu dix-sept fois sur ma peau
en plongeons maladroits
qui refusait de laisser
la moindre trace
sur ma peau
Dimanche 15 mars 2015
L'humeur du dimanche : cesser d'en vouloir toujours plus
Samedi 14 mars 2015
La
petite bureaucratie vestimentaire
La
tenue professionnel et les habits du dimanche
les cols fermés le pantalon lissé les chaussures cirées
tous ces costumes qui dessinent
un ciel d'automne sur les figures à la place du sourire
la petite bureaucratie vestimentaire
qui impose ses lois mine de rien
le respect des convenances au détriment de l'effervescence
où sont passés
le pétillant du débraillé et
la moue effrontée du mal assorti ?
Vendredi 13 mars 2015
J'emmerde le découragement [New]
Pas
besoin de déplacer des montagnes
il suffit d'un gravier pour bloquer
les rouages qui tentent de nous broyer
No need
to move mountains
it just take a gravel in the clog to stop
the machine about to crush you
L'armée
de rêves jamais réalisés
est supérieure en nombre à celle
des rêves réalisés
quand bien même elle s'allierait à celle
des rêves encore rêvés
mais ce n'est pas une raison
pour s'avouer vaincu
Le cinéma X de la rue Saint Lazare
est maintenant un cinéma ordinaire
et même
dans la rue de Budapest
seuls deux sex-shops
ont survécu
les autres ont été remplacés par
des restaus Grecs ou Chinois
il reste quand même la vieille pute
au croisement
sous l’arche
à côté du marchand de souvenirs
parfois les touristes la prennent
pour une mendiante et
laissent tomber un peu de monnaie
dans le gobelet de café
qu’elle n’a pas encore terminé
ça l’amuse
je le sais
nous avons bavardé et
elle m’a dit aussi
« Aujourd’hui le sexe est partout mais
il a disparu
c’est devenu honteux
chacun préfère se planquer chez soi avec
sa connexion internet
sa vaseline et
sa serviette »
Il faudrait pouvoir la voir au ralenti
la chimie d’une idée qui se forme
ou peut-être est-ce de la biologie ?
oui, c’est ça !
les cellules qui se multiplient et prennent
lentement-très-vite
la rondeur pleine d’une idée vivante
dont on accouche
sans avoir réellement conscience
de ce moment de gestation
dans le ventre de nos crânes
Demain, Rouen
Petit rappel
printanier : demain je serai à Rouen pour une insurrection poétique aux
griffes joyeusement aiguisées. Les réjouissances auront lieu à
L'Aître St Maclou 186, rue Martainville à partir de 14h et nous
serons nombreux à vous accueillir à mots ouverts !
Je me
souviens
avoir eu envie
cette nuit-là
de te demander Est-ce que tu existes vraiment? mais j'ai préféré
glisser mon sommeil dans tes bras
sans poser la question
de peur de t'entendre
répondre non
Les sentiments ne me
tombent jamais dessus violement
ils s’insinuent mine de rien
presque insidieusement
comme une légère fuite de gaz
me tournent un peu la tête mais
je m’en rends compte rapidement
- j’ai l’odorat du coeur
particulièrement développé -
et je ferme vite le robinet
j’aère mes pensées
pour que tout rentre dans l’ordre
c'est facile
le coup de foudre n'a pas
de prise sur moi
sauf cette fois peut-être
une bombonne de gaz
une allumette
toi et
le grand incendie auquel
sans doute
je ne survivrai pas
Je ne veux pas
connaître son histoire, pas connaitre cette fille. Je ne veux connaître
personne, surtout ne pas m’attacher, parce qu’un jour ou l’autre, les
choses se détachent, s’arrachent comme une branche qui tombe dans la
tempête et l’arbre reste debout avec ses douleurs silencieuses. Je ne
veux rien de tout ça, mais la fille raconte, ne s’arrête pas de
raconter. Elle s’appelle Mary et ce n’est peut-être pas son vrai prénom,
pas sa vraie histoire. Peut être que c’est juste une fille un peu folle
avec une imagination un peu folle et un besoin un peu fou de toujours
trouver quelqu’un pour l’écouter, à n’importe quelle heure du jour ou de
la nuit. Je suis un animal de nuit, avec des oreilles bien plus grandes
que ma bouche. Je ne veux pas écouter mais j’entends malgré moi sans
jamais pouvoir crier "Stop, tais-toi, maintenant".
[Extrait de "Les voix", en cours, toujours...]
Vendredi 27 février 2015
La
vérité
["Karoo", Steve Tesich]
Jeudi 26 février 2015
Onze
Un homme qui n’existe pas
dans le même monde que moi
m’offre onze euros
dans une belle enveloppe
posée à plat
sur sa main
tout cela n'a aucun sens
mais puisque je dors
je m'en moque
l'homme me sourit comme
sur les images
que j’ai vues autrefois
dans les magazines
je ne sais pas s’il est
toujours en vie
mais sa musique est divine
et son sourire
et sa main
aussi
et je pense "onze"
c'est une douce attention
comme s’il savait que c'était
mon nombre premier favori
il y a aussi sept cent vingt sept
mais même dans mes rêves
l’argent m’importe peu
je préfère les sourires
des hommes que
je ne rencontrerai jamais
mais dont la musique
m’embrasse si
délicatement
Dans dix jours (le
samedi 7 mars, donc) je serai à Rouen dans le cadre du
printemps des poètes. Un week-end poétique organisé par Patrick
Verschueren et la
compagnie Ephéméride dans un lieux hors du commun (l'aître
St Maclou) où il y a fort à parier que la langue ne sera pas de
bois et que l'hiver laissera place au printemps sans chercher à jouer
les gros bras (plus d'infos en cliquant sur les liens).
Mardi 24 février 2015
J'emmerde les parcours balisés [New]
C'est
plus compliqué
qu'il n'y paraît
d'atteindre la simplicité
it's
more complicated
than it seems
to reach simplicity
Non
je ne suis pas d’accord
le silence n’a rien de gracieux
d’élégant ou de
docile
parfois le silence
c’est juste des mots qui restent coincés
des choses trop grosses pour passer dans le gosier
un peu comme des grenades
qui finissent par nous exploser en dedans
des paroles impossibles à prononcer
parce qu’elles nous péteraient les dents
nous déchiquèteraient la langue
parce qu’une fois dehors
ces paroles nous défigureraient
parfois
tu vois
le silence
ça sert juste à conserver
une apparence convenable
quand on a l’intérieur en ruine depuis
tellement longtemps
La
beauté fragile des gestes anodins
qu'on nous montre dès l'enfance
on apprend à plier le linge
pour le ranger dans l'armoire
on apprend à plier convenablement
une lettre en trois
pour la glisser dans l'enveloppe
mais on n'apprend jamais
à plier les sentiments
pour qu'ils ne débordent pas du coeur
Mercredi 18 février 2015
Elle
est folle mais...
[Barcelone, Photo Marlene T]
Mardi 17 février 2015
Camera
Extérieur nuit
Les fenêtres d’appartements comme
des petits films ambrés accrochés à l’écran de la nuit
Et quelque part
invisible
un homme hurle des mots incompréhensibles
pleins de colères
Tu dis que seuls les cons gueulent
que les autres expliquent
Toi, tu expliques
toujours
tout
avec ce je ne sais quoi de condescendant
accroché à ta langue
qui m’agace
Et puis ce ton que tu prends
cette voix de présentateur de show télévisé
ta manière de sourire
de transformer les lampadaires en projecteurs
et la rue en plateau télé
On est tous le con de quelqu’un et
ce soir
tu es le mien, je crois
ce soir
les gens dans la télé ont l’air plus vrais
que toi
Lundi 16 février 2015
Poésie à la demande
Par hasard, dans les
ruelles de Barcelone, je tombe sur une petite vitrine exposant deux
hommes attablés devant une machine à écrire. Une pancarte indique "Expenduria
Poética" ("Débit de poésie" - comme il existe des débit de
boisson ou de tabac, sauf que la poésie n'est en rien nocive à la santé,
au contraire!) Un petit local ou deux poètes se relaient pour
délivrer des poèmes à la demande. Un euro (minimum, mais rien n'empêche
la générosité de ceux qui peuvent) et trois mots pour que ces deux
poètes mutiques tapent sur leur machine à écrire et vous délivrent à
quatre mains un objet unique : Une poésie à emporter. Il y a là quelque
chose de magique, comme hors de cette réalité qu'on voudrait nous faire
accepter pour unique.
Dans une arrière salle, des lectures de poètes, ceux d'ici, ceux qui
passent. Les langues se mélangent (espagnol, anglais, français) et
l'humain redevient ce bel animal libre et rêveur qu'il oublie parfois
d'être.
Traduction
approximative :
je trouve la paix
dans tes mains
quand j’ai besoin de sentir
la chaleur de l’enfance qui me manque
tu es la question qui donne certitude
à mes interrogations
dans tes mains et sur les lignes que toujours
je voulais apprendre à lire
avec la crainte qu’un sillon capricieux de ta paume
me sépare de la vie, de notre vie
j’use de ruses mentales pour tisser notre destin
et que tes mains soient
la réponse
Cette expérience
impromptue entre en résonnance avec ce que je découvrais récemment à
propos du poète et musicien Lynn Gentry
qui crée des
poèmes à la demande dans le métro New-Yorkais.
Dimanche 15 février 2015
L'humeur du dimanche : Trouver un meilleur outil
[_Je ne comprends pas comment fonctionne mon cerveau.
mais mon cerveau est ce à quoi je me réfère pour comprendre comment les
choses fonctionnent/
_Est-ce un problème?
_Comment t'expliquer?]
Si la réalité cessait un peu de nous malmener, on passerait peut-être
moins de temps à se réfugier dans les bras de la fiction. S’enfuir sans
aller loin. Simplement changer de décor. Tout semble toujours plus
simple dans une chambre d’hôtel. C’est peut-être le blanc des murs et
des draps. Comme une page sur laquelle il deviendrait possible de
réécrire l’histoire.
Il y a quelque chose d’apaisant dans la fadeur anonyme du décor, dans la
moquette chargée de poussière de tellement d’inconnus. Dans une chambre
d’hôtel, je deviens un personnage imaginaire, je peux être qui je veux,
je peux enfin cesser d’être moi. Je me déshabille d’un passé froissé et
mal cousu. J’enfile une robe délicieusement légère, brodée de souvenirs
inventés et je danse sur l’instant sans avoir peur de tomber.
[Life is a Beatles song #59]
Elle s’assoit et croise les jambes. Un soupir annonce l’arrivée
imminente de la première question. Il fait jour, mais elle a allumé la
lumière. Par habitude, sans doute. L’ampoule se balance au bout du fil,
le pied fiché dans sa baïonnette, brillante comme une équilibriste dans
son costume à paillettes. J’ai le vertige. Elle prend ma main et me dit
de ne pas m’inquiéter. Elle n’est pas là, je le sais bien. Elle vit à
l’intérieur de moi. Elle est cette voix qui interroge lorsque je me
réfugie dans le flou de l’ignorance, celle qui force à voir quand je
refuse de comprendre.
Elle pointe un doigt invisible vers l’homme inerte à mes côtés et
demande « En quoi est-il semblable aux précédents ? » Je secoue la tête
en silence, sachant pertinemment où elle veut en venir.
« Il est différent », je dis. Tous les hommes qui sont un jour arrivés
jusqu’à mon lit étaient très différents. Elle m’oblige à creuser
davantage. « Es-tu capable de leur trouver un point commun ? » Je
cherche. Je fais semblant de chercher, mais je connais la réponse. Je la
planque, je la tais. Sous la lumière crue de l’ampoule nue, cet autre
moi me dévisage, plante ses yeux dans mon cœur. Elle regarde à travers
moi et lit la réponse inscrite en braille.
Tous ces hommes ont quelque chose d’un père. Leur âge, leur autorité ou
leur voix. Parfois juste des mains épaisses comme des battoires et un
regard sévère. Quelque chose de dominateurs et protecteurs à la fois. Et
je sais bien, au fond, que je n’ai aimé aucun d’entre eux, que je n’ai
pris du plaisir qu’au moment où il était question de les séduire, de les
transformer en proie sans qu’ils ne le devinent. Ces hommes-là sont
tellement prévisibles. Tout ce qu’ils veulent c’est une petite fille
avec laquelle jouer, un morceau de pâte à modeler, des grands yeux
dociles, des joues timides, un ventre à transpercer. Ils veulent une
petite fille et moi, j’en suis une pour l’éternité. Une petite fille
brisée et mal rafistolée, des manières de poupées mais un monstre sous
la peau. Il paraît que parfois les victimes se transforment en
bourreaux. Je ne sais pas. Je ne blesse personne. Pas comme on m’a
blessée moi. Pas dans la chair.
Parfois, je ne sais plus trop si je reproduis inlassablement l’objet de
ma douleur passée ou si je venge l’enfant que j’étais. Je rejoue la
scène encore et encore. C’est plus fort que moi. Toujours le même
scénario sauf qu’a la fin, maintenant, je gagne. Maintenant, je peux
dire non. Maintenant j’ai assez de force et d’armes pour empêcher qui
que ce soit de me faire mal. Aujourd’hui c’est moi qui fixe les règles
du jeu, mais qu’est-ce que ça change, au juste ? Est-ce que crois
vraiment punir un père à travers ces hommes ou est-ce que je ne fais que
rouvrir sans cesse mes vieilles plaies ? Est-ce qu’on peut suturer les
souvenirs ? J’aimerais qu’une voix parvienne à me rassurer. Mais il n’y
a que des questions, toujours. Il n’y a qu’un homme avachi et une
ampoule suspendue la tête en bas au-dessus du vide. Je me demande si
elle ne brille pas plus par habitude que par envie.
[Life is a Beatles song #58]
Dimanche 8 février 2015
L'humeur du dimanche : essayer (d'être) autre chose
[Blast, Manu Larcenet]
Samedi 7 février 2015
Complexe(s)
Non, je ne suis pas complexée
compliquée peut-être
mais pas complexée
je me trouve moche
c'est tout
ce n’est pas la même chose
je t’assure
un complexe c’est quand tu as
ce morceau de toi
que tu voudrais remplacer par
un morceau d’apparence différente
un complexe parfois
ça rend tellement dingue que
certains vont chez le charcutier
pour se faire arrondir les angles
ou limer le nez
ou émincer un bout de jambon
tu vois les complexes c’est complexe
ça peut tourner à l’obsession
moi, ma mocheté
elle ne m’obsède pas
à vrai dire
la plupart du temps
je l’oublie
alors que toi
elle a l’air de
drôlement
t’encombrer
ta beauté
Vendredi 6 février 2015
Réchauffement climatique
La
neige essaie de tomber
mais elle n'y arrive pas
fondue avant de toucher terre
trop de douceur
il y a trop de douceur ici
quand tu es contre moi
La douche froide, elle dit
c’est ce qu’il y a de plus douloureux
mais c’est important !
chaque matin
la chef nous dispense
(gratuitement)
à l’heure de la pause
ses conseils beauté
il faut souffrir, elle affirme
en lissant le col de son chemisier
parfaitement repassé
et je me demande
pourquoi
(pourquoi, bordel?)
je ne suis pas
mille fois plus belle qu’elle
si ce n’est qu’une histoire
de souffrance
A 22h22 je décide que ce soir j’irai me coucher tôt, que je vais plier
l’ordinateur en deux, comme ça, lui fermer sa grande gueule, que je me
glisserai doucement entre les draps et la solitude. Parfois, je prends
des décisions, je me fais des promesses, mais je ne les tiens pas.
Surtout quand le silence est bavard. Viens, m’a dit ce type tout à
l’heure, et sa voix résonne encore. Je sortais du boulot, j’attendais le
bus. Viens, il m’a dit, je vais t’emmener au septième ciel. Mais moi,
grimper, c’est pas mon truc. Ni aux rideaux, ni dans le grand ascendeur
social. Je suis quand même montée dans le bus pendant que le type
astiquait sa braguette en me regardant, les yeux pleins de petite mort.
A la maison, il faisait froid et les murs semblaient de mauvais poil. Je
suis allée chercher quelques bûches et j’en ai profité pour inspecter la
mangeoire à oiseaux. Elle était presque vide. Je me suis demandé si les
graines faisaient germer des rêves dans le ventre des moineaux et leur
donnait la force de continuer de fouiller le ciel.
A 33h33, la gueule béante de l’ordinateur n’en finit pas de gober mes
yeux, de les faire rouler d’un bout à l’autre de l’univers. Tout va très
bien, me dit le grand virtuel, regarde comme le monde est paisible.
Google libère une nuée de papillons et facebook affiche sans vergogne sa
plus belle érection. Alors, je réalise que j’ai probablement fini par
m’endormir la joue sur le clavier à attendre connement ton message.
[Life is a Beatles song #57]
Lundi 2 février 2015
J’emmerde le pessimisme [New]
Quand il ne reste
plus rien à rêver
réinvente le rêve
Mon bureau n’est pas un bureau mais une
planche fixée à un mur, comme une étagère, une planche avec des
papiers posés dessus et un pot à crayons et des tas de
saloperies qu’il me faudrait trier. Quand je m’assoie-là, à ce
bureau qui n’est pas un bureau mais une planche, face à ce mur
qui n’est rien d’autre qu’un mur, il me faut beaucoup, vraiment
beaucoup d’imagination pour passer au travers du béton et voir
le ciel, les arbres, la rue, les poubelles alignées, les
passants, les pigeons, voir la vie, voir n’importe quoi d’autre
que ce foutu mur blanc auquel est fixée la planche qui me sert
de bureau. Mais, la plupart du temps, heureusement, j’y arrive.
Jeudi 29 janvier 2015
J’emmerde les clowns tristes [New]
Pourquoi l’intelligence des larmes
devrait-elle être supérieure
à celle du rire ?
Oui, bien sûr, j’aurais pu trouver mieux à faire aujourd’hui que me
promener au bord de la falaise. J’aurais pu trancher mon pain sec et le
griller, trier mes ordures ménagères, répondre au téléphone, avoir un
téléphone, écouter les informations me raconter le malheur du monde,
m’indigner, m’engager, marchander, m’exécuter sur le champ, cultiver des
patates, faire fructifier mes économies, traquer les comédons, sucer
l’ennemi, cracher mon venin, tirer mon épingle du jeu, tirer un coup,
m’abstenir, voter, sortir le drapeau blanc, limiter mon empreinte
carbone, plastiquer une banque, m’épiler partout, même dans les trous de
nez, pour devenir une fille lisse et bien comme il faut. Mais voilà,
j’avais juste envie de me promener au bord de la falaise, d’apprivoiser
un peu mon vertige avant d’enfin oser goûter à la liberté de la chute.
Tu me dis que quand même c’est un beau gosse
tu me dis ça
comme ça
avec un regard un peu jaloux
avec un regard entendu mais
qu’entends-tu
exactement
par
beau gosse ?
est-ce que ton regard d’homme sur cet homme
est censé deviner ou comprendre
mon regard de femme sur un homme
quel qu’il soit ?
je ne suis pas vraiment femme, tu sais
en tout cas pas comme tu l’imagines
et je déteste les attributs qui font de moi une femme
comme je détesteraient ceux qui feraient de moi un homme
je ne suis ni l’un ni l’autre
je ne suis attirée ni par les uns ni par les autres
fussent-ils beaux gosses
fussent-elles superbes
l’attraction sexuelle
n’a pas de prise
sur ma gravité sentimentale
j’habite une planète inconnue
je lévite
j’évite l’impact
la confrontation sensuelle
la pénétration d’un corps par un autre corps
je ne suis ni homme ni femme
je suis juste moi
enfermée
dans cet emballage de peau
que tu voudrais toucher
sans que je parvienne à comprendre
les raisons de ton désir
Tu me dis que je suis toujours
toujours trop loin
de la réalité
mais
c’est faux
la réalité
on est dedans jusqu’au cou
toi, moi, tout le monde
c’est comme ça
même en courant très loin
même en nageant très fort
on n’y échappe pas
c’est juste notre manière d’y nicher
qui fait la différence
notre manière de la regarder du dedans
par exemple
si tu tournes très vite dans le ventre de la nuit
les étoiles ordinaires deviennent
des étoiles filantes
c’est pas compliqué
tu vois
de ne pas se laisser
emprisonner par le décor
Jeudi 22 janvier 2014
Les
poids et les mesures
Réussir
à mesurer la valeur d'un échec
Echouer à relativiser l'importance de la réussite
Mercredi 21 janvier 2014
Side
by side
[Photo Marlene T.]
Mardi 20 janvier 2015
J'emmerde l'importance de la taille [new]
Est-ce
que le minuscule
écrit en majuscules
prend une autre dimension ?
Oups
!
[Sorry,
I'm only half here...]
Désolée, je ne suis qu'à moitié là...
Lundi 19 janvier 2015
Faire mentir les calculs
Et si le jour le
plus déprimant de l'année n'était qu'une vulgaire formule mathématique ?
avec : W
Weather (météo), (D-d) debt (différence des dettes contractées à
la période des fêtes avec la capacité effective de remboursement avant
la prochaine paie), T Time (temps écoulé depuis Noël), Q
(temps écoulé depuis nos résolutions du Nouvel An), M (Manque de
motivation), Na (besoin d'agir)
[Blue
Monday]
Dimanche 18 janvier 2015
L'humeur du dimanche : La joie de ne s'être rien fait vendre
Tu sais papa, je me
souviens bien de ce noël-là, celui où on s’est gelé le cul parce qu’EDF
nous avait coupé le jus. Encore une facture impayée. Il neigeait. La
trêve hivernale n'existait pas à l'époque. On a mangé des pâtes, ou un
truc dans le genre, à la lueur d’une bougie tremblotante. C’était pas si
affreux que ça, à part le silence qui pesait lourd. Ton silence et tes
regards impossibles à déchiffrer. Le silence de maman et ses yeux
couleur chagrin. Mon silence qui venait se coller par-dessus le vôtre
parce que je ne savais pas comment m'y prendre pour vous réchauffer le
coeur.
J’avais préparé en secret des cadeaux improvisés, enveloppés dans des
pages de vieux magazines. Des objets récupérés, rafistolés. Trois fois
rien, mais j'y tenais à ce geste-là. C'était un peu ma manière de
refuser de baisser les bras. Et quand tu as vu les paquets, au pied du
sapin synthétique déplumé, tu t’es mis à pleurer. C’est pour ça que je
m’en souviens, papa. C’est pas à cause du froid ni des assiettes à
moitiés vides. C’est parce que je voyais tes larmes pour la première
fois. Parce qu'elles tombaient drues comme un déluge. Parce que j'ai
deviné, sans tout à fait le comprendre, qu'il faudrait continuer de se
battre encore et encore pour sauver de la noyade ce qu'il reste de
douceur.
[Texte paru dans une version différente dans
Buk Youaux éditions Gros textes]
Continuer de se
battre pour sauver de la noyade ce qu'il reste de douceur
L’envie d’embrasser
tout
mais
la bouche du monde est trop large pour y glisser ma langue
alors
je me contente de fermer ma gueule
comme tout le monde et de
croiser le voisin du dessus qui descend sa poubelle
lui sourire et
me demander si c’est un vrai blond
me demander
si son sourire ne cache pas
des cicatrices indélébiles
me demander
s’il se battrait à mes côtés
ou
si je me battrais aux siens
pour peu qu’on ait
l’un comme l’autre
les couilles de se battre
pour ces détails gigantesques
qui ne font même pas remuer la queue du chien
ici on nous rappelle sans cesse
que le voisin n’est rien
que personne n’est rien
ici, on ne se bat que pour ce qui fait du bruit
ce qui fait de l’audience
ce qui fait la une
ici, on oublie ce qui crève à petit feu
dans le bouillon rance de sa minorité
ici, mon voisin blond a subi deux incendies
et cinq agressions
à cause des hommes qui partagent son lit
à cause peut-être de la dame du troisième
qui invoque jésus marie joseph
à chaque fois qu’elle pose le pied sur son palier
on n’en sait rien
personne ne dit rien
ici, chacun s’en branle un peu
des problèmes des autres
tant que l’immeuble tient debout
tant qu’il a un toit
tant qu’on ne le fait pas chier
ici, ça sent les égouts quand il pleut
et il pleut souvent
la dame du troisième a mis des papiers
dans nos boites à lettres
elle dit qu’il faut qu’on appelle le syndic
elle dit qu’il faut qu’on se serre les coudes
elle parle de solidarité
et j’ai comme envie de lui photocopier
la définition du dictionnaire
j’ai comme envie, encore
d’embrasser le monde pour de bon
de fourrer ma langue dans sa grande gueule
pour le faire taire
au moins quelques instants
Lundi 12 janvier 2015
J’emmerde la sérendipité [New]
Trouver ce qu’on ne cherche pas
finalement on pourrait juste
appeler ça "vivre"
Il parait qu’on ne dit plus
autoportrait
mais
selfie
(les mots se plient-ils au diktat de la mode ?)
sur la photo, je me suis décapitée
il parait qu’on ne peut pas prendre
la photo de son propre cadavre
mais
à vrai dire
je ne suis
ni tuée ni à tuer
j’ai juste perdu la tête
Faussaire
je ne suis rien de plus
pas poète, non
sûrement pas
je me contente de
copier l’ordinaire
d’imiter
le plus fidèlement possible
les couleurs du quotidien
comme d’autres copient
les oeuvres des grands peintres
et après tout pourquoi
la lumière d’un lampadaire
diluée dans le ruisseau
d’un caniveau
ne mériterait-elle pas
qu’on y plonge
un pinceau ?
C’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse, je crois. Quand je
l’ai vu nouer ses lacets. Une boucle, puis une autre boucle. Exactement
comme font les enfants. Comme je fais, moi aussi. Un peu maladroitement.
J’ai trouvé ça touchant. Moi, on se fout toujours de ma gueule quand je
fais mes boucles, alors je n’attache plus mes chaussures. Les siennes
étaient terriblement usées et j’ai essayé d’imaginer combien de
kilomètre de vie il avait parcouru avec elles. J’ai décidé qu’il
s’appelait Tony, comme ce gars au lycée, pas très beau mais qui me
souriait parfois. Et son sourire, bordel, c’était une aurore boréale.
Lui, j’ai pas vu son visage. Juste ses doigts emmêlés dans les lacets.
Et puis ses cheveux qui finissaient en presque boucles sur sa nuque. Il
portait un anneau assez gros à l’oreille, un peu comme les pirates. Du
coup, je me suis dit "Merde, Tony c’est pas un nom de pirate !", mais il
était trop tard. On ne peut pas changer le nom du héros en plein milieu
de l’histoire.
Je marchais lentement parce que je ne peux pas marcher vite quand je
rêve et je rêvais bien plus fort que la limite autorisée. Pendant ce
temps-là, mon cœur tapait un message en morse adressé à Tony. Cours-moi
après, il disait, mon cœur. Je me suis demandé si Tony avait l’ouïe fine
et s’il savait déchiffrer le morse cardiaque. Mais j’avais confiance.
Maman répétait sans cesse "Le grand amour n’existe pas". J’ai toujours
refusé de la croire. Je ne suis pas du genre à me laisser désabuser.
Je traînais un peu les pieds. Fallait bien laisser à Tony une chance de
me rattraper. Je ne me suis pas retournée. Pas une seule fois. Se
retourner, c’est rompre le charme, c’est comme faire tourner les
aiguilles d’une montre à l’envers : ça bousille le mécanisme et je
n’avais pas envie de tomber en panne. Je n’avais pas envie de tomber
tout court, mais ça a dû arriver malgré tout. Je ne sais pas ce qui
s’est passé. Quand j’ai rouvert les yeux, il y avait le ciel en face et
le trottoir dans mon dos. Tony s’est penché au-dessus de moi. " Ça va ?"
il a demandé. Il avait de l’inquiétude barbouillé partout sur la figure
et ça lui allait bien, on aurait dit des peintures d’indien. "Vous êtes
tombée », il a dit. "Oh, oui, je suis tombée amoureuse!" Il a souri,
mais juste un peu, comme avec l’air de se demander si je n’étais pas dérangée. Il m’a montré le poteau. Je m’étais cogné dedans, il
parait. J’ai expliqué que c’était pas la première fois, que les poteaux
semblaient prendre un malin plaisir à me couper la route à l’improviste.
Il y a eu de la musique. C’était le rire de Tony, un rire qui fait
danser, un rire qui chante oh darling ! Il m’a tendu sa main. Je lui ai
offert la mienne. L'histoire commençait plutôt bien. [Life is a Beatles song #56]
Lundi 5 janvier 2015
J'emmerde le mutisme des paillassons [new]
Est-ce
que le silence qu’on tisse
n’est qu’un vulgaire tapis
à piétiner jusqu’à l’usure ?
Happy monday to you !
[Via Strike! Magazine]
Dimanche 4 janvier 2015
L'humeur du dimanche : Perdue dans une autre dimension
C'est
vrai
je ne m'aime pas
mais je ne me souhaite
pas plus de mal
qu'à n'importe qui
je préfère perdre mon temps à
regarder les arbres pousser
sans me demander si je tiendrai
assez longtemps pour voir
mon cerisier
transpercer
le ventre du ciel
MGV2 becomes Viral
La revue MGV2
poursuit sa route déjà longue et belle et nous infecte en beauté avec
son thème Viral dans le n°79. On peut y lire des poèmes et des
nouvelles, en anglais et en français ainsi qu'une chouette interview de
Leonel Houssam et des chroniques, dont une à propos de "Sous les fleurs
de la tapisserie". Un big big merci at Walter Ruhlmann !
"You
must create the right kind of dream, the sober, adult kind of magic:
illusion born from disillusion."
"Tu dois créer la bonne sorte de rêve, le genre sobre et adulte
de magie : l'illusion née de la désillusion."
[Sylvia
Plath]